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Je suis un comédien, après tout, se dit-il. Je pensais en faire un jour mon métier ; eh bien, m’y voilà !

« Permettez-moi de vous aider, chef », dit l’homme. Sans le regarder, Nafai se laissa tomber à genoux puis se plia en deux. « J’crois bien que j’vais dégueuler », dit-il d’une voix rauque. Puis il éteignit l’holocostume l’espace d’un instant, juste assez pour que le garde et les autres occupants éventuels de la pièce reconnaissent les vêtements de Gaballufix, tandis que le visage et les cheveux de Nafai, ramassé sur lui-même, restaient invisibles. Il remit ensuite le contact et s’efforça d’imiter les haut-le-cœur d’un ivrogne à l’estomac vide ; il y parvint si bien que de la bile lui remonta dans la gorge.

« Je peux vous aider, chef ? demanda l’homme.

« Qui c’est qui garde l’Index ? beugla Nafai. Tout l’monde veut c’t’Index, en c’moment ! Eh ben, maintenant, c’est moi qui l’veux !

— C’est Zdorab qui le garde, répondit l’homme.

— Va l’chercher !

— Mais il dort, il… »

Nafai se redressa en tanguant. « Personne ne dort quand j’ai l’cul en l’air dans cette baraque !

— Je vais le chercher, chef ; excusez-moi, je croyais… »

Nafai lança un coup de poing maladroit à l’homme, qui recula d’un air horrifié. Allait-il trop loin ? Impossible de le savoir. L’homme s’éloigna en rasant un mur et disparut par une porte. Allait-il revenir avec des soldats pour l’arrêter ? Nafai n’en savait rien.

Mais non ; le garde revint accompagné de Zdorab ; Nafai en tout cas supposa qu’il s’agissait bien de lui. Mais il devait s’en assurer. Aussi s’approcha-t-il de l’homme d’un air menaçant, puis il lui souffla dans le nez. « C’est toi, Zdorab ? » L’homme croirait Gaballufix soûl au point de ne plus y voir clair.

« Oui, monsieur. » L’homme avait l’air épouvanté. Tant mieux.

« Mon Index ! Où il est ?

— Lequel ?

— Celui que ces connards voulaient – les fils de Wetchik ! L’Index, avec un grand I, par Surâme !

— Le… l’Index Palwashantu ?

— Où est-ce que tu l’as mis, fripouille ?

— Dans la chambre forte, répondit Zdorab. Je ne savais pas que vous le vouliez à portée de main. Vous ne vous en êtes jamais servi jusqu’ici, et j’ai cru…

— J’ai quand même le droit de l’regarder si j’en ai envie ! »

Arrête de tant bavarder ! se dit Nafai. Plus tu parleras, plus Surâme aura du mal à empêcher cet homme de se douter de quelque chose.

Zdorab l’emmena dans un couloir, et Nafai prit soin de se cogner de temps en temps dans le mur. Chaque fois qu’il touchait l’endroit où le bâton d’Elemak avait frappé le plus durement, un élancement le traversait de l’épaule à la hanche et un gémissement lui échappait ; mais cela ne faisait que rendre son imposture plus crédible.

Comme ils traversaient l’étage inférieur de la maison, Nafai se sentit à nouveau tremblant. Et s’il devait prouver son identité pour ouvrir le chambre forte, par un examen de la rétine ou de l’empreinte du pouce ?

Mais la chambre forte était ouverte. Surâme avait-il incité quelqu’un à oublier de la refermer ? Ou bien n’était-ce que de la chance ? Et moi, suis-je l’instrument du destin, se demanda Nafai, ou la marionnette de Surâme ? Ou bien, par quelque hasard, puis-je choisir librement une partie de mon chemin, cette nuit ?

Il ignorait quelle réponse il préférait. S’il choisissait librement, alors il avait en toute conscience choisi de tuer un homme qui gisait dans la rue, sans défense. Mieux valait croire que c’était Surâme qui l’y avait contraint, par force ou par ruse. Ou encore que quelque chose dans ses gènes ou son éducation l’y avait forcé. Mieux valait croire qu’il n’existait pas d’autre choix plutôt que de se tourmenter sans cesse et se demander s’il n’aurait pas suffi de voler les vêtements de Gaballufix. La responsabilité de son acte était un fardeau dont Nafai n’avait pas envie de se charger.

