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Et elle joua à l’installation,
cherchant la place de chaque
chose, s’amusant énormément.
Elle parlait tout en ouvrant
les tiroirs :
« Il faudra que j’apporte un
peu de linge, pour pouvoir en
changer à l’occasion. Ce sera
très commode. Si je reçois une
averse, par hasard, en faisant
des courses, je viendrai me
sécher ici. Nous aurons chacun notre clef, outre celle laissée dans la loge pour le cas où nous oublierions les nôtres. J’ai loué pour trois mois, à ton nom, bien entendu, puisque je ne pouvais donner le mien. »
Alors il demanda :
« Tu me diras quand il faudra payer ?
Elle répondit simplement :
« Mais c’est payé, mon chéri ! »
Il reprit :
« Alors, c’est à toi que je le dois ?
– Mais non, mon chat, ça ne te regarde pas, c’est moi qui veux faire cette petite folie. »
Il eut l’air de se fâcher :
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« Ah ! mais non, par exemple. Je ne le permettrai point. »
Elle vint à lui suppliante, et, posant les mains sur ses épaules :
« Je t’en prie, Georges, ça me fera tant de plaisir, tant de plaisir que ce soit à moi, notre nid, rien qu’à moi ! Ça ne peut pas te froisser ? En quoi ? Je voudrais apporter ça dans notre amour. Dis que tu veux bien, mon petit Géo, dis que tu veux bien ?… » Elle l’implorait du regard, de la lèvre, de tout son être.
Il se fit prier, refusant avec des mines irritées, puis il céda, trouvant cela juste, au fond.
Et quand elle fut partie, il murmura, en se frottant les mains et sans chercher dans les replis de son cœur d’où lui venait, ce jour-là, cette opinion : « Elle est gentille, tout de même. »
Il reçut quelques jours plus tard un autre petit bleu qui lui disait :
« Mon mari arrive ce soir, après six semaines d’inspection.
Nous aurons donc relâche huit jours. Quelle corvée, mon chéri !
« Ta CLO. »
Duroy demeura stupéfait. Il ne songeait vraiment plus qu’elle était mariée. En voilà un homme dont il aurait voulu voir la tête, rien qu’une fois, pour le connaître.
Il attendit avec patience cependant le départ de l’époux, mais il passa aux Folies-Bergère deux soirées qui se terminèrent chez Rachel.
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Puis, un matin, nouveau télégramme contenant quatre mots :
« Tantôt, cinq heures. – CLO. »
Ils arrivèrent tous les deux en avance au rendez-vous. Elle se jeta dans ses bras avec un grand élan d’amour, le baisant passionnément à travers le visage ; puis elle lui dit :
« Si tu veux, quand nous nous serons bien aimés, tu m’emmèneras dîner quelque part. Je me suis faite libre. »
On était justement au commencement du mois, et bien que son traitement fût escompté longtemps d’avance, et qu’il vécût au jour le jour d’argent cueilli de tous les côtés, Duroy se trouvait par hasard en fonds ; et il fut content d’avoir l’occasion de dépenser quelque chose pour elle.
Il répondit :
« Mais oui, ma chérie, où tu voudras. »
Ils partirent donc vers sept heures et gagnèrent le boulevard extérieur. Elle s’appuyait fortement sur lui et lui disait, dans l’oreille : « Si tu savais comme je suis contente de sortir à ton bras, comme j’aime te sentir contre moi ! »
Il demanda :
« Veux-tu aller chez le père Lathuille ? »
Elle répondit : « Oh ! non, c’est trop chic. Je voudrais quelque chose de drôle, de commun, comme un restaurant, où
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vont les employés et les ouvrières ; j’adore les parties dans les guinguettes ! Oh ! si nous avions pu aller à la campagne ! »
Comme il ne connaissait rien en ce genre dans le quartier, ils errèrent le long du boulevard, et ils finirent par entrer chez un marchand de vin qui donnait à manger dans une salle à part.
Elle avait vu, à travers la vitre, deux fillettes en cheveux attablées en face de deux militaires.
Trois cochers de fiacre dînaient dans le fond de la pièce étroite et longue, et un personnage, impossible à classer dans aucune profession, fumait sa pipe, les jambes allongées, les mains dans la ceinture de sa culotte, étendu sur sa chaise et la tête renversée en arrière par-dessus la barre. Sa jaquette semblait un musée de taches, et dans les poches gonflées comme des ventres on apercevait le goulot d’une bouteille, un morceau de pain, un paquet enveloppé dans un journal, et un bout de ficelle qui pendait. Il avait des cheveux épais, crépus, mêlés, gris de saleté ; et sa casquette était par terre, sous sa chaise.
L’entrée de Clotilde fit sensation par l’élégance de sa toilette. Les deux couples cessèrent de chuchoter, les trois cochers cessèrent de discuter, et le particulier qui fumait, ayant ôté sa pipe de sa bouche et craché devant lui, regarda en tournant un peu la tête.
Mme de Marelle murmura : « C’est très gentil ! Nous serons très bien ; une autre fois, je m’habillerai en ouvrière. » Et elle s’assit sans embarras et sans dégoût en face de la table de bois vernie par la graisse des nourritures, lavée par les boissons répandues et torchée d’un coup de serviette par le garçon.
Duroy, un peu gêné, un peu honteux, cherchait une patère pour y pendre son haut chapeau. N’en trouvant point, il le déposa sur une chaise.
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Ils mangèrent un ragoût de mouton, une tranche de gigot et une salade. Clotilde répétait : « Moi, j’adore ça. J’ai des goûts canailles. Je m’amuse mieux ici qu’au café Anglais. » Puis elle dit : « Si tu veux me faire tout à fait plaisir, tu me mèneras dans un bastringue. J’en connais un très drôle près d’ici qu’on appelle La Reine Blanche. »
Duroy, surpris, demanda :
« Qui est-ce qui t’a menée là ? »
Il la regardait et il la vit rougir, un peu troublée, comme si cette question brusque eût éveillé en elle un souvenir délicat.
Après une de ces hésitations féminines si courtes qu’il les faut deviner, elle répondit : « C’est un ami… », puis, après un silence, elle ajouta : « qui est mort. » Et elle baissa les yeux avec une tristesse bien naturelle.
Et Duroy, pour la première fois, songea à tout ce qu’il ne savait point dans la vie passée de cette femme, et il rêva. Certes elle avait eu des amants, déjà, mais de quelle sorte ? de quel monde ? Une vague jalousie, une sorte d’inimitié s’éveillait en lui contre elle, une inimitié pour tout ce qu’il ignorait, pour tout ce qui ne lui avait point appartenu dans ce cœur et dans cette existence. Il la regardait, irrité du mystère enfermé dans cette tête jolie et muette et qui songeait, en ce moment-là même peut-
être, à l’autre, aux autres, avec des regrets. Comme il eût aimé regarder dans ce souvenir, y fouiller, et tout savoir, tout connaître !…
Elle répéta :
« Veux-tu me conduire à La Reine Blanche ? Ce sera une fête complète. »
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Il pensa : « Bah ! qu’importe le passé ? Je suis bien bête de me troubler de ça. » Et, souriant, il répondit :
« Mais certainement, ma chérie. »
Lorsqu’ils furent dans la rue, elle reprit, tout bas, avec ce ton mystérieux dont on fait les confidences :
« Je n’osais point te demander ça, jusqu’ici ; mais tu ne te figures pas comme j’aime ces escapades de garçon dans tous ces endroits où les femmes ne vont pas. Pendant le carnaval je m’habillerai en collégien. Je suis drôle comme tout en collégien. »