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— Il y a que ces billets ont été écrits le même jour ! Fais-je.

Grane se lève, contourne son bureau et se penche par-dessus mon épaule.

— Sur quoi vous basez-vous pour affirmer une telle chose ?

— Prenez la loupe. Ça se voit à l’œil nu, mais prenez-la tout de même !

Il prend la loupe.

— Le type a écrit avec un stylo à encre. Il y avait une saleté après la pointe du stylo. Un petit bout de poil ou une grosse poussière. On le voit très bien à certains empâtements qui reviennent dans les déliés, c’est-à-dire dans les remontées de la plume. Or il ne s’agit pas d’un défaut fixe de la plume, car cet empâtement est inégal. Et, de plus, il se déplace. Voyez cette boucle de « L » ici : l’empâtement est à gauche et, là, il est à droite. Conclusion : il y avait une légère saleté au bec de la plume. Croyez-vous qu’on garde une saleté des semaines à la pointe de son stylo ?

Il se masse le menton.

— Non, évidemment.

— En plusieurs semaines — elles nous sont données par l’étalement des meurtres —, le criminel aurait été obligé de remplir son stylo, car, même s’il ne s’en servait pas beaucoup, l’encre se serait évaporée. Et, en remplissant le stylo, la petite saleté aurait fichu le camp. Vous pigez ?

— Très bien.

Il retourne s’asseoir.

— Tous les billets écrits le même jour ?

— A la file, oui !

— Et pourquoi ? demande-t-il.

Je souris.

— Peut-être parce que l’assassin avait, ce jour-là, sous la main, un type sachant écrire le français et qu’il en a profité pour stocker les petits billets.

Comme un automate, Grane verse à boire. Il vide son verre et me regarde.

— Ça voudrait donc dire…, commence-t-il. Je me lève et ramasse mon chapeau.

— Ça voudrait simplement dire que le meurtrier des taxi-girls est n’importe quoi, sauf Français ! Déclaré-je avec un petit sourire heureux.

Je porte deux doigts à ma tempe droite.

— Salut, Grane, je continue. Et je vous tiendrai au courant, comme de bien entendu !

CHAPITRE VI

« Le poulet-cocotte ! »

Je pars du building poulet d’une démarche de gladiateur, mais je suis un tantinet moins fiérot lorsque je me retrouve sur le macadam.

En un temps record, j’ai défriché un peu le terrain ; seulement je suis un peu moins fracassant, car je ne sais plus du tout que faire.

Faut comprendre ! En réalité, je suis seul dans cette ville tentaculaire. Tout seul comme un toutou perdu. Maintenant, je sais que je ne puis compter d’une façon vraiment effective sur la police, because la police d’ici a ses chouchous et elle fait gaffe où elle pose ses grands pieds. J’ai contre moi le clan Maresco qui ne doit pas savourer outre mesure mon entrée de cirque dans son burlingue. Lorsqu’il saura que je suis allé briser les nougats à Seruti, il montrera les chailles, c’est officiel. Et je vous parie le bouton de jarretelle de Greta Garbo, la Divine, contre un préservatif d’occasion que, dès demain matin, Grane, le brave Grane, me convoquera gentiment dans son cirque et me demandera non moins gentiment de mettre l’océan Atlantique entre Chicago et moi !

Probable qu’il doit regretter amèrement sa brillante initiative. Il donnerait son amygdale gauche pour ne pas m’avoir fait venir.

Plus je gamberge à ce blot, plus je me dis que la police d’ici a demandé mon concours afin de faire plaisir au public et, surtout, pour renforcer l’idée qu’il s’agit d’un sadique de nationalité française. Tout en réfléchissant, je gagne mon hôtel.

Au moment où j’y pénètre, quatorze gnaces assis dans le hall se dressent et m’entourent. Ils ont des appareils photographiques et mâchent du chewing-gum, ce qui indique clairement que j’ai affaire à des journaleux.

