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– Y a plus de peur que de mal.

Elle passe par-dessus le comptoir, bloque la tête du type avec son pied et se penche pour coller le canon dans ses cheveux et tirer à nouveau. Il est secoué de spasmes, puis il se détend brusquement.

Elles sortent et se dépêchent de changer de coin. Les walkmans dans le sac pèsent lourd et font un drôle de cliquetis. Manu claque des doigts, passablement agacée:

– Putain, on a pas le sens de la formule, on a pas la bonne réplique au bon moment.

– On a eu les bons gestes, c'est déjà un début.

– Ouais, mais maintenant que c'est mon tour de piste, je préférerais soigner ça.

Nadine ne répond rien. Elle est un peu déçue parce qu'il lui semblait justement qu'elles assuraient pour la réplique. La petite insiste:

– Merde, on est en plein dans le crucial, faudrait que les dialogues soient à la hauteur. Moi, tu vois, je crois pas au fond sans la forme.

– On va quand même pas préparer des trucs à l'avance.

– Bien sûr que non, ça serait contraire à toute éthique.

Nadine change de sujet:

– Putain, mais y a personne dans les rues où on va. Tu te rends compte comme c'était facile? J'aurais pas cru ça, sinon ça ferait un moment que je me serais servie.

– Faut y aller à l'instinct et ça marche correct. D'autres fois, tu vas cogiter un truc mortel et tu vas te faire niquer pour un stupide détail. Faut faire confiance, t'es obligée.

Elle a coincé le flingue entre son ventre et son pantalon. Elle le sent quand elle marche, elle est sûre que le canon est chaud. Elle grommelle:

– Par contre, faut pas que j'oublie que j'ai que huit coups, j'ai pas les moyens de me lancer dans de la gun-fight spectaculaire.

– Ouais, faudrait pas que tu fasses trop ta maligne.

– Faut pas qu'on déconne, grosse, faut penser à acheter à boire avant de rentrer.

8

Personne ne les attend à l'hôtel. Le réceptionniste a changé. Le nouveau leur parle pendant qu'elles attendent l'ascenseur. Avant qu'elles montent, il dit:

– Si vous vous ennuyez le soir, vous pouvez descendre boire un coup, y a des bières au frais.

Nadine tourne la tête et lui sourit. Il a de grands yeux bruns, quand il est sorti de derrière son bureau, elle a vu ses chevilles nues dans des baskets basses en toile. La peau mate et le sourire bien blanc. Elle ajoute: «À tout à l'heure» avant que la porte ne se referme. Ce serait cool de l'attraper.

Elles boivent du whisky. Nadine le noie dans du Coca, Manu désapprouve:

– Je trouve cette pratique totalement barbare, ça me désole de te voir faire ça.

Nadine ne trouve rien à répondre. Elle demande:

– Ça te fait pas bizarre qu'il ne se passe rien?

– Arrête de débloquer une seconde… on peut pas dire qu'il se passe rien.

– Non, je veux dire qu'on soit là à glander à l'hôtel, après tout ça. Tout ce sursis, à croire que tout est permis.

– Tactiquement, c'est pas bon de penser à ça. Parce que ça fait irrémédiablement penser à quand tu vas te faire pécho. Et ça c'est nocif au mental, c'est un coup à mal dormir.

Nadine trouve le conseil judicieux et y réfléchit en silence. Puis elle se ressert un verre et Manu recommence à déblatérer contre le mélange whisky-Coca.

9

Plus tard, Manu est descendue toute seule faire un tour. Dans un rade, elle commande un café-cognac. Les murs sont peints en jaune terne, les plafonds et les comptoirs en faux bois foncé. Bar de quartier. Tasse brune, soucoupe verte, cendriers jaunes en plastique. Elle se sent comme à la maison.

Elle s'est mise dans un coin, le miroir accroché à sa droite est crasseux, couvert d'une pellicule de graisse, maculé d'empreintes de doigts et de corps de mouches écrabouillés contre. En blonde, elle a une tête de tapin bon marché, en plus elle n'a pas lésiné sur le rouge à lèvres. Elle s'aime bien comme ça, ça lui va bien.

Elle fait des moues avec sa bouche, se mate dans le miroir en train de tendre les lèvres, puis elle sourit niaisement et joue avec le bout de sa langue. Bouffeuse de pine, elle se trouve très réussie dans le rôle. Elle serait un garçon, elle aurait envie de s'enfoncer la queue jusqu'au fond de la gorge, jouer du gland contre le gosier. C'est dommage que Nadine ne soit pas là, elles pourraient causer pipe, avec ou sans rouge à lèvres, ça change tout.

