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— Vous avez retrouvé votre maman? me demande-t-elle.

— Oui, merci.

— Vous êtes belge, suisse ou français? s'inquiète-t-elle.

— A votre avis, qu'y a-t-il de pire?

— Français?

— Bravo! Vous venez de gagner une nuit d'amour.

— Avec qui?

— Avec un Français!

Elle éclate de rire.

— Vous habitez l'hôtel?

— Non, chez une tante par mésalliance: elle a épousé un Autrichien.

Et toc, égalité.

— La fille en cuir noir, c'est votre cousine?

— Vous avez paru paniqué, tout à l'heure quand je vous ai parlé d'elle?

— Non, simplement contrarié. Il y a eu une méprise, c'est moi qui devais venir chercher maman à la cathédrale.

Cette converse creuse me déprime. Et puis alors on mange des hors-d'œuvre viennois qui ressemblent à des hors-d'œuvre parisiens, sauf qu'on les clape à Vienne.

Elle me demande ce que je fais dans la vie. Je lui réponds ce qui me déferle par la tronche et que j'oublie sur l'instant parce que ça n'a vraiment aucune importance et n'en aura jamais la moindre.

— Quelque chose vous préoccupe? demanda-t-elle.

— Ça se voit?

— On peut savoir?

— Je me suis lancé un pari à propos de la couleur de votre slip et j'ai hâte de vérifier si j'ai gagné ou perdu.

Elle me regarde bizarrement.

— Français, vous avez dit?

— Entièrement, sculpté dans la masse!

— Oui, cela aussi ça se voit.

Elle continue de claper. Je la trouve vachement belle. Sa beauté croît d'instant en instant, bientôt elle va déborder dans mon kangourou et ce sera l'incendie de Chicago! Mais elle n'est pas encore à l'horizontale, la gosseline. Elle vendait des cartes postales, et aussi des crayons! Pauvre Bourvil! Un type qui chante ça, tu t'imagines pas qu'il puisse mourir. Tous ceux qui font les cons, comme lui, moi et d'autres, devraient avoir droit à une immortalité de faveur. On se grouperait, on aurait gain de cause. Toujours doler en masse. L'avenir, c'est le rassemblement des valeurs. Déjà, on ferait un holdinge avec Cavanna et Boudard, on élargirait notre marché (je sais que je devrais écrire «son» marché, à cause du «on», mais j'ai jamais eu la prétention d'écrire en bon français, je ne suis pas mécanicien-dentiste!).

Quand je dis que ma vendeuse de cartes postales n'est pas encore à l'horizontale, j'entends qu'elle doit faire un tas de gifles avant de se laisser calcer. Faut y mettre les formes. Elle veut qu'on la respecte, tu comprends? Surtout à cause de son négoce ambulant qui fait vachement chip, à première vue.

Les frangines sont attendrissantes: elles se figurent que pour faire respectable, il ne faut pas dire oui tout de suite. Le mecton doit essuyer quelques rebufferies avant la chevauchée cosaque. Comme ça, l'honneur est sauf! Seulement, où je les nique, c'est par ma connaissance profonde et indélébile de la nature féminine. La gerce à qui tu proposes la botte, quand elle te gifle pas, c'est qu'elle accepte. La fière à laquelle tu souris et qui te sourit a déjà un pied dans ton lit et sa boîte de préservatifs à la main. Ce qui s'intercale entre cet instant et la bioutifoule renversée, c'est du remplissage, de l'étoupe, une concession à l'amour-propre. Mais moi, en baiserie, je ne connais qu'une forme d'amour-propre et elle s'opère à cheval sur un bidet.

— Il y a longtemps que vous vendez des cartes postales?

— Depuis ma sortie de la faculté. Je voulais m'orienter vers la recherche scientifique et puis ma mère qui tenait l'éventaire est morte. Alors j'ai continué son petit négoce car il est d'un excellent rapport.

Le destin infléchit souvent nos nobles ambitions. Combien ont abandonné la médecine pour reprendre le restaurant paternel, ou la robotique contre un tir forain? Dans les affrontements picaillons-vocation, c'est presque toujours les picaillons qui gagnent. Le papa de Louis Pasteur aurait tenu un bordel, peut-être continuerions-nous à crever de la rage?

Elle, elle affure en vendant ses petites conneries, tant mieux pour elle. C'est sûrement la sagesse. Il faut pas beaucoup de fric ni beaucoup d'espace pour exister. On croit toujours, à tort, qu'on a besoin de plus. On convoite les grandes propriétés, les grandes bagnoles, les grands honneurs. Quelle culterie! Tu t'éclates davantage avec un studio, un plat surgelé, une 2CV Citroën, et l'estime de ta concierge. Tu vis en tout cas mieux ton vieillissement, cette croisière immobile.

Et moi, le traczir m'empare à propos de Toinet. Ça me gronde dans les entrailles comme après trop de yaourt. Je dis:

— J'aimerais que nous visitions le Luna Park du Prater. J'ai toujours été fasciné par les fêtes foraines. Je déteste les manèges, mais la manière dont s'y comportent les gens me fascine. On dirait qu'ils deviennent fous. Plus rien ne les retient. A compter de l'instant où ils sont assis dans une nacelle tournoyante, ils cessent d'être eux-mêmes.

Elle me répond qu'elle se prénomme Heidi et que oui, elle ne demande pas mieux que de me piloter. Et on continue de deviser gaiement. Elle est très encuriosée par Paris. Elle l'imagine comme la métropole du vice, l'endroit du monde où s'assouvissent les plus bas instincts. Je lui brosse le tableau qu'elle attend car faut jamais décevoir ses terlocuteurs. Toujours abonner dans leurs sens, comme assure Béru. Je lui raconte les belles enculades, le soir, sur les Champs-Elysées, contre les capots des bagnoles, dans l'éblouissement des néons. Je lui décris le solde des putes, en janvier, aux portes Saint-Denis-Saint-Martin: Tout doit disparaître! Deux pour le prix d'une! Je lui narre les infirmières avec leur petite Samsonite qui proposent des piqûres de morphine sur les Grands Boulevards. Je lui bonnis les marchands ambulants qui vendent des godemichés de table en table, dans les brasseries. Je lui explique les petites serveuses de restaurant en culotte fendue qui font des pipes (voire minette) aux clients, sous la table, pendant qu'ils dégustent leur entrecôte marchand de vin. Elle en bouche bée, cette chère petite grand-mère. Elle pousse des exclamations entrelardées d'interjections de consternation. Elle se doutait bien. On lui avait dit que. Mais de là à imaginer…

— Un de ces jours, prenez des vacances et je vous ferai visiter.

Ça la fait frémir. Elle s'imagine déjà, le pot déchiqueté, ruisselante de véroles inguérissables, pustuleuses, à ne plus oser se montrer, avec des chancres en instance, un SIDA pour bientôt, la matrice en portefeuille, les ovaires charançonnés, l'utérus comme un chou à la crème. Elle crie grâce par avance. Se fourvoyer dans un tel lieu! Faudrait être frapadingue! D'autant que la pénicilline lui flanque des allergies, Heidi! Ça me distrait, sa candeur. Ses craintes m'amusent. On goulasche et on s'en va.

Une chose dont je suis bien certain, c'est que s'il est venu en ce lieu de plaisir, Toinet, il aura tâté de la Grande Roue.

Comme la soirée commence à peine, elle n'est point encore assiégée. Juste les Japonouilles de la cathédrale ou bien leurs copains de bureau qui se bousculent pour nikonner en chœur. Ils prennent leurs tickets à la caisse, se ruent dans les nacelles, tout cela sans cesser de faire pétarader leurs putains de flashes.

Quand la horde s'est perchée, que l'immense roue se met à tourner sur une musique de Strauss, je chambre le préposé à l'embarquement.

Histoire d'entrer dans le gras sans avoir à chiquer les plénipotentiaires de Rethondes (qu'allaient-ils faire dans cette clairière!), je commence par lui glisser un fort talbin dans la paume. Il empalme avec surprise mais promptitude et se met à m'interroger du regard. Que veux-je en échange de cette coupure? Une gâterie? (mais je suis accompagné d'une fille), la main de sa sœur? la vérité sur le passé du chancelier Waldheim (1)?