Plus un poil de sec, l'Antonio bien-aimé! Pour se tirer du merdier qui se prépare, va falloir beaucoup prier, et pas du Notre Père bâclé, surtout! Promettre d'aller à Lourdes! Et puis de visiter les vieillards infortunés dans les hospices pendant dix ans au moins! Promettre également de ne plus baiser que son épouse légitime (comme j'en ai pas, va falloir que je m'en achète une, ou bien que je fasse abstinence!).
Moi, dans ces cas extrêmes, je branche le pilotage automatique et m'en remets au guidage radar. A vous les commandes, Seigneur gentil. Vous m'avez arrangé les bidons jusqu'à présent, continuez! Tu crois qu'Il se fait prier? Pourtant, Il a l'habitude de l'être, non? Carrément, Il traverse la route au nez des capots survenants. Y a du bruit de freins, ça espère! Je faille dérouiller un camion citerne dans les badigoinces. A l'heure qu'on me met sous presse, le conducteur, un certain Ernst Haben, de Salzbourg, est encore en train de flouzer dans ses hardes, tellement qu'il a eu les chocottes. Père de quatre enfants, dis, ça craint! Une vieille mère paralysée à charge, une deuxième mère dans une maison de retraite et une troisième dans l'enfance! Tu mords un peu la tragédie?
Je viens de me faufiler dans un chemin qui sinue entre des maisons de banlieue. Constructions modestes mais confortables. Y a nobody dans la rue, biscotte les occupants sont à la jaffe choucrouteuse.
Le Seigneur, toujours mansuéteur, oblique à présent dans une grande cour bitumée, au pied d'un petit immeuble locatif de deux étages. On a tracé des rectangles à la peinture blanche sur l'asphalte et chacun de ceux-ci comporte les lettres et les numéros d'une plaque minéralogique de voiture. Je stoppe l'ambulance derrière le mur et vais aux quelques autos stationnées. L'une d'elles est toute chaude encore et ses clés de contact pendent au tableau de bord. En vitesse, je récupère la môme inanimée et la transbahute de l'ambulance dans la BMW brune. N'après quoi, le Seigneur m'incite à prendre place au volant et à rebrousser rue. Lorsque je rallie la grand-route je ne vois plus rien d'inquiétant. Chose à peine croyable, ma manœuvre désespérée et téméraire n'a pas été vue de mes tourmenteurs, occupés qu'ils étaient d'alerter les perdreaux. Il y a dû avoir ces trois secondes d'inattention au cours desquelles ils m'ont perdu des yeux pour aborder les matuches. Le temps qu'ils se retournent j'avais disparu. Comme quoi, si tu ne crois pas en la providence c'est que t'es rien d'autre qu'un potiron pourri sur pied. Soucieux de ne pas réitérer mon exploit sur traversée de bande blanche continue, au lieu de poursuivre sur Vienne, je vire à droite et repars en sens contraire. Tu sais, dans mon foutu métier, faut pas craindre les fausses manœuvres. Je roule peinardos quelques kilomètres quand un motard me dépasse comme s'il courait le Bol d'Or et qu'il ait juré à sa bonne femme de le gagner. Bien entendu, il m'accorde aucune attention, vu que c'est une ambulance blanche qu'il cherche, le nœud.
Je vais mon petit bougre de chemin. La fille reprend enfin ses esprits. Quelques gémissements avant-coureurs me donnent à penser que je vais pouvoir envisager bientôt une instructive conversation avec elle. Le chemin sur la droite part en direction de la forêt d'un vert presque noir. On va toujours renifler un peu de chlorophylle, ça nous fera du bien.
Une lumière végétale règne entre les fûts. Je par cours un ou deux kilbus pour m'enfoncer au cœur de grands bois. C'est plein d'allées cavalières, mignonnes clairières proposant des bancs. Il y a même, au centre de l'une d'elles, un abri de rondins couvert de chaume avec des tables et des sièges de ciment. remise la voiture de l'autre côté de ce kiosque charmant' et me renverse sur le dossier de la banquette.
Je suis exténué, j'ai faim, mes mains tremblent. Franchement, on aurait dû aller à Abano rejoindre Félicie.
DESSINE-MOI LA MARCHE À SUIVRE
— Ne vous agitez pas, Miss Meurtre, fais-je à la fille en cuir, vous avez un couteau sous l'omoplate droite.
