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Elle s’entêtait surtout à chercher des ruses pour l’attirer rue de Constantinople, et il tremblait sans cesse que les deux femmes ne se trouvassent, un jour, nez à nez, à la porte.

Son affection pour Mme de Marelle, au contraire, avait grandi pendant l’été. Il l’appelait son « gamin », et décidément elle lui plaisait. Leurs deux natures avaient des crochets pareils ; ils étaient bien, l’un et l’autre, de la race aventureuse des vagabonds de la vie, de ces vagabonds mondains qui ressemblent fort, sans s’en douter, aux bohèmes des grandes routes.

Ils avaient eu un été d’amour charmant, un été d’étudiants qui font la noce, s’échappant pour aller déjeuner ou dîner à Argenteuil, à Bougival, à Maisons, à Poissy, passant des heures dans un bateau à cueillir des fleurs le long des berges. Elle adorait les fritures de Seine, les gibelottes et les matelotes, les tonnelles des cabarets et les cris des canotiers. Il aimait partir avec elle, par un jour clair, sur l’impériale d’un train de banlieue et traverser, en disant des bêtises gaies, la vilaine campagne de Paris où bourgeonnent d’affreux chalets bourgeois.

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Et quand il lui fallait rentrer pour dîner chez Mme Walter, il haïssait la vieille maîtresse acharnée, en souvenir de la jeune qu’il venait de quitter, et qui avait défloré ses désirs et moissonné son ardeur dans les herbes du bord de l’eau.

Il se croyait enfin à peu près délivré de la Patronne, à qui il avait exprimé d’une façon claire, presque brutale, sa résolution de rompre, quand il reçut au journal le télégramme l’appelant, à deux heures, rue de Constantinople.

Il le relisait en marchant : « Il faut absolument que je te parle aujourd’hui. C’est très grave, très grave. Attends-moi à deux heures rue de Constantinople. Je peux te rendre un grand service. Ton amie jusqu’à la mort. – VIRGINIE. »

Il pensait : « Qu’est-ce qu’elle me veut encore, cette vieille chouette ? Je parie qu’elle n’a rien à me dire. Elle va me répéter qu’elle m’adore. Pourtant il faut voir. Elle parle d’une chose très grave et d’un grand service, c’est peut-être vrai. Et Clotilde qui vient à quatre heures. Il faut que j’expédie la première à trois heures au plus tard. Sacristi ! pourvu qu’elles ne se rencontrent pas. Quelles rosses de femmes ! »

Et il songea qu’en effet la sienne était la seule qui ne le tourmentait jamais. Elle vivait de son côté, et elle avait l’air de l’aimer beaucoup, aux heures destinées à l’amour, car elle n’admettait pas qu’on dérangeât l’ordre immuable des occupations ordinaires de la vie.

Il allait, à pas lents, vers son logis de rendez-vous, s’excitant mentalement contre la Patronne :

« Ah ! je vais la recevoir d’une jolie façon si elle n’a rien à me dire. Le français de Cambronne sera académique auprès du

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mien. Je lui déclare que je ne fiche plus les pieds chez elle, d’abord. »

Et il entra pour entendre Mme Walter.

Elle arriva presque aussitôt, et dès qu’elle l’eut aperçu :

« Ah ! tu as reçu ma dépêche ! Quelle chance ! »

Il avait pris un visage méchant :

« Parbleu, je l’ai trouvée au journal, au moment où je partais pour la Chambre. Qu’est-ce que tu me veux encore ? »

Elle avait relevé sa voilette pour l’embrasser, et elle s’approchait avec un air craintif et soumis de chienne souvent battue.

« Comme tu es cruel pour moi… Comme tu me parles durement… Qu’est-ce que je t’ai fait ? Tu ne te figures pas comme je souffre par toi ! »

Il grogna :

« Tu ne vas pas recommencer ? »

Elle était debout tout près de lui, attendant un sourire, un geste pour se jeter dans ses bras.