Ses cheveux dégoulinent sur ses épaules en boucles molles. Elle a laissé son empreinte de rouge à lèvres sur le mégot et sur le bord du verre. Une fois, Lakim lui avait dit: «T'es le genre de fille qui laisse des traces sur tout ce qu'elle touche», alors qu'elle lui passait un pétard taché de rouge au filtre. Elle s'était foutue de sa gueule, à cause du côté romantique mal inspiré. En fait, c'était gentil. C'est con pour lui qu'elle soit partie avec toute sa thune, il avait du mérite à l'avoir mise de côté. Elle rigole toute seule. Effectivement, c'est con pour lui, c'est le moins qu'on puisse dire. Elle pense à la tête qu'il ferait s'il savait comment elles les ont claquées, ses pauvres économies. Pour avoir laissé une trace, elle aura laissé une trace! D'autant que le Radom Vis 35 qu'elle lui a emprunté lui a certainement déjà valu la visite des flics. Ce type a été gentil avec elle, il l'aimait bien. N'empêche, c'est tombé sur lui, bêtement. Le mauvais endroit, le mauvais moment, la mauvaise partenaire. Qu'est-ce que tu veux qui t'arrive de bon dans de telles circonstances?

Elle allume une cigarette, un type en imper au comptoir la mate avec insistance. Soit il l'a vue en exploser un dans la journée, et il ne devrait pas la fixer comme ça; soit il aime la connasse bien vulgaire. Elle a un faible pour les garçons qui ont bon goût. Elle glisse sa main entre ses jambes en le regardant, écarte légèrement les cuisses, remonte la main sur son ventre, penche la tête et se fait briller la bouche en y passant le bout de la langue. Puis son autre main passe sur sa poitrine, comme pour remettre son pull correctement.

Elle laisse de la thune sur la table. Il la suit quand elle sort. Il fait vraiment bon dehors. Elle pense: «Pourvu que ça ne soit pas un détraqué, ce serait con de me faire taillader le ventre maintenant.» Elle a son gun quelque part dans son sac, mais il aurait le temps de l'assommer avant qu'elle le retrouve. Tout cela est mal organisé. Elle joue de la croupe ostensiblement. Elle le sent juste derrière elle. Elle ralentit, s'arrête devant une vitrine d'appareils ménagers. Il se tient derrière elle, caresse son cul avec toute la main, sans hésitation, lui palpe fermement l'entrecuisse. Elle se cambre un peu, frotte ses fesses à la queue qu'elle sent déjà bien dure. Par-derrière, il empoigne ses seins, les malaxe et les pince. Elle sent son sexe à elle se mouiller par petites giclées nerveuses et chaudes. Il l'entraîne sans la lâcher jusqu'à un recoin où sont entassées des poubelles. Odeur d'ordures, murs en béton gris. Elle baisse son collant jusqu'aux genoux, suce deux doigts et les passe dans sa fente qu'elle écarte généreusement pour qu'il vienne. Elle est appuyée au mur de l'autre main. Il rentre d'abord juste le bout de son sexe, l'appelle sa petite salope en lui tirant doucement sur les cheveux. Puis l'écrase contre le mur en lui écartant les reins. Bruits mouillés du dedans-dehors, bonne cadence des ventres qui ont des choses à se dire. Elle s'habitue à lui, chope le rythme et bouge en conséquence. Il balance le coup final et éjacule en grognant. Comme elle sent qu'elle peut rester encore un moment en l'air, elle se branle sans se retourner pendant qu'il se rhabille. Tend son corps quand elle vient, puis se laisse glisser à genoux, le temps de récupérer. Elle l'entend partir, elle ne bouge pas tout de suite. En regardant l'allée, elle se demande ce qu'elle préfère y pratiquer, la levrette ou le carnage. Pendant que le type la besognait, elle a pensé à la scène de l'après-midi, comment Nadine a explosé la femme contre le mur, comment elle s'est fait détruire par le gun. Bestial, vraiment. Bon comme de la baise. À moins que ça soit la baise qu'elle aime comme du massacre. Elle remet ses collants et sort de l'allée. Il fait vraiment trop bon dehors, elle retourne à l'hôtel sans se presser.

10

Le mec à la réception a l'air content quand Nadine descend. Il lui offre une bière, elle s'assoit à côté de lui devant la télé. C'est une toute petite pièce juste derrière le comptoir. La lumière bleue de l'écran lui rappelle le vieux de l'impasse Casino.

Il la détaille discrètement de profil, lui fait la conversation. Ils parlent des émissions télé qu'ils aiment bien. À un moment, il la prend par le menton en lui faisant un compliment bidon, elle rougit, baisse les yeux. Il dit:

– C'est dingue comme t'es timide, toi.

Il l'embrasse, sa langue accélère dans sa bouche, comme pour exprimer qu'il s'excite. Il retourne chercher deux bières. Il est vraiment jovial et content de comment ça se passe, il lui parle comme s'ils étaient deux gamins qui s'aiment bien dans la cour de récréation. Il met sa main sur son épaule, caresse sa nuque. Elle fait attention au frisson qui la traverse, elle aime bien qu'il parle doucement, qu'il fasse de la tendresse. Lui parle comme à une môme. Petite, elle enlevait sa culotte dans la cour de récréation et les garçons pouvaient lui toucher les fesses contre des Carambar. Des séances qui la rendaient furieusement fébrile au bas-ventre, elle ne savait pas encore qu'il fallait se toucher pour en profiter.