Le pire, c’est qu’ils croient parler français. Ils m’accablent de questions, le magnésium crépite… Je suis aveuglé, assourdi, bousculé…

Celui qui jacte le françouze le plus potable me dit qu’ils veulent une interview de moi. Est-ce que j’ai une idée sur l’affaire ? Est-ce qu’il y a beaucoup de sadiques en France ? Est-ce la spécialité de la maison ?… etc.

Je lui réponds que je n’ai rien à dire et je lui demande qui a rencardé la presse sur ma présence ici.

Il me dit qu’ils ont été avertis par un coup de tube anonyme. Je serre les poings ! Probable que c’est un coup à Maresco ou à Seruti, ce qui revient au même. Ces sagouins se sont dit qu’en me flanquant cette meute enragée dans les guibolles, ils m’écœureraient en paralysant mes gestes.

J’essaie d’abord de leur échapper à coups d’épaules, mais je comprends vite qu’il ne faut pas y compter. Un paquet de journaleux, à Chicago, c’est une hydre. On lui coupe une tête, il en repousse instantanément une autre !

Le mieux, c’est de leur refiler la matière d’un papelard. Pourquoi, après tout, ne leur dirais-je pas ce que je sais ? Cela donnerait à réfléchir à l’assassin.

Je déballe donc la totalité du paquet. Tout y passe : les sept billets rédigés simultanément, la fille butée ailleurs que dans le taxiphone, tout !

Je vais jusqu’à parler de Seruti, vieille connaissance de la police parisienne. Ils en ont pour leur salive, les vaches !

Leur culot aidant, ils vont me tartiner quelque chose de soigné !

Enfin, je finis par leur glisser des pattes. Et je me fais propulser dans ma chambrette pour y prendre une nouvelle douche, car toutes ces allées et venues m’ont fait transpirer et je tiens à me présenter nickel chez Cecilia. J’ai bien droit à une petite soirée de délassement. Non ? Depuis que je suis arrivé, j’ai pas arrêté de cavaler de gauche à droite !

Il est huit heures lorsque je redescends, parfumé comme un slip de marié !

Je cramponne un taxi en lui colloquant l’adresse de ma blonde secrétaire. En cours de route, je me fais arrêter devant un fleuriste et je fais l’emplette d’une botte de roses crème absolument sensationnelles.

Je les tiens à la main au moment de sonner, ce qui ne contribue pas à me donner l’air spirituel.

Elle habite au douzième, Cecilia… dans un bel immeuble cossu.

Elle vient m’ouvrir en pantalon gris perle et chemisier saumon. Elle a un foulard jaune paille autour de la glotte et sur le ventre, un tablier blanc grand comme une pochette.

— Entrez vite ! me dit-elle.

Je lui tends ma boîte volumineuse.

— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle avec cet air faussement surpris qu’ont les sauterelles lorsque vous leur apportez un cadeau.

— Voici des fleurs, des feuilles et des branches. Et puis, voici mon cœur qui ne bat que pour vous !

Elle pousse une exclamation ravie.

— Comment avez-vous su que j’adorais les roses ?

— L’amour rend futé !

Elle secoue la tête.

— L’amour ! Hé là ! Comme vous y allez !

— Cecilia ! M’exclamé-je sur un ton de reproche, vous qui n’avez peur de rien, auriez-vous peur d’un mot ?

— Qui sait ?

— Un tout petit mot…

Je lui chope le menton.

— On l’utilise beaucoup chez vous, n’est-ce pas ? demande-t-elle.

— Oui, mais à bon escient !

— Allons, dit-elle en se dégageant, laissez-moi, j’ai un dîner sur ma cuisinière.

L’appartement est gentil.

Un living-room dans le style nucléaire, avec des meubles qui ressemblent à des figures géométriques en couleurs. Une chambre, une cuisine-salle d’eau entièrement carrelée en bleu pâle. C’est net comme un magasin d’exposition, avec autant de personnalité qu’une cabine téléphonique.