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Alors je me trouve dans l'incommode situation qui est de suivre en étant suivi! Un cas, non? L'ambulance continue son tracé. Elle emprunte une route secondaire à une bifurcation et ralentit pour s'accommoder des ornières ravinant le chemin. C'est là que je risque d'être relouché par ses occupants. J'attends au carrefour qu'elle ait pris du champ dans la plaine jusqu'à disparaître derrière un vallonnement… A quelques centaines de mètres derrière moi, la Mercedes tuméfiée attend également… Là, je t'avoue que ça devient angoissant. Si j'écrivais de la musique de film, j'écrirais un truc drôlement suintant, espère! Ça donnerait de la contrebasse à cordes et du saxo. Des effets en chambre d'échos, en veux-tu, en voilà!

Je repars mollo. Le chemin un peu cahotant traverse une étendue champêtre. Une fois le mamelon franchi, j'aperçois un village au loin, avec son église à bulbe et des grosses maisons à colombages. L'ambulance s'y dirige, mais stoppe à un kilomètre environ de la localité. L'endroit compose une sorte de carrefour, créé par mon chemin et une autre route plus importante qui doit rejoindre la nationale que je viens de quitter. A l'intersection des deux voies il y a une construction caractéristique: deux pompes à essence, des tubes de pneus, un grand atelier éclairé par une verrière et, derrière, dans une espèce de vaste terrain vague, une accumulation de voitures d'occasion.

L'ambulance klaxonne. Quelqu'un, en combinaison kaki, fait coulisser la grande porte de fer qui ferme l'atelier et le blanc véhicule pénètre à l'intérieur. La porte est refermée. Une infinie tranquillité règne sur ce lieu. Jouxtant le garage, une maisonnette pimpante aux tuiles rouges. Devant la façade se trouve un ban de jardin peint en rouge bordeaux sur lequel est assise une jeune femme. Un landau de bébé est arrêté contre le banc. La femme berce l'occupant du landau en pesant régulièrement sur son bord. La jeune mère est en manteau, because la froidure. Elle écoute la musique diffusée par un transistor posé à son côté. Image sereine. J'enregistre tout cela tandis que je continue d'avancer au ralenti, me demandant ce qu'il convient de faire. Si je m'arrête, l'alerte sera donnée illico et ma feinte à Jules n'aura servi de rien. Alors?

Je passe devant le garage et emprunte la route de droite. J'avise, à quelques centaines de mètres, une espèce de bâtisse recouverte de tôle ondulée. Elle est ouverte sur tout un côté, découvrant un vaste local où sont entreposées des bottes de paille. Au culot, j'pénètre avec mon carrosse et remise celui-ci à côté d'un engin agricole pareil à un monstrueux insecte et qui devrait être une moissonneuse.

Au boulot, mon Tonio! Si tu veux en savoir plus sur les Autrichiens qui bougent, tu dois te remuer le prose!

Pour commencer, je cherche la Mercedes verte, mais elle a disparu. Peut-être ai-je niqué son conducteur en virant brusquement à droite et en planquant ma tirer Le champ qui s'étend devant le grand hangar succède l'espace où sont entreposées les guindes d'occase. Je me rends compte qu'il m'est aisé de gagner l'atelier du garage par-derrière, sans être vu, pour peu que je prenne quelques précautions. D'où je suis, je perçois les échos du transistor de la jeune mère. Il mouline de valses viennoises, comme de bien entendu. Ça parai suave et reposant, Strauss; mais ça peut vachement souligner la tension, dans certains cas. D'ailleurs, le réalisateur d'Odyssée 2001 ne s'y est pas trompé qui choisit Le Beau Danube Bleu pour accompagner son périple dans les galaxies. Ça fout le vertige, la zizique à trois temps! Le tourbillon, tu comprends? Grisant au début, il peut devenir fatal s'il perdure.

