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— Mais il était décidé à l’obtenir, de toute façon ! protesta Nafai.

— Fermez-la, bande de crétins, coupa Elemak. On n’est pas encore sortis de l’auberge. Nos vies ne valent plus rien : des hommes doivent nous attendre à moins de cinquante mètres d’ici pour nous tuer. Notre seule chance, c’est de nous séparer et de cavaler. Ne vous arrêtez sous aucun prétexte. Et n’oubliez pas – Rasa m’a dit ça tout à l’heure : ne vous fiez à aucun homme. Vous entendez ? À aucun homme ! On se retrouve ce soir près des chameaux. Si l’un de nous manque à l’aube, il sera considéré comme mort. Et maintenant, foncez, et évitez les endroits où ils risquent de vous attendre ! »

Sur ces mots, Elemak s’éloigna à grandes enjambées vers le nord. Mais il se retourna au bout de quelques pas. « Allez-y, bande d’imbéciles ! Regardez, ils font déjà signe aux assassins ! »

Et en effet, Nafai vit qu’un des soldats postés sous l’auvent de Gaballufix avait levé un bras et indiquait leur groupe de l’autre.

« À quelle vitesse peux-tu aller avec tes flotteurs ? demanda-t-il à Issib.

— Plus vite que toi, répondit son frère. Mais pas plus qu’un pulsant.

— Surâme nous protégera, dit Nafai.

— C’est vrai. Maintenant, cours, crétin ! »

Nafai baissa la tête et plongea au plus épais de la foule. Il avait remonté la rue de la Fontaine sur une centaine de mètres vers le sud quand il entendit crier derrière lui ; il se retourna : Issib s’était élevé d’une vingtaine de mètres dans les airs et disparaissait par-dessus le toit de la maison en face de chez Gaballufix. Je ne savais pas qu’il pouvait faire ça ! se dit Nafai, époustouflé.

Puis, comme il reprenait sa course, il songea qu’Issib lui-même n’avait jamais dû s’en douter jusqu’à cet instant.

« En v’là un ! » fit une voix hargneuse. Et un homme apparut soudain devant lui, une épée électrique à la main. Une femme cria ; les gens s’écartèrent peureusement. Mais Nafai, prévenu par une sorte d’instinct, sentit la présence d’un autre homme juste derrière lui. S’il reculait devant la lame, il se jetterait dans les bras du véritable assassin.

Alors, Nafai se précipita en avant. Son adversaire ne s’était pas attendu à cette agressivité de la part d’un garçon désarmé, et son coup porta dans le vide. Nafai enfonça durement son genou dans l’aine de l’homme et le souleva du sol. L’homme se mit à hurler, et Nafai le bouscula de son chemin, puis il se mit à courir pour de bon, sans un coup d’œil en arrière et sans guère regarder devant lui non plus ; il se contentait d’éviter les gens et de guetter l’apparition de la lueur rougeoyante d’une nouvelle épée, ou le rayon blanc d’un pulsant.

13. L’envolée

Jamais Issya n’avait tenté de monter si haut avec ses flotteurs. Il savait qu’ils réagissaient à la tension de ses muscles et qu’un flotteur sur lequel il appuyait au maximum gardait ensuite sa position dans l’espace. Mais il avait toujours cru que cette position était relative au sol en dessous du flotteur. Ce n’était d’ailleurs pas complètement faux : plus il montait, plus les flotteurs avaient tendance à « glisser » vers le bas. Or il s’aperçut tout à coup qu’il pouvait grimper en l’air comme sur une échelle, si bien qu’il finit par atteindre le niveau des toits.

Naturellement, tout le monde le regardait, et c’était bien ce qu’il voulait. Qu’ils me voient tous, et qu’ils parlent du jeune infirme qui s’est envolé jusqu’aux toits ! Les gorilles de Gaballufix n’oseraient pas lui tirer dessus en présence d’autant de témoins, en tout cas pas devant le domicile de leur chef.

