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— Installez-vous ! Me crie-t-elle.

Il s’échappe de bonnes odeurs de la cuisine. C’est réconfortant. Décidément, l’Amérique a du bon. J’accroche mon bada à un portemanteau représentant une tête de cygne stylisée. Puis je me coule avec précaution dans une sorte d’énorme tulipe, également stylisée, qui a la prétention d’être un fauteuil.

On n’y est pas mal du tout.

— Servez-nous deux Martini ! dit Cecilia.

A portée de paluche, il y a un bar roulant aussi biscornu que le reste de l’appartement.

— Vous aimez le style moderne ? Je questionne.

— Devinez ! fait-elle.

Elle arrive pour vider le verre que je lui ai préparé : un doigt de Martini dans un poing de gin.

— Vous n’aimez pas ?

— C’est-à-dire qu’à côté de mon vieux pavillon…

Je regarde autour de moi.

— J’ai un peu l’impression d’avoir mis le pied dans la lune.

Ça la fait marrer.

— Ce que vous êtes amusant !

— N’est-ce pas…

— Vous avez faim ?

— J’ai toujours faim, et toujours soif. Chez moi, c’est un mal chronique.

— Devinez ce que je vous ai cuisiné ?

— Du soja ?

— Non ! Du poulet à la crème !

— Sans blague ? On sait cuisiner, chez vous ? Je croyais que tout était en boîte !

— Mais il était en boîte !

Je ne me marre pas.

— Ah ! Bon…

— Vous savez dresser un couvert ?

— Je sais tout faire.

— Alors, les assiettes sont dans ce meuble !

Le poulet à la crème en boîte n’est pas mauvais, il faut le reconnaître. Vous faites frire des oignons dans du beurre et vous versez le contenu de la boîte dans la casserole pour le chauffer. Cuisine expresse, résultats satisfaisants !

Et consommation au whisky, s’il vous plaît !

Je siffle les deux tiers de la bouteille de scotch que Cecilia m’a fait déboucher. Elle siffle le troisième tiers. Elle en sifflerait un quatrième s’il y avait plus de trois tiers dans un flacon.

Telle qu’elle est, elle est bien partie, et moi aussi.

Je me dis que le moment est venu de lui parler un peu de certaines vieilles coutumes françaises.

Je pose mon verre vide et je la rejoins sur le divan. Elle a posé son coquin petit tablier blanc. Elle a un peu de feu aux pommettes.

Je passe mon bras sur son épaule et je l’attire contre moi. Sa bouche a une consistance qui me plaît. Pas trop ferme et pas molle, pourtant. Elle est fraîche ! Ça vaut tous les dentifrices à la chlorophylle que vous pouvez imaginer !

Sa langue est agile. Bref, tout ce qui est utile en société, elle le possède.

Vous n’auriez pas achevé de lire votre horoscope sur votre hebdomadaire habituel que ce que les vieilles tordues appellent « l’irréparable » est déjà accompli.

On est en route pour le septième ciel, Cecilia et moi. Et de la façon dont nous nous démenons, nous n’allons pas tarder à y parvenir !

Je vous le dis, on fait la pige aux ascenseurs express ! Le terminus est un éblouissement !

CHAPITRE VII

« Ça sent la poudre ! »

Cecilia n’est peut-être pas la championne du mimi mouillé, mais elle a pour l’amour des dispositions surnaturelles. Je lui fais mon grand jeu : la torpille nippone, le bouquet de violettes, le frisson papou. Elle fait un cirque du tonnerre. Ses cris sont si perçants qu’à un moment donné je monte l’amplificateur du poste.

Lorsque je la laisse choir, elle est aussi flasque qu’une douzaine de limandes.

Vous parlez d’une séance !.. Si jamais je signe pour une tournée à travers l’Europe, ne manquez pas de retenir votre jeton huit jours à l’avance, ça vaut le coup d’œil !

Je lui dépose un gros bécot sur la bouche, un dernier, sans passion, un baiser d’adieu.

