— Démerde-toi pour sortir du camion, Gros! lancé-je rapidement. Dès que tu seras dans le local, neutralise ce couple et va voir dans les pièces adjacentes.
Quant à moi, je dois affronter la badauderie accourue aux renseignements. Comme je suis juché sur le plateau, ces bonnes gens m'interrogent.
— Aucun accident corporel! les déçois-je. Inutile de prévenir la police, les gens de l'intérieur sont en train de s'en occuper.
Ayant calmé le danger, de ce côté-ci, j'observe les agissements du Gravos. Il est en train de se scalper en franchissant le cadre du pare-brise, biscotte les tessons de verre. Le grand mec blond l'agonise comme un perdu. Il les a à la caille de voir débouler un camion dans leur antre. C'était pas prévu sur son cahier des charges, l'artiste!
Comme Béru ne comprend pas l'allemand, il se contente de clopiner bas en direction du gazier en se massant les hanches. Il geint à fendre du bois et à perdre haleine, mon Gros. Tout juste s'il ne chiale pas.
Le gars continue de vociférer. Alors Big Apple y va de son mémorable coup de boule. C'est chaque fois une sorte de chef-d'œuvre. Un mouvement animaclass="underline" mi-bouc, mi-taureau (Béru, quoi!). Une amorce de charge avec, le ponctuant, un formide mouvement de tronche. Quand t'as dégusté ce boutoir dans le portrait, plus la peine d'aller te faire photomatonner: les clichés qui en résulteraient ne seraient pas utilisables pour un document officiel. Fectivement, le grand blond cesse immédiatement de se ressembler. Il a la bouche en forme de steak tartare au centre duquel on ménage un trou pour le jaune d'œuf; et puis son nez naguère rectiligne ressemble maintenant au pouce d'un gant de boxe. Il titube, cherche, tel Atlas, un point d'appui pour soulever le monde et, n'en trouvant pas, s'écroule.
Mon Gros, ça ne lui a pris que deux secondes un tel exploit. Déjà il «s'occupe» de la gonzesse. Pour elle, c'est le coup du timbalier qu'il lui a réservé. Une double claque simultanée, avec les deux mains à la fois. En serre-livres! Ça doit lui rétrécir la frimousse de cinq centimètres! Elle aussi va à dame. Pépère se retourne vers moi et, le pouce brandi, me confirme son triomphe.
— Contrôle-les avant de sortir! lui crié-je.
Vu que t'as des natures retorses qui récupèrent en un clin d'œil. Mais il sait la vie aussi bien que moi, mon berger fidèle. Alors: un shoot délicat à la nuque du type: un second plus nuancé, à celle de la fille. Content de soi, il redresse son chapeau cabossé par l'impact, le recoiffe et se dirige vers la porte restée ouverte.
Mais avant qu'il ne l'ait atteinte, deux événements surviennent. L'un positif, l'autre négatif. Le positif c'est l'apparition de Toinet. Le môme paraît un peu chiffonné.
— Tonton Béru! s'écrie-t-il.
Et il se précipite dans les bras du Gravos, très ému. Ce faisant, il bloque les mouvements de notre illustrissime compagnon à un moment où celui-ci en aurait grand besoin! Car l'événement négatif se produit: à savoir le retour des deux «infirmiers» et du garagiste qui nous coursaient. Bredouilles, ils viennent de rallier leur base et, crois-moi, ce retour est extrêmement inopportun. Une brève période d'indécision suit leur entrée.
Ahuris, ils contemplent cet avant de camion dans le gymnase, puis ce gros mec avec l'enfant dans les bras. Cette dernière image leur révèle illico que «l'accident» est, en réalité, un coup de main. Alors le plus gros des infirmiers dégaine son pistolet-mitrailleur, celui qui, naguère, m'a regardé au fond des yeux. Il hurle au Mastar de lever les mains. Béru qui n'a pas eu l'opportunité d'apprendre le boche depuis son entrée fracassante en ces lieux, met du temps à réaliser. Seulement, quand un vilain t'aboie après en brandissant un calibre pour travailleur de force, une certaine interprétation s'opère, fût-ce dans des cerveaux réalisés par M. Bouygues. Voilà pépère qui repose le lardon sur le tapis-brosse et qui cherche à saisir les nuages.
