Manu fait non de la tête et, en même temps, signe qu'elle s'en fout. Elles sont arrivées au bord de la Seine, juste au bord de l'eau. Manu braille:
– Putain, c'qu'il est chouette ce coin! Ça donnerait envie de vivre à la campagne. Pis c'est chouette les fleuves, moi j'adore ça. Putain, ça donne envie d'être à la mer! On s'en fout de chez Tony, on s'en fout de ce qu'ils disent. Il est chouette ce coin. Un pack de bière en bord de flotte, pourquoi on se prendrait la tête? Faut rester sérieux, Karla, pas s'écarter du droit chemin. Faut profiter de ce qu'ils sont pas là pour plus s'occuper des autres.
Karla ne voit pas exactement les choses comme ça. Elle reprend:
– C'est un bruit qui court en ce moment. Je sais pas quel est le salaud qui l’a lancé. Mais faut se méfier de tout le monde là-bas. Comme quoi ils t'ont vue dans des films de cul. Ils donnent même des détails dégueulasses. Je voulais pas te le dire tellement ça m'a dégoûtée. T'es tout le temps à aider tout le monde, t'es sympa comme pas deux et eux, tout ce qu'ils trouvent à dire, c'est…
– Ben, si tu voulais pas me le dire fallait pas me le dire, qu'est-ce que tu veux que je te dise?
– J' préfère te le dire. C'est trop dégueulasse. Je préfère que tu sois au courant.
– Ben, j'suis au courant. Qu'est-ce que j'en ai à foutre? Je leur chie tous dessus. Un par un, tu me les ramènes, moi je les aligne et je leur fais caca dessus. Faut pas t'en faire pour ça, Karla, t'es trop sensible.
En parlant, Manu se vautre par terre, les bras en croix, s'égosille tout en regardant le ciel. Elle croit sincèrement être en mesure d'engloutir le quartier entier d'une seule chiasse et ça la fait bien rigoler. Il fait encore soleil, c'est vraiment un chouette coin. Ça serait mieux si Karla n'était pas là en fait. Elle est bien cette fille, mais finalement elle a des toutes petites idées, rabougries. Elle a des yeux qui rapetissent, des yeux dans lesquels on peut pas faire rentrer grand-chose. Et tout ce qui dépasse la rend furieuse.
Manu aime bien ce qui dépasse, tout ce qui dérape la fait rigoler. Elle a les envies larges et déplacées. Et la baise, c'est bien tout ce qu'elle a trouvé qui mérite encore un détour et quelques efforts. Karla est comme les autres, craintive et agressive.
Une voiture s'arrête, pas loin d'où elles sont. Des portières claquent, Manu n'y prête pas attention. Elle braille:
– Sérieux Karla, faut s'élargir l'anus et l'esprit suivra. Faut te dilater l'esprit, faut voir grand, Karla, sérieux… Faut s'écarter les idées…
– Nous, les filles, c'est pas les idées qu'on vous ferait bien écarter.
Karla est debout. Manu a du mal à se redresser. Elle n'a pas envie qu'on l'emmerde. Pas envie d'avoir à faire à cette grosse voix abrutie. Ni à ces pompes pointues. Ni aux mocassins d'à côté, ni aux baskets derrière. Elles ne répondent pas, elles regardent l'eau. Les trois mecs s'approchent:
– Allez, faites pas la gueule, il a dit ça pour détendre l'atmosphère.
– Nous, on vient dans le coin pour se détendre un peu. On voit deux filles et on se dit qu'on pourrait peut-être se détendre ensemble… On veut pas vous mettre mal à l'aise, les filles, on voudrait juste faire connaissance…
Manu se lève. Elle évite de regarder les types. Pas besoin d'y regarder à deux fois pour saisir qu'ils ont vraiment de sales gueules. Petits, teigneux et avinés. Mauvais tiercé pour elles. Karla tire sur sa jupe, elle a l'air franchement gourde. Manu la prend par le bras, fait un signe de tête aux garçons en disant:
– Nous on partait justement, on a un truc à faire. Dommage, bonne continuation…
Celui qui porte des mocassins lui barre le passage:
– T'es sûre que t'as pas le temps pour une bonne partie de jambes en l'air?
Et il plaque sa main sur ses seins. Elle voit Karla par terre, sa gueule écrasée au sol et le mec sur elle – celui qui porte des baskets – lui allonge une putain de beigne en la traitant de connasse.