Zdorab entra dans la chambre forte. Il le suivit, puis s’arrêta net : la fortune tout entière que Gaballufix leur avait volée était là, disposée en tas bien nets sur une vaste table.

« Comme vous le voyez, monsieur, la vérification est presque finie, dit Zdorab en s’éloignant au milieu des étagères. Je me charge de tout nettoyer et de tout organiser moi-même, dans cette pièce. C’est très aimable à vous de venir la visiter. »

Nafai fut soudain pris d’un soupçon.

Est-ce qu’il me donne le change en attendant du renfort ?

Zdorab sortit des étagères à l’autre bout de la pièce. Il était petit, beaucoup plus que Nafai, et bien qu’il n’eût sûrement pas plus de trente ans, il commençait à perdre ses cheveux. Mais malgré son air comique, s’il devinait ce qui se passait, cela risquait de coûter la vie à Nafai.

« C’est bien cela ? » demanda Zdorab.

Nafai n’avait évidemment pas la moindre idée de l’aspect de l’Index. Il avait vu de nombreux Index, bien sûr, mais la plupart étaient de petits ordinateurs autonomes permettant d’accéder par ondes à une grande bibliothèque. Sur celui-ci, il ne vit rien qui rappelât un écran ; Zdorab lui présentait une sphère métallique de couleur bronze, d’environ vingt-cinq centimètres de diamètre et un peu aplatie aux pôles. « Attends que j’regarde », gronda Nafai.

Zdorab parut réticent à se séparer de l’objet. Une vague de peur envahit Nafai. Il refuse de me le donner parce qu’il sait qui je suis !

Mais Zdorab révéla sa véritable inquiétude : « Monsieur, vous avez dit de le garder toujours parfaitement propre. »

Il craignait que Gaballufix fût sale sous son holocostume, voilà tout ! Il est vrai que le maître des lieux semblait ivre mort et qu’il sentait l’alcool à plein nez ; il pouvait avoir les mains couvertes de tout ce qu’on voudrait.

« T’as raison, dit Nafai. D’accord, garde-le.

— Si vous le désirez, monsieur, répondit Zdorab.

— C’est bien le bon, hein ? » demanda Nafai. Il fallait qu’il s’en assure, et il n’espérait qu’une chose : que son imitation d’ivrognerie était assez convaincante pour que des questions stupides n’éveillent pas les soupçons.

« C’est bien l’Index Palwashantu, si c’est ce que vous voulez dire. Mais je me demandais si c’était bien celui que vous désiriez. Vous n’aviez jamais demandé à le voir, jusqu’à maintenant. »

Ainsi, Gaballufix ne l’avait même pas sorti de la chambre forte ; Elemak aurait eu beau marchander, faire monter les enchères, il était clair qu’il ne l’aurait jamais obtenu. Nafai se sentit un peu mieux. Il n’y avait donc pas eu d’occasion manquée ; tous les scénarios auraient abouti à la même conclusion.

« Où l’emportons-nous ? » s’enquit Zdorab.

Excellente question, pensa Nafai. Je peux difficilement lui dire qu’on va l’apporter aux fils de Wetchik qui attendent dans le noir de l’autre côté du Goulet !

« Faut que j’le montre au conseil, dit-il à voix haute.

— À cette heure de la nuit ?

— Ouais, à c’t’heure de la nuit ! M’ont interrompu, les cons, en plein milieu d’une fête pour m’dire qu’il fallait qu’ils voient l’Index ! Z’ont eu l’idée qu’il avait p’t-être été volé par ces faux-culs de fils de Wetchik, ces filous, ces assassins ! »

Zdorab toussa, baissa la tête et allongea le pas devant Nafai.

Tiens donc ! Zdorab n’aimait pas entendre Gaballufix qualifier ainsi les enfants de Wetchik ! Très intéressant. Mais pas au point de lui faire confiance. « Va moins vite, misérable nabot ! cria Nafai.