Elle murmura :

« Il ne fallait pas me prendre pour me traiter ainsi, il fallait me laisser sage et heureuse, comme j’étais. Te rappelles-tu ce que tu me disais dans l’église, et comme tu m’as fait entrer de

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force dans cette maison ? Et voilà maintenant comment tu me parles ! comment tu me reçois ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! que tu me fais mal ! »

Il frappa du pied, et, violemment :

« Ah ! mais, zut ! En voilà assez. Je ne peux pas te voir une minute sans entendre cette chanson-là. On dirait vraiment que je t’ai prise à douze ans et que tu étais ignorante comme un ange. Non, ma chère, rétablissons les faits, il n’y a pas eu détournement de mineure. Tu t’es donnée à moi, en plein âge de raison. Je t’en remercie, je t’en suis absolument reconnaissant, mais je ne suis pas tenu d’être attaché à ta jupe jusqu’à la mort.

Tu as un mari et j’ai une femme. Nous ne sommes libres ni l’un ni l’autre. Nous nous sommes offert un caprice, ni vu ni connu, c’est fini. »

Elle dit :

« Oh ! que tu es brutal ! que tu es grossier, que tu es infâme ! Non ! je n’étais plus une jeune fille, mais je n’avais jamais aimé, jamais failli… »

Il lui coupa la parole :

« Tu me l’as déjà répété vingt fois, je le sais. Mais tu avais eu deux enfants… je ne t’ai donc pas déflorée… »

Elle recula :

« Oh ! Georges, c’est indigne !… »

Et portant ses deux mains à sa poitrine, elle commença à suffoquer, avec des sanglots qui lui montaient à la gorge.

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Quand il vit les larmes arriver, il prit son chapeau sur le coin de la cheminée :

« Ah ! tu vas pleurer ! Alors, bonsoir. C’est pour cette représentation-là que tu m’avais fait venir ? »

Elle fit un pas afin de lui barrer la route et, tirant vivement un mouchoir de sa poche, s’essuya les yeux d’un geste brusque.

Sa voix s’affermit sous l’effort de sa volonté et elle dit interrompue par un chevrotement de douleur :

« Non… je suis venue pour… pour te donner une nouvelle…

une nouvelle politique… pour te donner le moyen de gagner cinquante mille francs… ou même plus… si tu veux. »

Il demanda, adouci tout à coup :

Comment ça ! Qu’est-ce que tu veux dire ?

– J’ai surpris par hasard, hier soir, quelques mots de mon mari et de Laroche. Ils ne se cachaient pas beaucoup devant moi, d’ailleurs. Mais Walter recommandait au ministre de ne pas te mettre dans le secret parce que tu dévoilerais tout. »

Du Roy avait reposé son chapeau sur une chaise. Il attendait, très attentif.

« Alors, qu’est-ce qu’il y a ?

– Ils vont s’emparer du Maroc !

– Allons donc. J’ai déjeuné avec Laroche qui m’a presque dicté les intentions du cabinet.

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Non, mon chéri, ils t’ont joué parce qu’ils ont peur qu’on connaisse leur combinaison.

– Assieds-toi », dit Georges.

Et il s’assit lui-même sur un fauteuil. Alors elle attira par terre un petit tabouret, et s’accroupit dessus, entre les jambes du jeune homme. Elle reprit, d’une voix câline :

« Comme je pense toujours à toi, je fais attention maintenant à tout ce qu’on chuchote autour de moi. »

Et elle se mit, doucement, à lui expliquer comment elle avait deviné depuis quelque temps qu’on préparait quelque chose à son insu, qu’on se servait de lui en redoutant son concours.

Elle disait :

« Tu sais, quand on aime, on devient rusée. »

Enfin, la veille, elle avait compris. C’était une grosse affaire, une très grosse affaire préparée dans l’ombre. Elle souriait maintenant, heureuse de son adresse ; elle s’exaltait, parlant en femme de financier, habituée à voir machiner les coups de bourse, les évolutions des valeurs, les accès de hausse et de baisse ruinant en deux heures de spéculation des milliers de petits bourgeois, de petits rentiers, qui ont placé leurs économies sur des fonds garantis par des noms d’hommes honorés, respectés, hommes politiques ou hommes de banque.