Elle entend Karla hurler, l'appeler. Elle sent la main de l'autre mec entre ses cuisses lui malmener la chatte. Il dit en rigolant: «Celle-là a pas l’air trop farouche» et il la balance par terre. «Baisse ta culotte et écarte tes cuisses, écarte-les bien, comme ça j'te ferai pas mal avec mon bel engin.»
Elle fait comme on lui dit. Elle se tourne quand on le lui dit. Karla pleurniche et discute, supplie les mecs de ne pas la toucher. Un des types la tient par les cheveux. Il tire sa tête en arrière en la traitant de petite pute. Elle a le visage rouge, congestionné, plein de larmes. Un peu de morve lui coule dessous le nez, et du sang plein la bouche. Quand elle essaie de parler, elle bave du sang. Entre ses dents, ça fait des traits rouges. Un autre type l'attrape par l'épaule, elle se protège la face avec ses bras et tombe à genoux. Tas rabougri et pleurnichard. Terrifié, implorant. Manu dit: «Laissez-la, foutez-lui la paix.» Le mec allongé sur elle rigole et tape avec la paume de sa main sur son nez. Explosion derrière les yeux puis douleur sourde dans tout le crâne. Les autres ont relevé Karla. Ils la tiennent contre le capot de la voiture, ses bras tordus dans son dos. Ils tapent sa tête contre la carrosserie. Plusieurs fois. Ça fait vraiment du bruit, mais personne ne passe jamais par là. Le mec sur elle chuchote:
– Alors, ma puce, qu'est-ce que t'en dis de ma queue? T'as pas l'air de détester ça, hein?
Elle entend Karla prendre des claques entre deux protestations. Elle a peur qu'ils cognent trop, qu'ils la démontent vraiment. Elle a peur qu'elle en crève. Elle lui crié: «Mais putain, laisse-toi faire, cherche pas les coups.» Ça fait rire les garçons: «De toutes façons, ces radasses-là, ça baise comme des lapins… Essaie de l'enfiler par le cul, j’parie que c'est aussi vaste que la voix légale.»
Qu'est-ce qu'ils feront après, qu'est-ce qu'ils feront à la fin? Ils ont l'air violemment raides eux aussi. Et l'alcool ne les rend pas franchement aimables. Ils sont contents d'être ensemble, ils échangent de bonnes vannes, ils ont une activité commune, un ennemi commun. Jusqu'où comptent-ils aller pour se prouver qu'ils sont ensemble? Est-ce qu'ils vont leur ouvrir le ventre ou leur enfoncer un canon de carabine bien profond et les exploser de l'intérieur? Combien de temps ça va les amuser de les mettre en racontant des conneries? Après, ils ont prévu quoi? Manu réfléchit. S'ils se sont déjà mis d'accord, s'ils ont déjà décidé de les faire morfler jusqu'à ce qu'elles ne respirent plus, c'est foutu, ils ne voudront pas se dégonfler. Mais peut-être qu'ils veulent juste les violer. Il ne faut surtout pas leur faire peur, surtout qu'ils ne paniquent pas. Surtout ne pas les provoquer à aller plus loin que des coups dans la gueule et leurs brusques coups de reins. Elle voudrait que Karla se calme, surtout qu'ils ne la butent pas, alors que c'était pas prévu. Surtout rester vivante. Faire n'importe quoi pour rester vivante.
– J'en reviens pas, comment celle-là se laisse faire.
– Faut dire qu'avec la gueule de poufiasse qu'elle se trimballe, elle doit pas se faire empaler souvent, hein?
– Méfie-toi, elle doit pas faire la différence entre sa chatte et un vide-ordures.
– On aurait dû ramener des capotes, on sait jamais… Avec des filles qui se laissent violer…
La vanne les fait rire un moment. C'est un autre type qui vient sur elle; avant de se coucher, il lui fait mieux écarter les jambes en lui donnant des coups de pied à l'intérieur des cuisses. Elle regarde le ciel. Elle attend. Quand il rentre en elle, il dit: «Bouge-toi, bouge ton cul pour bien sentir comme je te baise bien.» Juste à côté, Karla est allongée par terre, son corps secoué par des hoquets, quelqu'un bouge sur elle. Ses jambes sont toutes blanches et molles, étalées de chaque côté. De la terre et de l'herbe font des taches sur sa peau. Le cul du mec monte et descend, blanc avec des boutons rouges et quelques poils noirs. Parfois, il donne des coups plus violents et, chaque fois, Karla crie et ça a l'air de le rendre content. Il a les cheveux gras et les dents pourries sur le devant. Le troisième mec demande à Manu de se retourner. Il dit: