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Je biche un taxi et je lui ordonne de me conduire au Cyro’s. Tandis que je cherche de la morniflette pour le casquer, une fois arrivé, un crieur de journaux passe, en hurlant. Je ne pige rien à ses cris, mais, en première page du canard qu’il brandit, je reconnais une photo de femme. Elle tient quatre colonnes à la une. Pas moyen de se gourer. J’achète un journal. Ma faible connaissance de la langue anglaise et mon intuition me permettent de lire le titre et le sous-titre :

« Le Français a frappé une huitième fois ! Une nouvelle taxi-girl est abattue à son domicile. »

Et, juste dessous, il y a le portrait de la souris que j’ai calcée la nuit d’avant. Elle a l’air vachement vamp, là-dessus. Je me rappelle avoir vu cette photo contre le mur de sa chambre. Elle a été tirée par un photographe spécialisé dans le portrait de pin-up. Ce gars-là, il sait travailler, parole ! C’est le superman du contre-jour. Vous lui refilez une centenaire et il vous en extrait une photo sexy.

Un champion, je vous dis !

Un super-champion !

Cette mort et mon plongeon dans l’ascenseur sont du même tonneau. La pauvre môme a bien été butée à cause du Français, mais, le Français en question, c’est bibi. Le boy-scout de Grane n’a pas été à la hauteur.

Je jette le canard car, ici, ils sont tellement mahousses, les baveux, que vous ne pouvez pas les cloquer dans votre poche.

Puis j’entre au Cyro’s.

Maintenant, les lieux me sont familiers. Je fends la foule des danseurs, contourne l’estrade de l’orchestre et pousse la porte du couloir.

Un escogriffe du type argentin, vert comme une olive, avec des rouflaquettes en pointe, s’interpose.

— Seruti, please ! Fais-je sèchement.

Ça ne lui suffit pas, il fait des magnes. Il me barre le couloir en mettant ses ailerons en croix. C’est une fâcheuse idée pour sa gonfle. Un type dont les bras sont écartés appelle pour ainsi dire le crochet du droit à la mâchoire. Je lui mets tout le paquet. Ça fait comme lorsqu’on lâche un sac de noix. Ses chailles jouent la danse macabre. Quant à lui, il se répand sur le tapis.

Je pousse une lourde, la première venue. Elle donne sur un réduit dans lequel sont entreposés des instruments de musique.

Je traîne ma victime par le collet dans ce coinceteau et je lui plonge la tirelire dans une grosse caisse crevée.

Voilà une bonne chose de faite. Il y a longtemps que je n’avais pas billé dans le portrait d’un truand.

Je reviens au couloir et me dirige vers la porte du bureau. J’entre sans frapper. A quoi bon prendre des manières élégantes avec des gens qui sont aussi peu cordiaux ?

Seruti est en train de téléphoner. Il est tourné de profil et ne se donne même pas la peine de regarder de mon côté. Sans doute croit-il qu’il s’agit de son escogriffe ?

Je lui laisse achever sa petite conversation, après quoi je m’assieds sur le coin de son bureau.

Il a un haut-le-corps et me regarde exactement comme si j’étais la réincarnation de Ravaillac.

— Non, Seruti, dis-je doucement, ça n’est pas mon fantôme.

— Que… que voulez-vous ?

— Discuter à cœur ouvert avec toi, mon chéri.

— Mais…

— Non, plus de mais entre nous, trésor.

Je cramponne sa cravate de la main gauche et je la tords, ce qui, illico, le fait devenir écarlate. De la droite, je me mets à lui administrer une kyrielle de beignes sur le museau. Des allers et retours… Je ne m’arrête que lorsque ma main est endolorie. A ce moment-là, il ressemble à un mec qui s’est engueulé avec une douzaine de kangourous. Son pif saigne, ses lèvres éclatées aussi. Il a une paupière fermée et les joues violettes.

Ma main est maculée de sang. Je sors de sa poche le fin mouchoir de soie blanche parfumé et m’essuie après.

