Выбрать главу

Karla est debout. Manu a du mal à se redresser. Elle n'a pas envie qu'on l'emmerde. Pas envie d'avoir à faire à cette grosse voix abrutie. Ni à ces pompes pointues. Ni aux mocassins d'à côté, ni aux baskets derrière. Elles ne répondent pas, elles regardent l'eau. Les trois mecs s'approchent:

– Allez, faites pas la gueule, il a dit ça pour détendre l'atmosphère.

– Nous, on vient dans le coin pour se détendre un peu. On voit deux filles et on se dit qu'on pourrait peut-être se détendre ensemble… On veut pas vous mettre mal à l'aise, les filles, on voudrait juste faire connaissance…

Manu se lève. Elle évite de regarder les types. Pas besoin d'y regarder à deux fois pour saisir qu'ils ont vraiment de sales gueules. Petits, teigneux et avinés. Mauvais tiercé pour elles. Karla tire sur sa jupe, elle a l'air franchement gourde. Manu la prend par le bras, fait un signe de tête aux garçons en disant:

– Nous on partait justement, on a un truc à faire. Dommage, bonne continuation…

Celui qui porte des mocassins lui barre le passage:

– T'es sûre que t'as pas le temps pour une bonne partie de jambes en l'air?

Et il plaque sa main sur ses seins. Elle voit Karla par terre, sa gueule écrasée au sol et le mec sur elle – celui qui porte des baskets – lui allonge une putain de beigne en la traitant de connasse.

Elle entend Karla hurler, l'appeler. Elle sent la main de l'autre mec entre ses cuisses lui malmener la chatte. Il dit en rigolant: «Celle-là a pas l’air trop farouche» et il la balance par terre. «Baisse ta culotte et écarte tes cuisses, écarte-les bien, comme ça j'te ferai pas mal avec mon bel engin.»

Elle fait comme on lui dit. Elle se tourne quand on le lui dit. Karla pleurniche et discute, supplie les mecs de ne pas la toucher. Un des types la tient par les cheveux. Il tire sa tête en arrière en la traitant de petite pute. Elle a le visage rouge, congestionné, plein de larmes. Un peu de morve lui coule dessous le nez, et du sang plein la bouche. Quand elle essaie de parler, elle bave du sang. Entre ses dents, ça fait des traits rouges. Un autre type l'attrape par l'épaule, elle se protège la face avec ses bras et tombe à genoux. Tas rabougri et pleurnichard. Terrifié, implorant. Manu dit: «Laissez-la, foutez-lui la paix.» Le mec allongé sur elle rigole et tape avec la paume de sa main sur son nez. Explosion derrière les yeux puis douleur sourde dans tout le crâne. Les autres ont relevé Karla. Ils la tiennent contre le capot de la voiture, ses bras tordus dans son dos. Ils tapent sa tête contre la carrosserie. Plusieurs fois. Ça fait vraiment du bruit, mais personne ne passe jamais par là. Le mec sur elle chuchote:

– Alors, ma puce, qu'est-ce que t'en dis de ma queue? T'as pas l'air de détester ça, hein?

Elle entend Karla prendre des claques entre deux protestations. Elle a peur qu'ils cognent trop, qu'ils la démontent vraiment. Elle a peur qu'elle en crève. Elle lui crié: «Mais putain, laisse-toi faire, cherche pas les coups.» Ça fait rire les garçons: «De toutes façons, ces radasses-là, ça baise comme des lapins… Essaie de l'enfiler par le cul, j’parie que c'est aussi vaste que la voix légale.»

Qu'est-ce qu'ils feront après, qu'est-ce qu'ils feront à la fin? Ils ont l'air violemment raides eux aussi. Et l'alcool ne les rend pas franchement aimables. Ils sont contents d'être ensemble, ils échangent de bonnes vannes, ils ont une activité commune, un ennemi commun. Jusqu'où comptent-ils aller pour se prouver qu'ils sont ensemble? Est-ce qu'ils vont leur ouvrir le ventre ou leur enfoncer un canon de carabine bien profond et les exploser de l'intérieur? Combien de temps ça va les amuser de les mettre en racontant des conneries? Après, ils ont prévu quoi? Manu réfléchit. S'ils se sont déjà mis d'accord, s'ils ont déjà décidé de les faire morfler jusqu'à ce qu'elles ne respirent plus, c'est foutu, ils ne voudront pas se dégonfler. Mais peut-être qu'ils veulent juste les violer. Il ne faut surtout pas leur faire peur, surtout qu'ils ne paniquent pas. Surtout ne pas les provoquer à aller plus loin que des coups dans la gueule et leurs brusques coups de reins. Elle voudrait que Karla se calme, surtout qu'ils ne la butent pas, alors que c'était pas prévu. Surtout rester vivante. Faire n'importe quoi pour rester vivante.

– J'en reviens pas, comment celle-là se laisse faire.

– Faut dire qu'avec la gueule de poufiasse qu'elle se trimballe, elle doit pas se faire empaler souvent, hein?

– Méfie-toi, elle doit pas faire la différence entre sa chatte et un vide-ordures.

