Non, je n’arriverai à rien. Si je n’arrive à rien, Maresco me fera distribuer des jetons de calibre 45, et si j’arrive à quelque chose, ce sera du même tabac, parce qu’au point où en sont les choses, il ne peut pas laisser papillonner à travers l’univers un flic au courant de ses combines clandestines. Donc, la seule chose qu’il me reste à faire, c’est de tout plaquer et de garer mon lard.
Déjà, ça, c’est coton. Si j’arrive à fausser compagnie aux deux armoires qui m’escortent, je connaîtrai les transes d’un outlaw. Toute la meute galopera après mon pétrousquin et ce sera un drôle de cri dans la région, moi, je vous l’annonce sur papier timbré !
Pourtant, les idées, c’est comme les pelotons de ficelle : à force de les tripoter, on finit par les choper par le bon bout.
« A toi de jouer, bonhomme ! » me dis-je.
Je commence à prêter l’oreille. Le Dick, maintenant, s’en donne comme une escadrille. C’est un vrai meeting à lui tout seul. Et faut croire qu’il a le sommeil aussi épais que son intelligence, car il ne m’a pas entendu tomber du page.
Je biche doucettement le lampadaire. C’est une tige de bois. Elle se dévisse en son milieu. Je me mets donc à la dévisser. Bientôt, l’objet est en deux morceaux, seulement reliés par le fil électrique passant à l’intérieur.
Du moment que le lampadaire est éteint, c’est que le jus n’y est pas. Vous êtes d’accord ? Je saisis un cendrier de verre posé sur la tablette du divan. Je le tortille dans ma couverture et je le casse. Ça se passe sans bruit. Je chope le plus gros tesson de verre et je l’utilise comme une lame pour trancher le fil électrique. J’y parviens très aisément. Lentement, je fais remonter la boucle de la menotte et je la dégage. Dick ronfle toujours.
Je retiens ma respiration pour ne pas perdre le moindre bruit. Je me glisse hors du divan et je rampe sur la carpette dans la direction du dormeur. Le jeu consiste simplement à le neutraliser sans éveiller le copain qui occupe la chambre voisine dont la porte de communication est ouverte.
Heureusement, une enseigne lumineuse filtre à travers le store. Elle tombe juste sur la face du costaud.
Je me mets droit devant lui. Je prends bien mon temps, comme font les forts à bras de village qui veulent enregistrer leur force sur les punching-balls à cadran.
Je serre mon poing droit, je bande mes muscles ; je me cale bien sur mes jambes, de profil, et puis, vlan !
Parole, c’est le plus beau taquet de ma vie. J’en ai balancé des chouettes, mais une livre avec os de cette ampleur, le grand Sugar n’en a jamais dépêché de semblable !
Mon poing explose sur la tempe de Dick. Il ne pousse pas un cri. Son ronflement déraille et s’achève pas un ridicule reniflement. Il part en avant et je le redresse d’un coup de genou sous le menton. Comme ça, il a le bon poids et ne peut écrire une lettre de râlage à la direction… Groggy, qu’il est, le biscoteux. Quand il se réveillera, dans une demi-journée, il aura l’impression d’avoir reçu l’Everest sur le coin de la figure. Une confiture de marron pareille, ça vous change les idées pour un bout de temps !
Et tout ça s’est déroulé sans bruit. Enfin, avec le minimum !
Je masse de ma main gauche mes phalanges endolories, puis, lorsque je parviens à refaire jouer mes articulations, je fouille les vagues du mec pour récupérer la clé des poucettes.
Elle est dans la poche de son gilet. Je libère mon poignet. Ouf ! Je me sens un autre homme. Rien de tel que l’action pour vous tonifier un zouave ! Pendant que j’en suis à le vaguer, je chauffe son morlingue et son artillerie. Le portefeuille contient quelques centaines de dollars, ce qui suffit pour le moment.
Bon, maintenant, s’agit de liquider l’autre tordu et de retrouver mes fringues.
Je passe dans la chambre voisine à pas de loup. Mais l’autre a dû percevoir quelque chose, car il se retourne dans son page.
