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En soupirant, il me tend son feu : un Colt magnifique.

— Prenez celui-ci et donnez-moi l’autre.

Je retourne à la pêche. Je prends la blague, la pose sur le lavabo afin de la faire égoutter, et je lui tends l’arme.

Il la glisse dans sa poche en disant :

— Les balles…

Je récupère mon arsenal et il le glisse dans son autre poche.

— On vous a vu, au Cyro’s ?

— Je comprends.

— Qui ?

— Votre inspecteur, Stumm.

Grane fait la grimace.

— Je n’aime pas beaucoup ça. Il est malin.

— C’est aussi mon avis. Du reste, il m’a fait remarquer que je sentais la poudre.

— C’est bon, j’aurai une conversation privée avec lui. Je crois, San-Antonio, voyez-vous…

Il se tait.

Je le regarde en plein dans les carreaux et il rougit un peu.

— Vous disiez que vous croyiez, Grane ?

— Je crois que votre venue ici est un pas de clerc. J’entends, de ma part. Vous l’avez dit, le meurtrier n’est probablement pas français. Ici, nous avons des méthodes. à part. Nous devons, hélas, tenir compte de certaines influences… occultes…

— Bref, fais-je, vous n’avez que faire de ma bonne vieille psychologie. Vous voulez rester entre vous dans vos meurtres, n’est-ce pas ?.. Vous me trouvez un peu turbulent, hein ?

Il ne répond pas.

— Écoutez, Grane, dis-je en lui prenant le bras, je suis certain que vous êtes un honnête homme et un brave type. Vous souffrez de cet état de choses et, en votre for intérieur, vous aimeriez que la lumière éclate. Eh bien, écoutez-moi : elle se fera ou j’y laisserai ma peau. Si vous me connaissiez, vous sauriez qu’on ne m’intimide pas facilement. Tout ce que je vous demande, c’est de me laisser aller de l’avant. Si vous craignez pour votre situation, rompons les ponts.

Il hésite.

— Vous êtes très courageux, fait-il, seulement, vous ne pouvez comprendre en quelques heures nos mœurs. Il y a des puissances…

— Occultes, vous l’avez dit.

— Des puissances d’argent influentes. C’est ainsi. Je ne critique pas notre régime, il en vaut beaucoup d’autres. Il suffit seulement de comprendre le système et de savoir s’y intégrer.

— Bref, de laisser faire, de la boucler lorsque des Maresco font les gros yeux.

— En somme, oui.

— Bien. Moi, je ne suis pas un gars d’ici. J’ai un passeport en règle et un permis de séjour en bonne et due forme. Je peux donc voir venir.

— A condition de ne pas vous servir à tort et à travers de ce joujou, objecte Grane en tapotant sa poche.

— Je ferai attention. Vous me blanchissez pour cette fois ?

— C’est la dernière, San-Antonio. Vous voilà prévenu.

Il se lève.

— Ici, lorsqu’on s’obstine dans la voie que vous prenez, on se retrouve à la morgue avant d’avoir compris ce qui vous arrive !

Je le chope par le colback.

— Grane, vous commencez à fienter dans mes bottes ! Moi, j’étais à Paris, peinard. Je faisais mon boulot gentiment et je me foutais de vos gangsters et de vos tueurs. Qui a demandé le concours d’un collègue français pour l’étude « psychologique » du cas ? Ça faisait joli, pour la presse. Non ? Je parie que c’est vous qui avez alerté les reporters !. Cela détournait la rage du populo. Il est docile, le populo, il regarde le lapin qu’on lui désigne. Avouez que c’est vous, Grane.

Il hausse les épaules.

— Ce sont mes chefs, oui. En effet, le public est mécontent de notre « incapacité ». Ici, il faut du nouveau. L’Amérique est le pays où l’actualité a le plus besoin de se renouveler. Je n’y peux rien, et vous non plus !

— Bravo !

Je rengaine ma fureur.

— N’empêche que j’ai fait des milliers de kilomètres pour venir jouer les divertissements. Eh bien non ! Je me pique au jeu. Le policier français venu pourchasser le criminel français fera son boulot.

Il est pâlot, le frangin.

— Très bien, fait-il, mes vœux vous accompagnent, San-Antonio.

Il hésite, puis me serre la main.

— A un de ces jours, dis-je.

Maintenant, me voilà face à face avec bibi. C’est un tête-à-tête qui en vaut un autre, après tout !

Comme on dit dans notre douce France, je dois prendre mes responsabilités. En somme, c’est un gentlemen’s agreement que nous venons de conclure, Grane et moi.

Il éponge le meurtre de Seruti, mais, en revanche, il se déculotte pour l’avenir. A partir de maintenant, je ne peux plus compter sur lui.

Je dénoue ma cravate et je vais à la fenêtre. La ville immense est étalée autour de moi. Je la sens qui grouille, hostile, avec ses assassins, ses filles, ses flics effrayés.

Dire que je me fendais le parapluie lorsque je voyais ça au ciné !

Je baisse le store et commence à me déloquer. Je revêts un bath pyjama de soie bleue qu’une greluche de la Garenne-Bezons m’a offert.

Il se boutonne sur l’épaule, à la russe.

Là-dedans, j’ai l’impression d’être un officier du tsar en exil ! L’exil ! C’est un drôle de machin !

Je consulte ma tocante. Elle annonce timidement deux heures du mat’.

Allons, la journée a encore été rude. Le sommeil va me rebecqueter. M’est avis que demain matin j’y verrai plus clair et que je pourrai statuer sur mon cas d’une façon précise.

Je vide un dernier petit godet et je me fous au plumard.

La fatigue m’enveloppe comme un drap de crin.

Et Paris tournique au fond de mon cerveau comme un bouchon dans un remous.

Oui, je suis groggy. L’amour, la bagarre, les chutes dans les cages d’ascenseur, au fond, ça délabre. J’éteins.

Avant de sombrer, je parodie un peu Turenne.

« Repose-toi, carcasse, murmuré-je. Et n’aie pas les chocottes, si tu savais où je vais t’emmener promener tout à l’heure, tu les aurais à zéro. »

CHAPITRE IX

« Je rends mes billes »

Le grésillement du téléphone. J’ouvre les yeux. A travers les stores filtre un beau soleil des familles.

Je bigle ma montre avant de décrocher. Elle annonce huit heures.

Ça n’est pas une heure pour rendre visite à un honnête citoyen. A moins que les visiteurs ne soient des bourdilles. Qui sait, peut-être Grane n’a-t-il pas tenu parole ? Peut-être m’a-t-il laissé choir comme une vieille chaussette hors d’usage ?

Ce serait farce si je me tapais dix berges de mitard pour l’assassinat de Seruti.

Je décroche. Le portier de jour qui parle un solide français me dit :

— M. Maresco voudrait vous voir.

Je me frotte les châsses.

— Qui ?

— M. Maresco.

Et il prononce ce nom avec ferveur, comme s’il s’agissait de la reine d’Angleterre.

— A quelle heure propose-t-il un rendez-vous ? Demandé-je.

Le portier distille des points d’interrogation et de suspension alternés.

— Mais, bredouille-t-il, IL EST LÀ !

Du coup, j’en avale ma salive de traviole.

Maresco s’est dérangé en personne !

— C’est bon, qu’il monte.

Je passe une robe de chambre en tissu-éponge à motifs compliqués. Puis je sors mon soufflant de mon holster et je le glisse sous un coussin, à portée de la main.

Un petit heurt discret à la porte.

Je vais ouvrir.

Il est là, en effet. Je l’avais imaginé encadré d’armoires à gueules de boxers ; mais il est seul. Nippé comme un dandy. Costume gris perle, chemise blanche, cravate bleu foncé.