Elle gémit. Tourne vers moi un visage délabré, creusé par la douleur où se lisent la souffrance et la haine.
— Je vous le retirerais bien, poursuis-je, mais je crains de commettre une fausse manœuvre. On m'a toujours dit qu'il ne fallait pas arracher l'arme blanche de la plaie, si l'on n'est pas toubib, sinon on risquait de faire des conneries, genre hémorragie, vous voyez ce que je veux dire?
Je bâille.
— Notez que, le temps passant, l'infection doit s'y mettre. Bien sûr, il vous faudrait l'hôpital et un chirurgien.
Je passe ma dextre par-dessus l'accoudoir nous séparant et palpe ses fringues pour m'assurer qu'elle ne détient pas d'autres armes. Rassuré, je descends de bagnole et m'approche du kiosque pour promeneurs bucoliques. Drôlement équipés, ces Autrichiens. Kif les Suisses et les Allemands. Il y a le téléphone contre les chiottes aménagées près de cet abri à piqueniqueurs.
Je sors de ma poche la carte que m'a remise la réception de l'hôtel Metternich et qui comporte le numéro de ma chambre. J'ai de la mornifle et il m'est loisible d'appeler l'établissement.
— M. Jérémie Blanc, je vous prie! fais-je à la standardiste avec une telle autorité que, s'il n'était pas encore arrivé, elle me le passerait quand même.
Mon guignolet bondit en entendant l'organe de Jérémie.
— Dieu soit loué, Négus! exclamé-je, tu es à pied d'œuvre.
— Depuis exactement quinze minutes.
— Et le Gros?
— Il vide le mini-bar de la chambre. Où en es-tu?
— Jusqu'aux lèvres.
— Quoi?
— Je veux parler de la merde. Je baigne jusqu'au lèvres dedans, mon pote. Un écureuil y ferait tombe une noisette, ça y est, j'en avale!
Je lui fais un résumé des récents événements.
Il m'écoute en silence. Temps à autre, je perçois l'organe de mêlé-casse du Mammouth qui réclame d'être informé et prétend s'emparer du combiné M. Blanc le rebuffe sèchement avec des «Fais pas chier, gros con» qui en dit long sur la qualité de leur relations.
— Blanchounet, poursuis-je, vous allez devoir vous manier la rondelle pour me sortir de cette fosse d'aisance. Primo, louer une fourgonnette toute affaires cessantes. Secundo, quitter Vienne par la route de Gratz. Lorsque vous aurez traversé une localité appelée Verredekirsch, vous ralentirez. Environ quatre ou cinq kilomètres plus loin, vous prendrez un chemin forestier à droite. Il est indiqué par un sapin stylisé peint sur un panneau blanc. Je crois me souvenir que peu avant ce chemin, il y a, en bordure de route, un hostellerie neuve flanquée d'une espèce de tour qui représente un moulin à vent. T'as bien pigé?
— Au rasoir, mon drôle.
— Parfait. Vous pénétrerez dans la forêt et continuerez jusqu'à ce que vous aperceviez une clairière équipée d'un kiosque en chaume. Une voiture est stationnée derrière ce kiosque et ton serviteur vous y attend déjà.
Je raccroche. Un sentiment rose et tiède, qui ressemble à un début de bonheur, m'enjolive l'instant. Savoir mes deux potes à quelques kilomètres, prêts à voler à mon secours, me dope. Je commence à reprendre confiance.
En sifflotant, je vais reprendre ma place derrière le volant de la tire empruntée. C'est pas pour m'apitoyer en vain, mais la fille ne me semble pas au mieux de sa forme. Ça ronfle laidement quand elle respire. Son souffle est court. Doit avoir un pneu crevé, la mère, et son poumon droit roule sur la jante. Si on tarde à la soigner, elle va droit aux complications pulmonaires.
Manière de lui casser les nerfs, au lieu de la questionner bille en tête, je branche la radio. Ils donnent les cours de la Bourse, ce qui m'a toujours laissé froid comme un nez de chien vu que les seules actions que je pratique sont celles (bonnes ou mauvaises) que me propose la vie courante. Je tripoune les boutons pour sélectionner de la musique et je me fixe sur un «ensemble» en train de rocker L'Oiseau de feu de Stravinski, ce qui est assez plaisant. Et ensuite, le même groupe interprète (c'est le mot puisqu'il traduit) l'Ave Maria de Schubert Roger.