Avant de lâcher sa cravate, je cueille son feu dans son holster. Il faut toujours se méfier des réactions d’un lâche. Parfois, il leur vient comme des accès de courage désespéré.

— Ceci, dis-je enfin, n’est qu’une légère mise en train, mon trognon. Je voulais simplement te montrer que je suis décidé à parler net.

« Nous allons donc bavarder en amis. Inutile de tricher, je sais que tes potes ont buté la môme dont je t’ai parlé tantôt. Cette souris a été mise en l’air à cause de moi, elle m’a servi de test. Maintenant, j’ai la preuve que tu es étroitement mêlé à l’affaire des meurtres. Toi et ta bande, vous avez eu peur que la môme ne m’ait parlé. Alors, vous l’avez occise et vous avez voulu me liquider itou pour annuler le coup. Mais on ne bute pas San-Antonio facilement, je suis un dégourdi dans le genre de Raspoutine. Pour m’avoir, faut y mettre le prix ! »

Il est hagard. Son œil unique est injecté de sang. Il me fixe avec terreur.

— J’ai fait exprès de te parler de cette fille, Seruti. C’était un piège, elle me servait d’appât. Je voulais voir si vous aviez quelque chose à cacher. Mon plan était de la faire protéger par la police, mais les flics sont dégourdis comme des manches. C’est malheureux. Mais sa mort m’apprend que j’avais mis dans le mille. Et l’attentat dont j’ai été victime aussi. Maintenant, les brèmes sont abattues, parle !

Il balbutie :

— Je… je ne sais rien…

— Sans blague ! Tu serais amnésique, Seruti ? A ton âge ? T’as reçu un choc ou quoi ? On m’a raconté qu’un nouveau choc rendait parfois la mémoire aux amnésiques, qu’est-ce qu’on risque d’essayer ?

Je lui téléphone un parpin sur la tempe. Il bascule. Je le rebiche au moment où il va s’écrouler.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu tombes dans les pommes dès qu’on te parle un peu fort ?

Notez qu’il est toujours assis dans son fauteuil pivotant et que je l’ai admirablement à ma poigne.

— Parle !

— Je ne…

Il n’a pas le temps de finir. Mon crochet du gauche le foudroie nature !

Il part à la renverse, le fauteuil s’incline. Je m’écarte de lui pour le laisser à son évanouissement et me dégourdir un tantinet les tiges.

Je fais quelques mouvements de culture physique élémentaire. Ensuite, je me mets à la recherche d’un flacon de raide. Il est facile à dégauchir, Seruti est assez porté sur le biberon. J’en torche une vaste lampée et je fais couler un peu de liquide corrosif entre les dents du Rital. Il ne tarde pas à pousser un soupir.

Il rouvre son œil valide.

— Alors, fais-je, ce voyage au pays des songes ?

Il a la bouche pâteuse et il claque de la langue difficilement.

Je lui tends la bouteille.

— Tiens, remets-toi !

Il attrape le goulot, boit longuement. Sa glotte monte et descend dans son cou maigre comme un yo-yo.

Et, brusquement, il a une détente. Il lève la bouteille et cherche à me l’abattre sur le dôme. C’est raté, car je suis bien plus haut que lui. Si j’avais été à sa hauteur, j’y allais de mon aubergine !

Je lui arrache la bouteille et je lui file un coup de genou sous le menton.

— Tu es turbulent, Seruti… Ça te perdra.

Il saute comme un chat hors de son fauteuil. Il a l’air bien décidé. Sans que j’aie eu le temps d’intervenir, une lame brille au bout de ses doigts. J’avais un peu oublié qu’il était Rital. Les Ritals naissent avec un ya à la main, la chose est connue !

— Pose ce cure-dents, fiston, ou alors ça va barder pour ta couenne !

Mais il joue son va-tout. Il y a maintenant le fauteuil entre lui et moi. Et, au lieu de me foncer dessus, il recule. J’ai compris, c’est un lanceur. A vingt pas, ils vous plantent une lame dans le cœur aussi facilement que vous sucez une feuille d’artichaut.