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HÉRO. – Oh! on dit qu’elle est incomparable!

MARGUERITE. – Sur ma vie, ce n’est qu’une robe de nuit auprès de la vôtre. Du drap d’or, des crevés lacés avec du fil d’argent, le bas des manches et le bord des manches garnis de perles, et toute la jupe relevée par un clinquant bleuâtre. Mais pour la grâce, la beauté et le bon goût, la vôtre vaut dix fois la sienne.

HÉRO. – Que Dieu me donne la joie pour la porter; car je me sens le cœur excessivement gros.

MARGUERITE. – Le poids d’un homme le rendra encore plus pesant.

HÉRO. – Fi donc! Marguerite, n’êtes-vous pas honteuse?

MARGUERITE. – De quoi, madame? De parler d’une chose honorable? Le mariage n’est-il pas honorable, même chez un mendiant? Et, le mariage à part, votre seigneur n’est-il pas honorable? Vous auriez voulu, sauf votre respect, que j’eusse dit un mari? Si une mauvaise pensée ne détourne pas le sens d’une expression franche, je n’offense personne. Y a-t-il du mal à dire le poids d’un mari? Aucun, je pense, dès qu’il s’agit d’un mari légitime et d’une femme légitime; sans quoi il serait léger et non pesant. Mais demandez plutôt à la signora Béatrice, la voici.

(Béatrice entre.)

HÉRO. – Bonjour, cousine.

BÉATRICE. – Bonjour, ma chère Héro.

HÉRO. – Comment donc! vous parlez sur un ton mélancolique.

BÉATRICE. – Je suis hors de tous les autres tons, il me semble.

MARGUERITE. – Entonnez-nous l’air de Lumière d’amour[35]. Il se chante sans refrain; vous chanterez, moi je danserai.

BÉATRICE. – Oui! Vos talons sont-ils exercés à la mesure de Lumière d’amour? Oh! bien, si votre mari a assez de greniers, vous verrez à ce qu’il ne manque pas de grains [36].

MARGUERITE. – Ô interprétation maligne! Mais j’en ris, les talons en l’air.

BÉATRICE. – Il est près de cinq heures, ma cousine; vous devriez être déjà prête. – Sérieusement, je me sens bien mal. Hélas!

MARGUERITE. – De quoi? – Un faucon, un cheval, ou un mari [37].

BÉATRICE. – Oh! celui des trois qui commence par un M [38].

MARGUERITE. – Eh bien! Si vous ne vous êtes pas faite turque [39], on ne peut plus faire voiles sur la foi des étoiles.

BÉATRICE. – Voyons; que veut dire cette folle?

MARGUERITE. – Rien du tout; mais Dieu veuille envoyer à chacun le désir de son cœur!

HÉRO. – Ces gants, que le comte m’a envoyés, ont un parfum délicieux.

BÉATRICE. – Je suis enchiffrenée, cousine; je ne sens rien.

MARGUERITE. – Fille, et enchiffrenée! il faut qu’il y ait abondance de rhumes.

BÉATRICE. – Ô Dieu, ayez pitié de nous! Ô Dieu ayez pitié de nous! Depuis quand faites-vous profession d’esprit?

MARGUERITE. – Depuis que vous y avez renoncé, madame. Mon esprit ne me sied-il pas à ravir?

BÉATRICE. – On ne le voit pas assez; vous devriez le porter sur votre bonnet. – Sérieusement je suis malade.

MARGUERITE. – Procurez-vous un peu d’essence de carduus benedictus[40] et appliquez-la sur votre cœur: c’est le seul remède pour les palpitations.

HÉRO. – Tu la piques avec un chardon.

BÉATRICE. – Benedictus? Pourquoi benedictus, s’il vous plaît? Vous cachez quelque moralité [41] sous ce benedictus.

MARGUERITE. – Moralité? Non, sur ma parole, je n’ai point d’intention morale. Je parle tout bonnement du chardon bénit. Vous pourriez croire par hasard que je vous soupçonne d’être amoureuse: non, par Notre-Dame, je ne suis pas assez folle pour penser ce que je veux, et je ne veux pas penser ce que je peux, et je ne pourrais penser, quand je penserais à faire perdre la pensée à mon cœur, que vous êtes amoureuse, que vous serez amoureuse ou que vous pouvez être amoureuse. Cependant, jadis Bénédick fut naguère tout de même, et maintenant le voilà devenu un homme. Il jurait de ne se marier jamais, et pourtant, en dépit de son cœur, il mange son plat sans murmure [42]. À quel point vous pouvez être convertie, je l’ignore; mais il me semble que vous voyez avec vos yeux comme les autres femmes.

BÉATRICE. – De quel pas ta langue est partie!

MARGUERITE. – Ce n’est pas un galop du mauvais pied.

URSULE, accourt. – Vite, retirez-vous, madame: le prince, le comte, le seigneur Bénédick, don Juan et tous les jeunes cavaliers de la ville viennent vous chercher pour aller à l’église.

HÉRO, – Aidez-moi à m’habiller, chère cousine, bonne Ursule, bonne Marguerite.

(Elles sortent.)

SCÈNE V

Un autre appartement dans le palais de Léonato.

Léonato entre avec Dogberry et Verges.

LÉONATO. – Que souhaitez-vous de moi, honnêtes voisins?

DOGBERRY. – Vraiment, seigneur, je voudrais avoir avec vous une petite conférence secrète sur une affaire qui vous décerne de près.

LÉONATO. – Abrégez, je vous prie; vous voyez que je suis très-occupé.

DOGBERRY. – Vraiment oui, seigneur.

VERGES. – Oui, seigneur, en vérité.

LÉONATO. – Quelle est cette affaire, mes dignes amis?

DOGBERRY. – Le bon homme Verges, seigneur, s’écarte un peu de son sujet, et son esprit n’est pas aussi émoussé [43] que je demanderais à Dieu qu’il le fût; mais, en bonne conscience, il est honnête comme les rides de son front [44].

VERGES. – Oui, j’en remercie Dieu, je suis aussi honnête qu’homme vivant qui est vieux aussi, et qui n’est pas plus honnête que moi.

DOGBERRY. – Les comparaisons sont odorantes [45]. – Palabra [46], voisin Verges.

LÉONATO – Voisins, vous êtes ennuyeux.

DOGBERRY. – Il plaît à Votre Seigneurie de le dire. Mais nous ne sommes que les pauvres officiers du duc, et pour ma part, si j’étais aussi fatigant qu’un roi, je voudrais me dépouiller de tout au profit de Votre Seigneurie.

LÉONATO. – De tout votre ennui en ma faveur? Ah, ah!