– On aurait dû ramener des capotes, on sait jamais… Avec des filles qui se laissent violer…

La vanne les fait rire un moment. C'est un autre type qui vient sur elle; avant de se coucher, il lui fait mieux écarter les jambes en lui donnant des coups de pied à l'intérieur des cuisses. Elle regarde le ciel. Elle attend. Quand il rentre en elle, il dit: «Bouge-toi, bouge ton cul pour bien sentir comme je te baise bien.» Juste à côté, Karla est allongée par terre, son corps secoué par des hoquets, quelqu'un bouge sur elle. Ses jambes sont toutes blanches et molles, étalées de chaque côté. De la terre et de l'herbe font des taches sur sa peau. Le cul du mec monte et descend, blanc avec des boutons rouges et quelques poils noirs. Parfois, il donne des coups plus violents et, chaque fois, Karla crie et ça a l'air de le rendre content. Il a les cheveux gras et les dents pourries sur le devant. Le troisième mec demande à Manu de se retourner. Il dit:

– Essuie ton cul, t'es pleine de terre.

Elle regarde par terre, sur l'herbe il y a un peu de sang à elle, de quand le mec lui a tapé sur le nez. Un autre debout les regarde. Celui qui s'enfonce par-derrière s'énerve:

– J'ai l'impression de baiser un cadavre. Celui qui regarde ajoute:

– Elle a même pas pleuré celle-là, regarde-la. Putain, c'est même pas une femme, ça.

Elle regarde celui qui vient de dire ça, se retourne et jette un coup d'œil à l'autre par-dessus son épaule. Elle sourit:

– Mais qu'est-ce que tu crois que t'as entre les jambes, connard?

Le mec se retire. Elle aurait dû fermer sa gueule. Qu'est-ce qu'elle a eu besoin de la ramener? Le plus petit des deux, celui qui porte des mocassins, dit:

– J'ai même plus envie, elles me dégoûtent trop ces truies. C'est de l'ordure.

Ils disent au troisième de se dépêcher de finir, qu'ils veulent se casser et trouver des filles plus baisables, celles-là sont bonnes pour les clochards et pour les chiens.

Manu est allongée sur le ventre. C'est fini. Elle sent son dos et ses genoux qui font mal. Est-ce que c'est vraiment fini? Elle est encore vivante. Ils vont partir. Elle a mal à la tête aussi. Avec sa langue, elle sent une dent qui bouge.

L'autre remet son pantalon. Ils retournent à la voiture. Manu se retourne précautionneusement sur le dos. Elle n'a pas trop mal quand elle bouge, en tout cas sûrement rien de cassé. Elle regarde le ciel. Elle entend Karla gémir à côté, vague envie de vomir. Mal aux seins aussi… Putain, pourquoi ils l’ont autant cognée alors qu'elle n'a pas résisté? Elle entend Karla ravaler sa morve. Pas envie qu'elle soit là, pas envie de lui parler. Karla réussit à articuler:

– Comment t'as pu faire ça? Comment t'as pu te laisser faire comme ça?

Manu ne répond pas tout de suite. Elle sent qu'elle dégoûte Karla encore plus que les mecs. Comment elle a pu faire ça? Quelle connerie…

Elle les entend démarrer. C'est fini. Elle répond:

– Après ça, moi je trouve ça chouette de respirer. On est encore vivantes, j'adore ça. C'est rien à côté de ce qu'ils peuvent faire, c'est jamais qu'un coup de queue…

Karla hausse le ton, annonce la crise de nerfs:

– Comment tu peux dire ça?

– Je peux dire ça parce que j'en ai rien à foutre de leurs pauvres bites de branleurs et que j'en ai pris d'autres dans le ventre et que je les emmerde. C'est comme une voiture que tu gares dans une cité, tu laisses pas des trucs de valeur à l'intérieur parce que tu peux pas empêcher qu'elle soit forcée. Ma chatte, je peux pas empêcher les connards d'y rentrer et j'y ai rien laissé de précieux…

Karla la regarde, elle a la gueule bien amochée. Elle n'arrive pas à parler. Elle est comme suffoquée. Elle va exploser. Manu corrige au plus vite. Surtout la calmer, surtout ne pas avoir à supporter la crise de nerfs:

– Excuse-moi, j' veux pas en rajouter. C'est juste des trucs qui arrivent… On est jamais que des filles. Maintenant, c'est passé, tu vas voir, ça va aller.

Elle voit Karla debout penchée au-dessus d'elle, avec du sang qui sort de sa bouche et de son nez, l'œil droit gonflé d'où dégoulinent des larmes de rimel. Ses lèvres tremblent:

– Comment t'as pu faire ça?

Elle se retourne et marche sur la voiture qui n'a toujours pas bougé. Elle brandit son poing, elle les insulte en pleurant. Elle hurle:

– Fils de putes, faut pas croire que j'suis comme ça, vous allez payer pour ça, vous allez payer pour ça!

La voiture la renverse de plein fouet. Jamais Manu ne comprendra comment elle a pu courir aussi vite jusqu'à la berge. Comment elle a pu éviter la voiture et courir dans la rue.

9

Il a à peine refermé la porte qu'il lui tripote déjà le derrière. Il se plaint:

– Tu sais que je préfère que tu téléphones d'en bas, des fois que mon fils ne soit pas sorti.

Billets plies sur la table. Toile cirée beige avec quelques trous de clopes et des auréoles brunes, là où ont été posées des casseroles brûlantes sans dessous de plat.

Nadine balance l'argent dans son sac, enlève sa veste et dégrafe sa jupe.