C'est au son de cette musique romantico-neurasthéniante que je traverse le parking. Nonobstant la gravité de l'instant, mon intérêt pour l'automobile est si vif que je ne puis me défendre d'admirer au passage certains vieux modèles de chignoles disparus de nos routes depuis des décennies. Alors, les pare-chocs étaient de vrais pare-chocs, la carrosserie en vraie tôle, et le châssis plus costaud que celui d'un char d'assaut. Maintenant, la voiture n'est plus qu'une illuse. Un objet d'exposition. Un truc bien peint, avec des lignes «actuelles» et des gadgets à la con qui t'engueulent si tu fermes mal une porte et te donnent l'âge du capitaine dont t'as strictement rien à branler en pilotant. Ils sont tombés d'accord depuis lulure, tous, de fabriquer des tires dont la durée limite est de cinq piges. Passé ce délai, faut les jeter. Société de consommation oblige. Société de consumation, oui! Faut-il qu'on soit tous cons et fumiers pour être tombés si bas! Happés par l'hydre infernale! Boulottés, déféqués! Les robots c'est nous, les gars. Reste plus qu'un peu de bibite et des coins d'âme, de-ci, de-là. Sinon, finito! Skip, la lessive, va au-delà de la propreté: jusqu'à l'hygiène (qu'avant Skip on étaient de fiers dégueulasses cradoches de partout!); l'homme, lui, va au-delà de Dieu désormais, jusqu'à la matière. Avant, tout ce qu'on pouvait lui trouver à redire, c'était l'étron qu'il pondait chaque matin. A présent, il EST la merde! Et il produit des cartes perforées. Il baise par Minitel, cette géniale infamie! Grosse queue cherche petite chatte! Que dis-je, même pas. On fait l'amour sur écran. Suffit de se bonir des insanités! Putain, ce que j'ai honte! Honte pour ma dignité, honte pour mon zob! A quoi ç'aura servi que le bon Dieu Ducros II se décarcasse? C'est Einstein qui a dit «que Dieu ne bégayait pas»? En ce cas, il serait temps qu'Il monte à la tribune, sinon Il risque de ne pas repasser aux prochaines érections.

Dès lors que je crachouille cette petite philosophie secours, me voici parvenu derrière le garage comprends-tu-t-il? Sans problo. La valse s'endiable. Le Karajan de service va baguette plus vite qu'un Rotary. Les cuivres y vont à fond la grosse caisse. Mais n'a mesure au fur que je me suis approché, j'ai cru, par delà les flots mélodieux, percevoir des cris. Accroupi contre la cloison du garage (seconde porte coulissante livrant accès au parking d'exposition), je m'applique très doucettement à pousser celle-ci de deux centimètres afin de mater l'intérieur. Ce que j'asperge me hérisse les poils occultes.

Oh! la scène!

Ils sont quatre, plus ma doublure. Deux portent blouses blanches, le troisième est le garagiste combinaison caca d'oie et le quatrième un homme frêle, sanglé dans un manteau de cuir noir et coiffé cru feutre également noir, à large bord. Il a passé des gants de cuir et chaussé son nez de lunettes à verres teintés (chausser son nez est une expression très zuzitée dans le roman d'action auquel j'ai l'honneur d'appartenir, ce qui m'oblige par esprit de confraternité à utiliser des mots ou tournures de phrases qui me font pisser dans mon froc quand je les relis).

La scène dantesque est comme ça: les hommes ont attaché ma doublure sur l'établi de l'atelier après l'avoir dépouillée de son pantalon et de son slip. Les «infirmiers» lui tiennent les miches écartées tandis que le garagiste a introduit le bec de son gonfleur de pneus dans le fion du malheureux. De temps à autre, il lâche une giclée d'air comprimé dans les intestins du pauvre type et c'est cela qui le fait crier. L'homme au manteau de cuir lui pose des questions. Il a une voix fluette d'eunuque. Quand j'arrive, il demande: