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BÉNÉDICK. – Mon esprit est dans mon fourreau. Voulez-vous que je le tire?

DON PÈDRE. – Est-ce que vous portez votre esprit à votre côté?

CLAUDIO. – Cela ne s’est jamais vu, quoique bien des gens soient à côté de leur esprit. Je vous dirai de le tirer, comme on le dit aux musiciens: tirez-le pour nous divertir.

DON PÈDRE. – Aussi vrai que je suis un honnête homme, il pâlit. Êtes-vous malade ou en colère?

CLAUDIO. – Allons, du courage, allons. Quoique le souci ait pu tuer un chat, vous avez assez de cœur pour tuer le souci.

BÉNÉDICK. – Comte, je saurai rencontrer votre esprit en champ clos si vous chargez contre moi. – De grâce, choisissez un autre sujet.

CLAUDIO. – Allons, donnez-lui une autre lance: la dernière a été rompue.

DON PÈDRE. – Par la lumière du jour, il change de couleur de plus en plus. – Je crois, en vérité, qu’il est en colère.

CLAUDIO. – S’il est en colère, il sait tourner sa ceinture [52].

BÉNÉDICK. – Pourrai-je vous dire un mot à l’oreille?

CLAUDIO. – Dieu me préserve d’un cartel!

BÉNÉDICK, bas à Claudio. – Vous êtes un lâche traître. Je ne plaisante point. – Je vous le prouverai comme vous voudrez, avec ce que vous voudrez et quand vous voudrez. – Donnez-moi satisfaction, ou je divulguerai votre lâcheté. – Vous avez fait mourir une dame aimable; mais sa mort retombera lourdement sur vous. Donnez-moi de vos nouvelles.

CLAUDIO, bas à Bénédick. – Soit. Je vous joindrai. (Haut.) Préparez-moi bonne chère.

DON PÈDRE. – Quoi? un festin? un festin?

CLAUDIO. – Oui, et je l’en remercie. Il m’a invité à découper une tête de veau et un chapon; si je ne m’en acquitte pas de la manière la plus adroite, dites que mon couteau ne vaut rien. – N’y aura-t-il pas aussi une bécasse?

BÉNÉDICK. – Seigneur, votre esprit trotte bien: il a l’allure aisée.

DON PÈDRE. – Je veux vous raconter comment Béatrice faisait l’autre jour l’éloge de votre esprit. Je lui disais que vous étiez un bel esprit. «Sûrement, dit-elle, c’est un beau petit esprit. – Non pas, lui dis-je, c’est un grand esprit. Oh! oui, répondit-elle, un grand gros esprit. – Ce n’est pas cela, lui dis-je, dites un bon esprit. – Précisément, dit-elle, il ne blesse personne. – Mais, repris-je, le gentilhomme est sage. – Oh! certainement, répliqua-t-elle, un sage gentilhomme. – Comment! poursuivis-je, il possède plusieurs langues. – Je le crois, dit-elle, car il me jurait une chose lundi au soir, qu’il désavoua le mardi matin. Voilà une langue double; voilà deux langues. Enfin elle prit à tâche, pendant une heure entière, de défigurer vos qualités personnelles; et pourtant à la fin elle conclut, en poussant un soupir, que vous étiez le plus bel homme de l’Italie.

CLAUDIO. – Et là-dessus elle pleura de bon cœur, en disant, qu’elle ne s’en embarrassait guère.

DON PÈDRE. – Oui, voilà ce qu’elle dit; mais cependant, avec tout cela, si elle ne le haïssait pas à mort, elle l’aimerait tendrement. – La fille du vieillard nous a tout dit.

CLAUDIO. – Tout, tout, et en outre, Dieu le vit quand il était caché dans le jardin[53].

DON PÈDRE. – Mais quand planterons-nous les cornes du buffle sur la tête du sage Bénédick?

CLAUDIO. – Oui; et quand écrirons-nous au-dessous: «Ici loge Bénédick, l’homme marié?»

BÉNÉDICK. – Adieu, mon garçon. Vous savez mes intentions. Je vous laisse à votre joyeux babil; vous faites assaut d’épigrammes, comme les matamores font de leurs lames, qui, grâce à Dieu, ne font pas de mal. – (À don Pèdre.) Seigneur, je vous rends grâces de vos nombreuses bontés; votre frère, le bâtard, s’est enfui de Messine. Vous avez, entre vous tous, tué une aimable et innocente personne. Quant à mon seigneur Sans-barbe, nous nous rencontrerons bientôt, et jusque-là, que la paix soit avec lui.

(Bénédick sort.)

DON PÈDRE. – Il parle sérieusement.

CLAUDIO. – Très-sérieusement; et cela, je vous garantis, pour l’amour de Béatrice.

DON PÈDRE. – Et vous a-t-il défié?

CLAUDIO. – Le plus sincèrement du monde.

DON PÈDRE. – Quelle jolie chose qu’un homme, lorsqu’il sort avec son pourpoint et son haut-de-chausses, et laisse en route son bon sens!

(Entrent Dogberry, Verges, avec Conrad et Borachio conduits par la garde.)

CLAUDIO. – C’est alors un géant devant un singe; mais aussi un singe est un docteur près d’un tel homme.

DON PÈDRE. – Arrêtez! laissons-le. – Réveille-toi, mon cœur, et sois sérieux. Ne nous a-t-il pas dit que mon frère s’était enfui?

DOGBERRY. – Allons, venez çà, monsieur. Si la justice ne vient pas à bout de vous réduire, elle n’aura plus jamais de raisons à peser dans sa balance; oui, et comme vous êtes un hypocrite fieffé, il faut veiller sur vous.

DON PÈDRE. – Que vois-je? deux hommes de mon frère, garrottés! Et Borachio en est un!

CLAUDIO. – Faites-vous instruire, seigneur, de la nature de leur faute.

DON PÈDRE. – Constable, quelle faute ont commise ces deux hommes?

DOGBERRY. – Vraiment, ils ont commis un faux rapport; de plus, ils ont dit des mensonges; en second lieu, ce sont des calomniateurs; et pour sixième et dernier délit, ils ont noirci la réputation d’une dame; troisièmement, ils ont déclaré des choses injustes; et pour conclure, ce sont de fieffés menteurs.

DON PÈDRE. – D’abord, je vous demande ce qu’ils ont fait; troisièmement, je vous demande quelle est leur offense; en sixième et dernier lieu, pourquoi ils sont prisonniers, et pour conclusion, ce dont vous les accusez.

CLAUDIO. – Fort bien raisonné, seigneur! et suivant sa propre division; sur ma conscience, voilà une question bien retournée.

DON PÈDRE. – Messieurs, qui avez-vous offensé, pour être ainsi garrottés et tenus d’en répondre? Ce savant constable est trop fin pour qu’on le comprenne, quel est votre délit?

BORACHIO. – Noble prince, ne permettez pas qu’on me conduise plus loin pour subir mon interrogatoire; entendez-moi vous-même; et qu’ensuite le comte me tue. J’ai abusé vos yeux, et ce que n’a pu découvrir votre prudence, ces imbéciles l’ont relevé à la lumière. Ce sont eux qui, dans l’ombre de la nuit, m’ont entendu avouer à cet homme, comment don Juan, votre frère, m’avait engagé à calomnier la signora Héro; comment vous aviez été conduits dans le verger, et m’aviez vu faire ma cour à Marguerite, vêtue des habits d’Héro; enfin comment vous l’aviez déshonorée au moment où vous deviez l’épouser. Ils ont fait un rapport de toute ma trahison; et j’aime mieux le sceller par ma mort que d’en répéter les détails à ma honte. La dame est morte sur la fausse accusation tramée par moi et par mon maître; et bref, je ne demande autre chose que le salaire dû à un misérable.