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– Essuie ton cul, t'es pleine de terre.

Elle regarde par terre, sur l'herbe il y a un peu de sang à elle, de quand le mec lui a tapé sur le nez. Un autre debout les regarde. Celui qui s'enfonce par-derrière s'énerve:

– J'ai l'impression de baiser un cadavre. Celui qui regarde ajoute:

– Elle a même pas pleuré celle-là, regarde-la. Putain, c'est même pas une femme, ça.

Elle regarde celui qui vient de dire ça, se retourne et jette un coup d'œil à l'autre par-dessus son épaule. Elle sourit:

– Mais qu'est-ce que tu crois que t'as entre les jambes, connard?

Le mec se retire. Elle aurait dû fermer sa gueule. Qu'est-ce qu'elle a eu besoin de la ramener? Le plus petit des deux, celui qui porte des mocassins, dit:

– J'ai même plus envie, elles me dégoûtent trop ces truies. C'est de l'ordure.

Ils disent au troisième de se dépêcher de finir, qu'ils veulent se casser et trouver des filles plus baisables, celles-là sont bonnes pour les clochards et pour les chiens.

Manu est allongée sur le ventre. C'est fini. Elle sent son dos et ses genoux qui font mal. Est-ce que c'est vraiment fini? Elle est encore vivante. Ils vont partir. Elle a mal à la tête aussi. Avec sa langue, elle sent une dent qui bouge.

L'autre remet son pantalon. Ils retournent à la voiture. Manu se retourne précautionneusement sur le dos. Elle n'a pas trop mal quand elle bouge, en tout cas sûrement rien de cassé. Elle regarde le ciel. Elle entend Karla gémir à côté, vague envie de vomir. Mal aux seins aussi… Putain, pourquoi ils l’ont autant cognée alors qu'elle n'a pas résisté? Elle entend Karla ravaler sa morve. Pas envie qu'elle soit là, pas envie de lui parler. Karla réussit à articuler:

– Comment t'as pu faire ça? Comment t'as pu te laisser faire comme ça?

Manu ne répond pas tout de suite. Elle sent qu'elle dégoûte Karla encore plus que les mecs. Comment elle a pu faire ça? Quelle connerie…

Elle les entend démarrer. C'est fini. Elle répond:

– Après ça, moi je trouve ça chouette de respirer. On est encore vivantes, j'adore ça. C'est rien à côté de ce qu'ils peuvent faire, c'est jamais qu'un coup de queue…

Karla hausse le ton, annonce la crise de nerfs:

– Comment tu peux dire ça?

– Je peux dire ça parce que j'en ai rien à foutre de leurs pauvres bites de branleurs et que j'en ai pris d'autres dans le ventre et que je les emmerde. C'est comme une voiture que tu gares dans une cité, tu laisses pas des trucs de valeur à l'intérieur parce que tu peux pas empêcher qu'elle soit forcée. Ma chatte, je peux pas empêcher les connards d'y rentrer et j'y ai rien laissé de précieux…

Karla la regarde, elle a la gueule bien amochée. Elle n'arrive pas à parler. Elle est comme suffoquée. Elle va exploser. Manu corrige au plus vite. Surtout la calmer, surtout ne pas avoir à supporter la crise de nerfs:

– Excuse-moi, j' veux pas en rajouter. C'est juste des trucs qui arrivent… On est jamais que des filles. Maintenant, c'est passé, tu vas voir, ça va aller.

Elle voit Karla debout penchée au-dessus d'elle, avec du sang qui sort de sa bouche et de son nez, l'œil droit gonflé d'où dégoulinent des larmes de rimel. Ses lèvres tremblent:

– Comment t'as pu faire ça?

Elle se retourne et marche sur la voiture qui n'a toujours pas bougé. Elle brandit son poing, elle les insulte en pleurant. Elle hurle:

– Fils de putes, faut pas croire que j'suis comme ça, vous allez payer pour ça, vous allez payer pour ça!

La voiture la renverse de plein fouet. Jamais Manu ne comprendra comment elle a pu courir aussi vite jusqu'à la berge. Comment elle a pu éviter la voiture et courir dans la rue.

9

Il a à peine refermé la porte qu'il lui tripote déjà le derrière. Il se plaint:

– Tu sais que je préfère que tu téléphones d'en bas, des fois que mon fils ne soit pas sorti.