Il baragouine quelque chose en anglais, d’une voix pâteuse. Puis il donne la lumière. Il a l’air ahuri en m’apercevant. Je ne lui laisse pas le temps de se demander de quelle couleur était le cheval blanc d’Henri IV. D’un bond, je suis sur lui. Je le chope par la gargane tandis que lui fouille sous son oreiller pour y attraper sa machine à effeuiller les extraits de naissance.
Un drôle d’oiseau !
Ce qu’il pense de moi, il ne veut pas me le dire avec des fleurs !
« Fais vite, bonhomme ! Me supplié-je, ou alors tu vas écoper d’une praline où tu mets la main lorsque tu reçois ta feuille d’impôts ! »
Et je fais vite. Je serre son cou avec une rage folle. Je sens craquer des machins cartilagineux sous mes doigts. Le gnace glousse et devient mou.
Je porte ma main sur sa poitrine : son battant s’est arrêté. J’ai un peu forcé sur la manette des gaz. Il a avalé son extrait de naissance alors que je voulais seulement le maîtriser.
Cette fois, je suis dans le jus de boudin jusqu’aux sourcils, les potes.
C’est du peu avant le gros coup de tataouine ! Lorsque Maresco va savoir que je lui ai démoli ses zèbres, il voudra avoir la peau de mes valseuses pour s’en faire faire une couverture chauffante ! Il va me coller les flics au dargeot. Et, cette fois, ils fonceront de bon cœur, les perdreaux, car ils savent que je ne suis pas un caïd, que je ne bouffe pas avec le gouverneur et qu’en fait de millions, je n’ai que le bonjour de chez moi à leur donner.
Je me fringue à la vitesse d’un illusionniste, j’empoche le feu de Dick, son blé, le blé récolté sur Jo. Et me voilà parti dans les couloirs de l’hôtel. Il est près de quatre heures du mat’. Le jour commence à rôdailler.
Je sors du palace sans avoir éveillé l’attention. Je me remue la rondelle. Il s’agit de faire vinaigre pour prendre les dispositions qui s’imposent.
Je me souviens avoir vu un bureau de poste ouvert la nuit. A force de tourner au volant de mon baquet, je finis par tomber dessus. Je m’y précipite.
A un gnace du guichet « telegraph », j’explique que je veux envoyer un message urgent en France. Il me tend le formulaire. Mais, réflexion faite, je me dis qu’on en trouvera la trace et je réclame une carte-lettre à poster par avion.
J’écris hâtivement à mon chef pour le mettre au parfum de ce qui est arrivé. Je lui résume en dix lignes la situation en l’affranchissant sur les activités de Maresco. Je lui demande de faire fissa pour intervenir auprès des autorités américaines.
Je poste la bafouille. Il l’aura après-demain. Il s’agit de pouvoir tenir jusque-là.
Halsted St… C’est là.
Je repère l’immeuble et je poursuis ma route. Je trouve un parc à voitures, un peu plus loin. Il est peu garni. J’abandonne ma tire et je reviens jusqu’à la carrée de Cecilia. Cette gosse est ma planche de salut. Je ne vois qu’elle qui puisse me planquer le temps nécessaire.
J’appuie sur un bouton de sonnette. Un long moment s’écoule. Comme je m’apprête à appuyer de nouveau, sa voix brumeuse résonne dans l’appareil acoustique.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est moi, dis-je, San-Antonio.
Elle a une exclamation et enclenche le système d’ouverture de la porte principale. Je ne fais qu’un bond jusqu’à la cage d’ascenseur.
Elle est là, sur le palier, devant son bouclard. Elle est dévêtue d’une robe de chambre en tulle bleu bordée de velours blanc. Avec des fringues aussi vaporeuses, une jeune fille nubile serait sûre et certaine de perdre son berlingue dans la minute qui suivrait les présentations avec bibi !
— My love ! Gazouille-t-elle en se collant contre moi, tu n’es donc pas parti ?
— Comme tu vois-turabras, dis-je non sans finesse. J’ai eu la nostalgie de ton corps d’albâtre.