Et moi, dans tout ça?
Moi? Viens, tu vas voir!
Tu sais, dans les dessins animés, la scène clé? Le chat qui poursuit la souris, ou le chien qui course le rat?
A une allure supersonique, je saute du camion. Le temps de crier aux badauds:
— Dispersez-vous, je crois que le réservoir d'essence va exploser, afin de les dissuader de prendre ma place.
Je vais à l'angle de la rue. Vire une première fois à gauche! Puis une seconde. Et une troisième en fin de compte de manière à parvenir dans la cour précédant le gymnase. La camionnette de mes ex-poursuivants s'y trouve. Je fonce à la lourde. Elle est fermée, mais je ne me sépare jamais de mon sésame. Cric! crac! Merci, Jehanne d'Arc!
Un palier avec des portes à bloundi donnant sur le local. Elles sont munies de deux hublots, comme celles qui permettent l'accès à une salle de cinoche. Je regarde et m'aperçois que mister Dodu trempe dans un bain de gadoue assez pas mal! L'un des infirmiers l'a ceinturé et lui maintient les bras dans le dos, tandis que les deux autres l'estourbissent avec leurs crosses! Courageux comme un lion, le Toinet flanque des coups de pied dans les jambes des deux tagonistes, qu'à la fin il a droit à une beigne qui l'étend, mon loupiot!
Il est temps d'interviendre, Sana! Sinon, ce qu'il subsistera de ton brave Béru pourra être rapatrié en France dans une cantine militaire! En loucedé j'écarte les portes. Flingue en pogne, je vise le jarret du plus méchant. La vacca! Ça lui fait exploser la rotule! La douleur est si violente qu'il s'évanouit, le pleutre!
— Lâchez vos armes, vous êtes cernés! gueulé-je d'une voix de stentor vénitien.
L'Antonio, toujours émérite, a pris soin de se coucher derrière les deux portes. Eh bien lui en biche car le deuxième «infirmier» a volté pour un arrosage express. Y a plein de petits trous dans les panneaux de bois.
— Et après? lancé-je d'un ton si glacé qu'il me flanque la chair de poule!
Courageux, le gonzier s'avance. Prêts à se faire buter à l'œil, ces mecs enchapitrés! Il a ramassé le feu de son pote. Un dans chaque pogne, il a des espérances de vie! Faut que je me le plombe. Seulement, avec ces foutues portes à va-et-vient, c'est pas du gâteau aux amandes! Si je pousse un vantail pour pouvoir défourailler, il balancera le potage en grand!
Le salut, tu sais de qui il m'arrive?
De la pompiste, mon vieux! Textuel! Figure-toi qu'elle a récupéré, la garde, et la voilà qui bieurle «Johan» en apercevant son vieux.
De saisissement, l'homme aux sulfateuses se retourne. Et c'est sa perte!
Moi: Poum! Poum!
Une bastos dans chaque épaule. Que tu dirais un épouvantail dont le manche à balai transversal serait tombé!
Béru profite de la conjoncture pour faire une clé au garageo avec son coude et lui beurrer le pif et les mirettes de gnons percutants. La femme vole au secours de son julot en brandissant la pioche.
— Gaffe-toi, Gros! hurlé-je.
Il fait un saut de baleine, arrache l'outil des mains de la Marie-Thérèse et le lui plante carrément dans les pensées! N'a jamais eu la reconnaissance du bas-ventre, Béru! Elle s'écroule morte, avec cette barrette de dix kilos dans les cheveux! Toinet m'accourt contre.
— Tonio! fait mon loustic en m'arrivant dessus.
— Salut, petit mec; où sont les deux ancêtres?
La vieille est morte: ils l'ont découpée en rondelles pour essayer de faire parler Félix!
— Et Félix?
Il me désigne la seconde porte.
— Il était là, ce matin encore, mais on l'a emmené.
Je me précipite vers la pièce qu'il m'indique. J'y découvre un lit de fer flanqué d'une table d'émail, comme celle qu'on utilise dans les hôpitaux pour y déposer des fioles et du matériel chirurgical. Les draps du lit sont souillés de sang, mais, effectivement le père Félix ne s'y trouve plus.