Billets plies sur la table. Toile cirée beige avec quelques trous de clopes et des auréoles brunes, là où ont été posées des casseroles brûlantes sans dessous de plat.

Nadine balance l'argent dans son sac, enlève sa veste et dégrafe sa jupe.

Il éteint la lumière, laisse la télé allumée, enlève son pantalon, remonte son pull et s'allonge sur le matelas à même le sol. Il a les jambes repliées, il ne la quitte pas des yeux, souriant. Pas à elle, mais parce qu'il sait qu'elle va venir sur lui et faire ce qu'on lui dit. Il ressemble à un gros poulet triste, à cause des petites cuisses et du gros bidon. Il lui demande de garder ses talons et de se caresser les seins. Comme à chaque fois. C'est un de ses plus anciens clients.

Il va encore mettre sa langue dans sa bouche. Elle l’a laissé faire une fois et maintenant c'est tous les coups qu'il veut l'embrasser. Elle se souvient d'un roman de Bukowski où il expliquait que le truc le plus intime pour lui c'était d'embrasser sur la bouche. À l'époque, elle avait pensé que c'était une réflexion toc. Maintenant, elle comprend mieux. Entre ses cuisses, ça fait loin de sa tête, y a moyen de penser à autre chose. Mais la bouche, ça te remplit vraiment.

Elle fait la conne un moment au pied du lit, et il se branle en la matant. Puis il la fait s'allonger et vient sur elle.

Il écarte ses cheveux de devant son visage, dit qu'il veut voir ses yeux. Elle se demande combien il mettrait pour lui voir les entrailles, qu'est-ce que les garçons peuvent bien s'imaginer que les filles cachent pour toujours vouloir les voir de partout?

Il la creuse, transpire abondamment et souffle bruyamment. L'haleine fétide. Enculé de vieux. Il se retient vraiment bien d'éjaculer pour que ça dure longtemps. À la fin, elle aura des poils de sa poitrine à lui collés sur elle par la sueur. À la télé, une fille essaie de répondre aux questions d'un présentateur zélé, élégant et drôle.

Nadine remue machinalement du bassin. Il dit des trucs sur son corps et comment son cul est chaud. Il l'empoigne par les hanches pour la guider, remonte ses jambes et lui écarte bien les fesses. Il fait tous les gestes auxquels il pense pour bien montrer qu'il se sert d'elle comme il veut. Il lui demande si elle jouit.

Ça lui arrive assez facilement et les clients adorent ça.

Juste après qu'il a éjaculé, elle se lève et se rhabille. C'est trop sale chez lui pour qu'elle y prenne une douche. Il dit:

– Ça fait cher à chaque fois, c'est cher pour moi, tu sais… Regarde comment je vis…

Trou à rats. Sordide. Elle a du mal à imaginer qu'il habite avec son fils là-dedans. Elle a du mal à les imaginer mangeant en tête à tête. Quelle tête il a, son fils? Est-ce qu'il se doute? Est-ce qu'il raconte à ses copains en rigolant: «Mon père se paie une pute chaque fois que je sors, toute sa thune y passe.» Elle demande:

– Tu ne veux plus que je vienne?

– Si, si, je veux que tu continues à venir. Mais ce serait bien que tu me fasses un petit prix, comme on se voit souvent, tu comprends? Et puis ces trucs que t'as dans le dos, tu les avais pas avant, ce serait logique que tu baisses un peu les tarifs, non? En plus, je te garde pas bien longtemps, c'est difficile pour un homme comme moi de réunir une somme pareille.

– Trouve un tapin moins cher.

– Attends, ce que tu comprends pas…

Nadine sort sans lui laisser le temps de finir. Ce qu'elle comprend, c'est qu'il est chiant. Dans la cage d'escalier, il crie qu'il l'attendra jeudi prochain à la même heure, qu'il se débrouillera.

Elle ne retournera plus chez lui. Ce vieux con va finir par la confondre avec une aide-soignante.

Elle entre dans le premier magasin de hi-fi qu'elle croise. Elle y achète un casque. Le moins cher dans ce qu'il y a de correct. Le vendeur est gentil; avant qu'elle sorte, il demande: «Vous avez pleuré?» Elle se retient de lui conseiller de s'occuper de son cul et le regarde sans comprendre. Il explique: «En dessous de vos yeux, le noir a coulé, comme si vous aviez pleuré.» Machinalement, elle frotte le dessous de son œil, remercie le vendeur et sort. Elle a oublié de se remaquiller avant de sortir.