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BÉNÉDICK. – Arrêtez, chère Béatrice. Par cette main, je vous aime.

BÉATRICE. – Servez-vous-en pour l’amour de moi autrement qu’en jurant par elle.

BÉNÉDICK. – Croyez-vous, dans le fond de votre âme, que le comte Claudio ait calomnié Héro?

BÉATRICE. – Oui, j’en suis aussi sûre que d’avoir une pensée ou une âme.

BÉNÉDICK. – Il suffit! Je suis engagé, je vais le défier. – Je baise votre main et vous quitte; j’en atteste cette main, Claudio me rendra un compte rigoureux. Jugez-moi par ce que vous entendrez dire de moi. Allez consoler votre cousine. Il faut que je dise qu’elle est morte… c’est assez. Adieu!

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Une prison.

Dogberry et Verges paraissent avec le sacristain, ils sont en robes. Borachio et Conrad sont devant eux.

DOGBERRY. – Toute notre compagnie comparaît-elle enfin?

VERGES. – Vite, un coussin et un tabouret pour le sacristain.

LE SACRISTAIN. – Quels sont les malfaiteurs?

DOGBERRY. – Vraiment, c’est moi-même et mon collègue.

VERGES. – Oui, cela est certain. – Nous sommes commis pour examiner le procès.

LE SACRISTAIN, – Mais quels sont les coupables qui doivent être examinés? Faites-les avancer devant le maître constable.

DOGBERRY. – Oui, qu’ils s’avancent devant moi. Ami, quel est votre nom?

BORACHIO. – Borachio.

DOGBERRY. – Je vous prie, écrivez Borachio. – Et le vôtre, coquin?

CONRAD. – Je suis gentilhomme, monsieur, et mon nom est Conrad.

DOGBERRY. – Écrivez M. le gentilhomme Conrad. – Mes maîtres, servez-vous Dieu?

BORACHIO, CONRAD. – Nous l’espérons bien.

DOGBERRY. – Mettez par écrit qu’ils espèrent bien servir Dieu, et écrivez Dieu le premier. Car à Dieu ne plaise que Dieu marche devant de pareils vauriens! Camarades, il est déjà prouvé que vous ne valez guère mieux que des fripons, et l’on en sera bientôt au point de le croire. Que répondez-vous pour votre défense?

CONRAD. – Diantre! monsieur, nous disons que non.

DOGBERRY. – Voilà un compère étonnamment spirituel, je vous l’assure. – Mais je vais user de détour avec lui. Vous, coquin, venez ici: un mot à l’oreille. Monsieur, je vous dis qu’on vous croit tous deux des fripons.

BORACHIO. – Monsieur, je vous dis que nous ne sommes point ce que vous dites.

DOGBERRY. – Allons, tenez-vous à l’écart. Devant Dieu! ils n’ont qu’une réponse pour deux. Avez-vous mis en écrit qu’ils n’en sont point?

LE SACRISTAIN. – Messire constable, vous ne prenez pas la bonne manière pour les examiner. Vous devriez faire appeler les gardiens qui les accusent.

DOGBERRY. – Oui, sans doute, c’est la voie la plus courte; qu’on fasse comparaître la garde. (On fait venir la garde.) Mes maîtres, je vous somme, au nom du prince, d’accuser ces hommes.

PREMIER GARDIEN. – Cet homme a dit que don Juan, le frère du prince, était un scélérat.

DOGBERRY. – Écrivez, le prince don Juan un scélérat ; ce n’est ni plus ni moins qu’un parjure d’appeler le frère d’un prince un scélérat!

BORACHIO. – Monsieur le constable…

DOGBERRY. – Je vous prie, camarade, silence. Votre regard me déplaît, je vous le déclare.

LE SACRISTAIN, au gardien. – Que lui avez-vous entendu dire de plus?

SECOND GARDIEN. – Ma foi! qu’il a reçu de don Juan mille ducats pour accuser faussement la signora Héro.

DOGBERRY. – Ceci est un vol avec effraction, si jamais il s’en est commis.

VERGES. – Oui, par la messe! c’en est un.

LE SACRISTAIN. – Quoi de plus, l’ami?