— Bonne nuit, Cecilia… Fais de beaux rêves…

Elle a un soupir :

— Vous partez ?

— Oui, je vais à mon hôtel.

— Restez ici…

— Non, j’ai besoin de prendre l’air ; après l’amour, l’animal est triste !

Elle est tellement vannée qu’elle ne proteste pas. Je rectifie ma toilette et je quitte l’appartement sur la pointe des pattes.

Dans le couloir, j’aperçois deux mecs à allure bizarre. Je n’y prête pas attention parce que, des mecs à allure bizarre, il y en a plein les rues.

Ces deux-là se dirigent vers l’ascenseur, tout comme moi. Je parviens à leur hauteur et nous formons un petit groupe devant la porte. L’un a appuyé sur le bouton d’appel. Quelques secondes s’écoulent et il ouvre la porte. Je suis un peu surpris, car il l’ouvre sur le vide. Mais je comprends rapidos. L’autre gnace qui, par une rapide manœuvre, est passé derrière moi, me flanque un coup d’épaule pareil à un coup de boutoir. J’ai l’impression d’essuyer la charge de la brigade sauvage ! Ma pensée fonctionne à quinze cents tours-seconde ! Je vois l’immense carré noir de la cage d’ascenseur qui vient à ma rencontre ; je tends les bras, mais sans parvenir à agripper quoi que ce soit. Puis, c’est le grand valdingue, en grenouille, dans les profondeurs. Mon subconscient me dit en vitesse que je suis fini. Venir à Chicago pour crever dans un trou, c’est un peu pénible sur les bords, vous ne pensez pas ?

J’ai encore le temps de penser que nous sommes au quatorzième étage. Lorsque j’atterrirai, je serai disloqué comme une poupée de son lorsque douze chiots ont joué avec elle !

Et, presque aussitôt, je sens un choc maison.

Je repose sur une surface plane.

« Bon Dieu ! Me dis-je, je n’ai pas descendu quatorze étages. »

Je suis sur le toit de la cabine, indemne. Juste un nerf un tantinet froissé, autant dire le gros miracle. Je ne bronche pas. J’attends en me disant que mes agresseurs se sont peut-être bien aperçus que la cabine n’était pas au rez-de-chaussée. Mais ils ont fait la valise rapidos à l’autre bout du couloir où se trouve le second ascenseur. Par mesure de sécurité, je laisse s’écouler quatre à cinq minutes que j’emploie à frotter ma cuisse endolorie et à penser à tout ça.

Puis je me souviens que les ascenseurs, ici, sont munis d’une trappe permettant de les évacuer en cas de panne. Reste à savoir comment fonctionne cette trappe ! Je la délimite et je sens une poignée. Je tire. Elle s’ouvre comme la porte d’un meuble de cuisine, car elle est à va-et-vient. Je pénètre donc dans la cabine de la façon la plus aisée qui soit après la grande porte. Puis j’en sors enfin et je m’époussette. Je suis au treizième, c’est-à-dire que je n’ai dégringolé qu’un seul étage. Or, les étages sont courts, ici, et le toit de la cabine est moins dur que du bitume.

Mon ange gardien a traversé l’Atlantique en ma compagnie, c’est un gentil petit mec.

Comme je suis salement écœuré par les ascenseurs, je me tape les treize étages à pince. Pour succéder à une séance d’amour à grand spectacle, c’est un peu beaucoup !

J’ai les flûtes en flanelle de coton en arrivant en bas. Heureusement, un bar me tend les bras.

Je lâche mon mot de passe :

— Double scotch.

Le garçon obéit avec empressement, car j’ai parlé net. Je potasse mon petit lexique et je dis, après avoir vidé mon glass :

— Again !

Le barman remet ça et je continue de jouer aux vases communicants. Quatre whiskies dans la bedaine, c’est une bonne compagnie pour un homme dans mon cas.

Je me sens remis à neuf. Je cigle et je sors.

La nuit est bien belle, avec beaucoup d’étoiles au ciel et beaucoup de néons dans les rues.