Les toits étaient déserts ; les prenant en enfilade, il passa en flottant entre les bouches d’aération et les cheminées, les coupoles et les cages extérieures d’ascenseur, les chéneaux et les arbres des terrasses. À un moment, il surprit un vieil homme qui réparait un mur bas le long d’un belvédère ; le bruit d’une tuile qui se cassait inquiéta Issib, mais en se retournant, il vit que l’homme, loin d’être tombé, le regardait bouche bée. Peut-être racontera-t-on une histoire ce soir, se dit Issib, à propos d’un jeune demi-dieu qu’on aurait vu voler au-dessus de la cité, en mission amoureuse auprès d’une jeune mortelle à l’insurpassable beauté ; qui sait ?

Le pâté de maisons qu’il suivait était exceptionnellement long, car plusieurs rues avaient été recouvertes de bâtiments dans ce quartier. Sans redescendre au sol, il put ainsi parcourir plus de la moitié du chemin jusqu’à la porte Arrière, et sûrement plus vite qu’aucun de ses poursuivants. Restait le risque, évidemment, que Gaballufix eût posté des assassins à toutes les portes de la cité ; et s’il n’en avait choisi qu’une, ce devait justement être la porte Arrière, la plus proche de chez lui. Donc, pas d’imprudence une fois qu’il se trouverait au niveau de la rue.

Mais avant de quitter les toits, il jeta un long regard de regret sur l’enceinte rouge de la cité. De cette hauteur, le soleil était encore visible, coupé en deux par la muraille. Si seulement il pouvait passer par-dessus ! Mais l’enceinte était bourrée d’une électronique compliquée, il le savait bien, et elle contenait notamment les nœuds qui créaient le champ magnétique où ses flotteurs puisaient leur énergie. Impossible donc de traverser par là : le petit ordinateur accroché à sa ceinture serait incapable d’équilibrer les forces conflictuelles au sommet du mur.

Il atteignit le bord du toit et descendit lentement vers la chaussée. Il était tout en haut de la route Sainte ; à ce niveau, les hommes avaient encore le droit de la traverser. Beaucoup de gens remarquèrent son atterrissage, bien entendu, mais à peine arrivé, il se mit en position assise et fila dans la foule à hauteur d’enfant. Allez, les assassins, essayez de me tirer dessus, maintenant ! Quelques minutes plus tard, il arrivait à la porte. Les gardes reconnurent son nom à l’examen de son pouce, et ils lui souhaitèrent bonne chance avec force claques dans le dos.

Au sortir de la porte Arrière, ce n’était pas encore le désert, mais les limites du bois Impénétrable. À droite s’étendait la dense forêt qui rendait impraticable la région septentrionale de la cité ; à gauche, un réseau complexe de ravines encombrées d’arbres et de lianes courait depuis les verdoyantes collines de Basilica jusqu’aux premiers rochers nus du désert. Pour un homme normal, c’eût été un cauchemar à traverser, à moins qu’il ne connût le chemin – comme Elemak le connaissait sans doute. Issib, lui, n’eut qu’à éviter les obstacles les plus élevés et à se laisser flotter loin de la cité. Il se repéra au soleil pour parvenir jusqu’au plateau du désert ; là, il prit au sud, traversa la route Sèche, puis la route du Désert, et au coucher du soleil arriva enfin à l’endroit où l’attendait son fauteuil.

Ses flotteurs fonctionnaient à présent aux limites du champ magnétique de la cité, et il eut du mal à s’installer. Mais de toute manière, ce fauteuil était une source d’ennuis. Il avait cependant quelques avantages : polyvalent, il possédait un terminal relié à la bibliothèque de la cité quand il était à portée d’émetteur, avec plusieurs interfaces différentes pour s’adapter à tous les handicaps possibles. Il répondait même à certains codes vocaux et pouvait prononcer de façon compréhensible les mots les plus courants de plusieurs dizaines de langues. Sans les flotteurs, ce fauteuil aurait sans doute été l’élément le plus important de la vie d’Issib. Mais il y avait les flotteurs, grâce auxquels il devenait un homme quasi normal, avec quelques avantages en plus. Sans eux, il n’était plus qu’un misérable infirme.