— Oui, oui, balbutie le vilain, terrorisé. Soyez sans crainte. Je disais ça…
— Pour plaisanter?
— Oui, pour plaisanter.
— Eh bien! ne plaisantez plus! Là-dessus, tous les trois, vous allez battre les environs pour vous assurer que ce damné Français ne s'y trouve pas. Notez bien que je rêve de lui mettre la main dessus! Je compte sur vous!
Les trois hommes sortent par la porte de devant. M'est avis, Sana, que tu devrais planquer tes noix, mon grand. Je mate autour de moi. J'aperçois les voitures parquées soigneusement, briquées à mort, pimpantes. Me dissimuler dans l'une d'elles? Hum, s'ils décident de les visiter, je serai pris comme un rat. Ils me videraient un chargeur dans la viandasse sans que j'aie pu manifester ma réprobation. Alors?
Vite! L'idée! Cher ange gardien, ne joue pas au con! J'entends déjà les pas des gaziers qui se rapprochent. Bon! Tout m'arrive au bulbe avec une précision d'ordinateur. Je dois réaliser cette action en moins de dix secondes. Primo: ouvrir davantage la porte. Heureusement, le rail en est bien huilé et je l'écarte de trente centimètres sans faire de bruit. Deuxio, j'ouvre le couteau du gars Conrad. Cela fait, je l'empoigne par la lame. Je me rappelle t'avoir dit que, pour accomplir une délicate mission de cornecul, j'avais suivi des cours de lancement de ya. Ceux-ci m'avaient été dispensés par un vieux malfrat surdoué en la matière. La môme Tout-cuir me tourne le dos. Elle est occupée à fourbir son pistolet, car c'est une vraie pro qui nettoie son rasoir électrique après usage. Je me dresse par l'ouverture de la lourde et vise son épaule. J'aime pas faire du mal aux dames, mais quand tu viens d'assister à des assassinats de ce style, Emile, tu te sens démuni de toute pitié.
Vzziiiif, fait la saccagne en filant au but.
Hhhan! fait la nière en la recevant sous l'omoplate.
Je pénètre dans l'atelier, referme la lourde et bondis sur la gonzesse. Moi, pas de flafla: directo un crochet au menton. Un vrai, pas le modèle fillette, le modèle champion du monde poids lourds! Ça craque et elle est foudroyée. Première partie du coup de main réussie.
Quelle aventure, madoué!
Je t'ai raconté l'histoire de la chèvre en chaleur q n'arrivait pas à joindre les deux boucs? Non? Tu sais pourquoi je te l'ai pas narrée? Je la connais pas!
Bon, que faire à présent? Pas le temps de perplexer Tonio, mon grand. Tu es ciblé, faut poursuivre. Je te parie un leader contre un dealer que tu vas prendre ta décision avant les grandes vacances.
Oui, c'est ça pas d'autre soluce. Je ferme les portes arrière de l'ambulance, coltine la gonzesse sur le siège passager, achève d'ouvrir en grand la lourde donnant sur la route et vais me mettre au volant.
La fille en cuir pend, dans la chignole. Elle ne tient que par la ceinture de sécurité que je viens de lui boucler. Je démarre doucement et m'avance jusqu'au seuil de l'atelier. Coups de périscope rapides. Sur la droite, j'aperçois l'un des infirmiers. Les deux autres mecs restent invisibles. La jeune mère continue de bercer son lardon au milieu de ce carnage. Alors j'opte pour la gauche qui est l'itinéraire que j'ai pris en venant et je décarre sans problo. Dans le rétro, je vois la petite maman qui se dresse de son banc pour mieux me regarder filer. J'accélère progressivement; parvenu au sommet du mamelon évoqué naguère, je mets la sauce et bombe comme un fou en direction de la nationale.
Ouf! Je suis arraché, mais à quel prix! J'ai une conscience de papier chiotte usagé c'est à cause de ma feinte que trois hommes sont morts! Note qu'il n'y en aurait eu qu'un seul si cet enviandé de concierge n'était pas allé me balancer aux archers. Enfin, inutile d'épiloguer.
C'est beau de foncer, mais pour aller où? L'hôtel, il n'y faut plus songer. Chez les poulets, avec la gonzesse blessée et leur chargement de collègues défunts? Ils risqueraient de trouver mon rôle étrangement bizarre, non? Et pendant ce temps, Toinet, Félix, la mère Foule-moi sont entre les griffes de ces tigresses! Je commence à glaglater férocement pour eux car nous avons affaire à des paroissiennes qui n'ont pas froid aux carreaux.
Parvenu à la nationale de départ, je décide de gagner Vienne. Ce que j'y maquillerai quand je l'aurai atteinte fera l'objet d'inspirations ultérieures. Pour l'instant, ce qui importe c'est de me garer de ces pieds-nickelés et d'avoir la gonzesse à disposition. T'ai-je indiqué qu'avant de filer j'ai empoché son feu? Non? Ben, je.
Et ça me réconforte mieux que de la menthe forte. Quand tu fais la guerre, t'aimes avoir des armes, sinon t'es trop humble et tu manques de conviction.
Je n'ai pas parcouru quatre bornes que j'avise dans mon vade retro viseur Satana, une Porsche lancée à toute vibure. Et moi, tu connais mes prémonitions? «Ça, mon Tonio, me dis-je, c'est sûrement les complices de la môme qui rabattent. Justement, y avait une Porsche bleu métallisé toute pareille à celle dans le parking d'exposition.»
J'enclenche la sirène de mon ambulance et me voilà, pied au parquet de la tire, à fendre la bise de la forêt viennoise. Seulement, une Porsche, hein? T'as beau champignonner à mort, prendre les pires risques et pisser contre les feux rouges, hein?
Elle gagne, la garce! Lorsqu'elle s'est considérablement rapprochée, je peux distinguer en effet les deux infirmiers derrière le pare-brise. Ils n'ont même pas pris le temps d'ôter leurs blouses blanches!
La chignole sport me rejoint et entreprend de me doubler. Je me dis qu'il va y avoir distribution de valdas. Et puis non: les lascars me passent, puis se rabattent devant ma pomme. Celui qui occupe la place du passager a longuement maté l'avant de l'ambulance. Il a repéré sa patronne et c'est la raison pour laquelle il n'a pas défouraillé. A l'allure où je roule, un boudin éclaté pourrait avoir des conséquences fatales pour la dame.
O.K., mais alors, quelle tactique comptent-ils adopter? J'accélère, me disant que s'ils n'en font pas autant, je vais leur filer un grand coup dans les miches. Ils s'empressent de forcer l'allure. La circulation est assez fournie. Dommage, sinon moi je les aurais volontiers pralinés pour les expédier dans le fossé; mais ça risquerait de provoquer un monstre accident et il y a eu assez d'innocents rectifiés comme cela.
La belle campagne déferle de part et d'autre. Un soleil timide d'avant-printemps avive un peu les couleurs de la nature… Et bibi, je roule en touillant des pensées si cacateuses que même avec moi tu leur rendrais pas l'éclat du neuf.
On va où, commako? Et ça donnera quoi quand je stopperai?
La môme Pur-Cuir est toujours inanimée. Détail crueclass="underline" elle a encore le couteau de Conrad dans la viande. Heureusement qu'elle se tient penchée vers le tableau de bord, sinon la lame pénétrerait plus profondément. Pour lui retirer ce cure-dents de sous son omoplate, faut avoir ses aises, s'y prendre mollo. Et il serait bon qu'un médecin s'en chargeât.
Je mate au loin. Bientôt la ville. Agis, Sana! Agis, déconne pas! Et brusquement, voilà que mes deux gaillards d'avant se mettent à foncer comme des lévriers. Qu'est-ce qui leur prend? Ils décramponnent? Changent de tactique?
Je ne tarde pas à piger. Ces deux salopards, tu sais quoi? Non, mais écoute ça: ils rejoignent deux motards de la police qui roulent devant nous, au loin. Le grand jeu! Gonflé, non? Et j'ai la raie du dos qui sert de cheneaux à ma sudation spontanée. Résume ma posture, Arthur: je pilote une ambulance qui ne m'appartient pas, à l'intérieur de laquelle se trouvent trois policiers assassinés. J'ai pour passagère une femme inconsciente avec un poignard fiché entre ses côtelettes. Mes empreintes figurent sur le manche et la lame du dit et le pistolet ayant tué l'un des poulets se trouve dans ma poche. On a déjà vu des erreurs judiciaires reposer sur des éléments moins solides, non? A ton avis, Louis?