— Il y a peut-être eu erreur quant à l’heure du décès, fait-il enfin. Peut-être la fille n’est-elle morte que juste avant la fermeture ?
— Pendant la ruée du populo sur le vestiaire ? Évidemment, ça paraît invraisemblable.
Il hausse les épaules.
— C’est bon, fais-je, on se reverra un de ces quatre. Inutile de raconter tout ça à vos supérieurs, vieux, je me charge de l’affaire.
Il a un signe de tête affirmatif.
Je bigle ma montre que j’ai réglée sur l’heure de Chicago, because les fuseaux horaires. Vous avez dû entraver ça à l’école. Non ? C’est vrai que vous n’êtes qu’un beau ramassis de cancres !
Une heure moins des…
J’ai le temps d’aller me jeter quelques centilitres de whisky dans un troquet convenable, en attendant l’heure de mon rendez-vous.
Croyez-moi ou ne me croyez pas, mais je reprends espoir. Je me dis que, vue d’ici, la voie lactée est la même à peu de chose près et que mon étoile continue d’y briller.
En tout cas, la matière grise fonctionne toujours au petit poil.
C’est l’essentiel. Non ?
CHAPITRE III
« Maresco »
Un Noir a trouvé une souris morte dans la cabine téléphonique au petit jour. Elle était morte dans la nuit.
La cabine a servi entre l’heure présumée de la mort et la fermeture de l’établissement.
Je sors mon tarin du verre de rye et j’ai une bonne raison à cela : le glass est vide.
Stumm a peut-être raison, le toubib de la police a pu se foutre le doigt dans l’œil. Un toubib qui joue au con, ça se voit souvent, beaucoup trop souvent !
Oui, il y a cette solution. Mais il y en a une seconde, et j’ai la faiblesse de m’y attarder : la môme a pu être étranglée autre part et amenée ici par la suite ! En ce cas, cela changerait la face du probloc.
— How much ? Je demande.
Le garçon me dit un chiffre que je ne pige pas. D’un geste informé, j’aligne un billet de cinq dollars.
Puis j’empoche ma mornifle et je me mets à la recherche de ma première boîte de danse, celle devant laquelle j’ai rambiné une taxi-girl. J’ai hâte d’avoir un petit aperçu du comportement privé de ce genre de donzelle.
Puisque je suis ici pour la chose de la psychologie, comme dit Grane, autant y aller carrément !
Il est deux plombes plus trois lorsqu’elle radine. Vaporeuse, ma Dorothy Lamour pour noces et banquets ! Faut voir ! Moi, je suis un peu emprunté, je ne sais pas par quel bout on les chope, les gisquettes, ici !
— Un glass ?
Qu’est-ce qu’on risque ?
Elle dit :
— Yes.
On va se tortiller quelques verres de whisky. Puis je lui exprime ma sympathie d’une façon toute manuelle, ce qui est la seule méthode internationale que je connaisse.
— On go to bed ? Fais-je, après que les premiers attouchements se soient avérés concluants.
Elle n’est pas contre, mais elle a un regard à mon larfeuille qui en dit long comme une rame de métro sur son désintéressement.
Je cligne de l’œil en tapotant mon crapaud. Ça la met en confiance, cette mignonne !
Elle piaule, à quelques rues de là, un petit appartement assez minable.
Elle met son doigt sur ses lèvres lorsque nous grimpons l’escalier. Ça me rappelle la bonne province française, quand j’allais sauter la bonniche des voisins.
Le meilleur moment de l’amour, c’est lorsqu’on grimpe l’escalier. Je suis la souris en regardant onduler son postère fort aimablement.
Elle a le dargeot sympa, c’est énorme. Ça aide aux relations culturelles.
Je la suivrais comme ça jusqu’à la planète Mars. Mais elle va moins haut, le troisième étage lui suffit. Elle engage une clé plate dans une serrure confidentielle.
Je vous l’ai dit, c’est locdu, comme crèche. Locdu et vaguement craspect, avec les serviettes de toilette sales par terre, un divan dont les couvertures balayent un parquet qui en a plutôt besoin. Des mégots poisseux de rouge dans les cendriers, des pantoufles ravagées, des culottes sur les dossiers de chaise. Enfin, ça n’a pas d’importance. L’amour, ça se fait n’importe où, n’importe comment. L’essentiel est qu’on soit deux !
Je pose mon bada et ma veste. A ce moment, elle découvre ma seringue accrochée sous mon bras. Elle devient toute chose. Vous parlez d’un petit étourdi que je fais !
Elle devient pâle comme une crème fouettée et ses yeux s’agrandissent.
Je rigole.
— I am the French ! Dis-je.
Du coup, elle ouvre grand sa gueule et se met à hurler, sans souci des voisins dont pourtant elle semblait vouloir respecter le sommeil.
Alors, je l’empoigne par le bras.
— Silence !
Je lui montre mes papiers. Le mot police est aussi éloquent en français qu’en anglais. Elle se calme.
Petit à petit, je l’apprivoise. Je lui explique ma mission et ça la réconforte.
On finit par mettre au point un petit langage à nous qui nous suffit à exprimer des idées cohérentes sinon philosophiques.
Je lui demande si elle connaissait les souris qui ont été butées et elle me répond que non. Elle n’a pas la moindre idée de ce que peut être le soi-disant Français assassin.
Tout en discutant le bout de gras, je lui flatte les hanches et la conversation finit par laisser place aux gestes. Elle a un beau coup de reins, la gamine ! On s’en offre une drôle de tranche, je vous le promets. Jamais les rapports franco-américains n’ont été aussi serrés !
Quand on a terminé la partie de zizi-panpan, on recommence à jacter. C’est une grande loi humaine : un sens intervient toujours après un autre.
Elle me dit que son turbin est épuisant. La danse fatigue. Les veilles aussi. Bref, elle rêve d’être marida à un mec convenable qui lui achèterait un gentil cottage dans la banlieue et lui ferait une paire de lardons. C’est le rêve de toutes les gerces qui ne mènent pas une vie très réglo.
Je m’informe de ses gains. Elle touche une ristourne sur les tickets empochés et une autre sur les consommations. Dans les bonnes soirées, elle se fait un peu de fric, mais il faut en suer ! Probable qu’elles arrondissent leur budget en faisant une petite passe, de temps à autre !
Elles ne peuvent jamais refuser la clientèle ; c’est interdit par la direction.
— A qui appartiennent ces maisons, fillette ?
— A un consortium. Chacune a un gérant qui dépend de la société principale.
— Et qui dirige la société ?
— Maresco…
— Qu’est-ce que c’est que ce type-là ?
Elle ne répond pas.
Je n’insiste pas. Je sens en elle comme une méfiance. Tant qu’il n’était question que du travail, ça boumait, mais, maintenant qu’on aborde un sujet plus épineux, elle joue à la carpe et ne comprend plus mon langage.
J’hésite, puis je sors un billet de ma poche et je le dépose sur le lit.
Elle reste assise, immobile. C’est à peine si elle me dit au revoir d’un bref mouvement de tête.
Peut-être n’ai-je pas donné assez ?
Pourtant, je lui ai lâché vingt dollars. C’est pas sale pour subir mes hommages, hein ?
Un coup de tringle à la française, ça devrait au contraire se payer !
Décidément, les grognaces de Chicago sont bien déroutantes, avec leurs façons de se faire tuer comme des mouches ou de ne pas dire merci lorsqu’on leur crache de l’osier.
Je hèle un taxi :
— Le Connor, rapidos !
Il est temps que je me file dans les toiles, car je ne tiens plus sur mes cannes !