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En guise de préambule, je dépose un bifton libellé en schillings et comportant plusieurs zéros normalement constitués sur son beau sous-main de cuir exténué.

Sa joie n'éclate pas pour autant, mais son anxiété laisse place à de l'intérêt. D'un pouce et d'un merci dédaigneux, il cueille la coupure et la jette dans un tiroir ouvert, comme s'il s'agissait d'une capote anglaise ayant été utilisée par les éléments masculins de toute une classe de terminale.

Comme c'est un homme instruit de la vie, il sait que rien n'est jamais gratuit, et surtout pas l'argent, alors i attend ma requête comme son papa attendait l'Anschluss (sans enthousiasme, mais avec résignation).

— Il me faudrait, pour une durée limitée que je situe à deux heures environ, un homme à peu près de ma taille et de mon âge sans qualification particulière. Je n'attends rien d'autre de lui que de se faire passer pour moi auprès de gens qui ne me connaissent que par ouïe-dire. Je le rétribuerais plus que convenablement.

L'ordonnateur des pompes funestes laisse errer son regard d'apothéose sur ma personne.

— Pourquoi devrait-il se faire passer pour vous, monsieur? questionne-t-il. Je vous demande ça parce que c'est la première chose dont s'informerait l'homme en question.

Moi, une requête comme la mienne, je sais bien que c'est pas avec une histoire de la collection Polichinelle que je la ferai passer.

Baissant le ton, je murmure:

— Je suis harcelé par un maître chanteur, cher ami. Je voudrais pouvoir suivre cet homme après qu'il aura cru m'avoir parlé, vous comprenez-t-il la situation?

Le grave concierge réfléchit puis opine menu.

— C'est délicat, objecte-t-il.

— Très, conviens-je.

— Et cela comporte des risques.

— Je ne le pense pas.

Mais il fait la moue.

— De deux choses l'une, monsieur, fait-il d'une voix de notaire ouvrant le testament de Marcel Dassault; ou bien le maître chanteur marche dans la supercherie et, puisqu'il nourrit de sombres desseins à votre endroit, votre «doublure» risque d'en pâtir, ou bien il l'évente et il y a fort à craindre de son ressentiment.

Je secoue la tête.

— Vous oubliez une troisième chose essentielle, mon bon je serai présent. Dans l'ombre, mais présent.

Le mutisme qui succède constitue un silence pour Comédie-Française, à la fin de Cyrano, quand l'émotion générale empêche le public d'applaudir.

— Pourquoi ne vous adressez-vous pas à la police, monsieur? suggère le concierge.

— Parce qu'il s'agit d'une affaire de femmes, monsieur, et que je ne veux pas risquer d'abîmer l'âme d'un être aimé.

Il est sensible à la tournure, et encore, traduite en allemand elle perd de son charme, comme toujours quand il s'agit de ce langage de merde!

— C'est urgentissime! plaidé-je en déposant u nouveau billet de banque qu'il s'empresse d'accoupler avec le premier, des fois qu'ils feraient des petits.

— Combien proposeriez-vous, monsieur, à celui qui prendrait un tel risque?

— Mille dollars, fais-je, pour deux heures de figuration intelligente, c'est bien payé.

La détermination du concierge m'est bonheur.

— Eh bien, je vais tenter de vous trouver cela monsieur.

Je consulte ma tocante.

— Rendez-vous ici dans une heure. Le Kunsthistorisches Museum est à quelle distance de l'hôtel?

— Vous voyez le Buggarten? Il est situé juste derrière. En un quart d'heure à pied ou vingt minute en voiture vous devez y parvenir.

— Merci, et à tout à l'heure.

Je vais flâner aux abords de l'hôtel Metternich à la recherche d'un œillet.

Ma «doublure» est légèrement plus grande que moi (je devrais dire plus longue), légèrement plus jeune aussi mais, par contre, beaucoup moins intelligente, me semble-t-il à première vue.

Elle est debout dans le hall de l'hôtel devant un tableau représentant le prince de Metternich signant la Quadruple Alliance en 1815.

Le concierge me la désigne d'un hochement de tête:

— La personne qui, peut-être, acceptera votre proposition!

— O.K.

Je vais aborder l'homme.

— Salut, lui fais-je, main tendue, le concierge vous expliqué ce que j'attends de vous?

— Oui, mais pas si vite, je veux savoir où je mets le pieds.

C'est un bourru. Pas très très sympa. D'ailleurs, le gens sympathiques sont de plus en plus rares. L'homme intellectuel se fait trop chier pour rester urbain. La vie le constipe. De même que les Chinois ont les yeux bridés parce qu'ils bouffent trop de riz, ce qui les fait grimacer quand ils vont à la selle, le gus d'à présent a la bouille contractée par les vicissitudes et les contraintes.

J'ai beau lui virguler mon sourire le plus engageant, un sourire dont la plupart des gonzesses se servent pour humecter leurs slips, il reste renfrogné.

— Très simple, fais-je. Vous n'avez qu'à laisser faire, à écouter et à attendre.

Je lui brode, en mieux, mon histoire déjà proposée au concierge: un maître chanteur qui me taraude à propos d'une liaison, nani nanère; moi je veux savoir là où il pioge, alors je le filocherai après qu'il aura eu son entretien avec M. X.

— Et si ça tournait mal pour moi? s'inquiète à juste titre ledit.

Pas fou, le gars.

— Je reste prêt à intervenir. D'ailleurs, il vous suffira de révéler la méprise, vos papiers à l'appui.

Je tire le restant des dollars à Félix, comme dirait ma concierge, j'en compte cinq cents que je tends au type.

— Fifty à la commande, fifty à la livraison. Ce sera l'affaire de pas une heure.

Comme il encaisse la fraîche, j'en déduis qu'il se rallie à mon panache tricolore, aussi lui piqué-je un bel œillet rouge à la boutonnière.

— Vous attendrez, à partir de onze heures sur la première marche du Kunsthistorisches Museum. Une ambulance surviendra et s'arrêtera devant vous. Vous monterez dans le véhicule par l'arrière. Je vous suivrai à distance.

— Je n'aime pas beaucoup cela, murmure ma doublure.

A dire vrai, moi non plus. Le zigman que m'a déniché le concierge, crois-moi, n'a pas un pneu crevé et réalise parfaitement qu'il y a danger quelque part. Il doit avoir besoin d'artiche pour accepter la jolie sinécure que je lui offre.

— N'ayez pas de souci, mon cher, le réconforté-je. Si vous éprouvez la moindre inquiétude pendant cette opération, il vous suffira de dire la vérité à votre interlocuteur: il en a après moi, pas après vous. A propos, parlez-vous le français?

— Non.

— Tâchez d'en prendre l'accent, malgré tout, si vous avez à parler. Nous avons le temps de boire un drink au bar, ça vous dirait?

— Je préfère après.

— Alors nous en boirons deux. A tout à l'heure.

Il ne répond pas.

Je stoppe le long des grilles du Buggarten et me mets à réfléchir. Tu m'objecteras qu'on ne se «met» pas à réfléchir car nos pensées nous pilonnent l'esprit continuellement. Pourtant je planifie des instants propices à la méditation. Une sorte de gymnastique mentale afin de me rendre disponible à une forme de réflexion bien déterminée. Certes, au bout d'un moment, mon dispositif foire sans que j'en aie conscience, néanmoins il me reste chaque fois quelque chose de positif dans la caberlinche.

Je me dis qu'avec mon dragage de la petite Heidi, je me suis filé sur les endosses un excédent d'embrouilles n'ayant aucun rapport avec l'affaire Félix. J'ai plongé dans une combine de prostitution artisanale. Le Conrad, s'il a des accointances avec le Mitan viennois, ne les aura pas mobilisées pour entrer dans mon jeu, mais seulement pour m'arnaquer les dix mille dollars. Cela dit, va-t-on jusqu'au meurtre pour s'approprier une somme aussi (relativement) modeste? Puisque la gosse m'avait engourdi l'auber, il leur suffisait de mettre la clé sous le paillasson pendant quelques jours pour me baiser complet, sans recourir aux grands moyens. Donc, s'il a recours à ces grands moyens, c'est parce que l'histoire a pris un prolongement. Il se pourrait que les amis du chourineur sachent des choses sur les donzelles que je cherche et qu'ils les aient prévenues, passant ainsi délibérément à l'ennemi. Y a des précédents!