PREMIER GARDIEN. – Et que le comte Claudio avait résolu, d’après ses propos, de faire affront à Héro devant toute l’assemblée, et de ne pas l’épouser.

DOGBERRY. – Ô scélérat, tu seras condamné pour ce fait à la rédemption éternelle.

LE SACRISTAIN. – Et quoi encore?

SECOND GARDIEN. – C’est tout.

LE SACRISTAIN. – C’en est plus, messieurs, que vous n’en pouvez nier. Le prince don Juan s’est secrètement évadé ce matin; c’est ainsi qu’Héro a été accusée et refusée; et elle en est tout à coup morte de douleur. Monsieur le constable, faites lier ces hommes et qu’on les conduise devant Léonato. Je vais les précéder et lui montrer leur interrogatoire.

(Il sort.)

DOGBERRY. – Allons aux opinions sur leur sort.

VERGES. – Qu’on les enchaîne.

CONRAD. – Retire-toi, faquin!

DOGBERRY. – Ô Dieu de ma vie, où est le sacristain? qu’il écrive que l’officier du prince est un faquin. Impudent varlet! Allons; garrottez-les.

CONRAD. – Arrière! tu n’es qu’un âne, tu n’es qu’un âne.

DOGBERRY. – Ne suspectez-vous pas ma place, ne suspectez-vous pas mon âge? Oh! que n’est-il ici pour écrire que je suis un âne! Mais, compagnons, souvenez-vous-en que je suis un âne. Quoique cela ne soit point écrit, n’oubliez pas que je suis un âne. Toi, méchant, tu es plein de piété, comme on le prouvera par bon témoignage. Je suis un homme sage, et qui plus est, un constable, et qui plus est encore, un bourgeois établi, et qui plus est, un homme aussi bien en chair que qui ce soit à Messine; un homme qui connaît la loi, va; un homme qui est riche assez, entends-tu, et qui a souffert des pertes, et qui a deux robes et tout ce qui s’ensuit à l’avenant. Emmenez, emmenez-le. Oh! que n’a-t-on écrit que j’étais un âne!

(Ils sortent.)

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE CINQUIÈME

SCÈNE I

Devant la maison de Léonato.

Entrent Léonato et Antonio.

ANTONIO. – Si vous continuez, vous vous tuerez, et il n’est pas sage de servir ainsi le chagrin contre vous-même.

LÉONATO. – De grâce, cessez vos conseils, qui tombent dans mon oreille avec aussi peu de fruit que l’eau dans un crible. Ne me donnez plus d’avis, je ne veux écouter d’autre consolateur qu’un homme dont les malheurs égalent les miens. Amenez-moi un père qui ait autant aimé son enfant, et dont la joie qu’il goûtait en elle ait été anéantie comme la mienne, et dites-lui de me parler de patience. Mesurez la profondeur et l’étendue de sa douleur sur la mienne. Que ses regrets répondent à mes regrets, et que sa douleur soit en tout semblable à la mienne, trait pour trait dans la même forme et dans tous les rapports. Si un tel père veut sourire et se caresser la barbe en s’écriant, chagrin, loin de moi! et faire hum! lorsqu’il devrait gémir; raccommoder son affliction par des adages, et enivrer son infortune avec des buveurs nocturnes; amenez-le moi, et j’apprendrai de lui la patience: mais il n’y a point d’homme semblable. Les hommes, mon frère, peuvent bien donner des conseils et des consolations à la douleur qu’ils ne ressentent point eux-mêmes; mais une fois qu’ils l’ont goûtée, ceux qui prétendaient fournir un remède de maximes à la rage, enchaîner le délire forcené avec un réseau de soie, charmer les mots par les sons, et l’agonie avec des paroles, sont les premiers à changer leurs conseils en fureur. Non, non, c’est le métier de tous les hommes de parler de patience à ceux qui se tordent sous le poids de la douleur: mais il n’est pas au pouvoir de la vertu de l’homme de conserver tant de morale, lorsqu’il supporte lui-même la même souffrance. Ne me donnez donc point de conseils; mes maux crient plus haut que vos maximes.