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Soudain, Gilles leva sa main gantée.

— La demi-heure est passée. En chasse !

Chevaux et cavaliers s'ébranlèrent. Les chiens, traînant presque leurs gardiens qui n'avaient pas trop de tous leurs muscles pour les retenir, partirent en tête. L'air s'emplit de leurs aboiements. Derrière eux, la dame de Craon lança son cheval.

— Qu'importe le gibier à ma noble grand-mère, ironisa Gilles à l'usage de Catherine, pourvu qu'elle chasse ! Soyez certaine qu'elle traquera votre Normand aussi ardemment qu'un vieux solitaire !

Côte à côte, le grand cheval noir et la petite jument blanche franchirent le pont-levis.

En sortant du château, Catherine vit que le chemin vers le village et vers la Loire avait été barré par un cordon de soldats. On craignait sans doute que le gibier, poussé par le désespoir, n'eût l'idée de se jeter au fleuve pour tenter de le franchir et mettre ainsi entre ses poursuivants et lui un infranchissable rempart. Les hommes, choisis pour leur taille, tranchaient vigoureusement, jambes écartées, visages immobiles sous les chapeaux de fer, sur le paysage d'îles sableuses et d'eau au-delà duquel s'érigeaient, fantomatiques, les tours de Montjean et les mâts des navires qui, de Nantes, remontaient jusque-là.

— Vous ne laissez vraiment rien au hasard, fit Catherine, les lèvres serrées.

— Je ne tiens pas à ce que la chasse tourne court, répondit Gilles avec un sourire aimable.

Les chiens, déjà, se lançaient vers le bord de l'étang. Les traces de pas, profondément enfoncées dans la boue, montraient que l'homme avait dû courir pour gagner la forêt. La forêt ! Son royaume à lui, le bûcheron des grandes futaies normandes ! Malgré les pluies récentes, l'herbe jaunissait, ne gardant sa verdure que dans les profondeurs. Au-delà de l'étang, la forêt rousse brillait comme une énorme fourrure fauve et doré,-rouge aussi par endroits, commençant déjà à répandre sur la terre sa parure bruissante. Haut dans le ciel passait le vol rapide des oiseaux migrateurs, en route vers le sud. Catherine envia leur liberté et ce don merveilleux qu'ils avaient de pouvoir rompre avec la terre et partir ainsi, dans la lumière bleue, à la poursuite du soleil, de la chaleur... Elle avait, plus cruellement que jamais, conscience de son impuissance et du danger que courait Gauthier.

Le nez à terre, reniflant la boue, les chiens suivaient la trace en bons limiers. Infiniment plus indolent était le léopard.

Le grand fauve semblait effectuer là une ennuyeuse promenade et son regard, lourd d'indifférence, tournait autour de lui, ignorant la troupe hurlante et frétillante des molosses qui paraissaient l'avant-garde désordonnée de quelque prince flegmatique. Sous le couvert du bois, les arbres avaient allégé leur feuillage, éclairci leur ombre. Parfois, la meute s'arrêtait, flairant le vent. Un valet embouchait alors une corne, lançant au ciel un appel rauque, puis le train repartait.

— Découplez les chiens ! cria Gilles.

Les bêtes libérées partirent comme des boulets. Les chevaux prirent le galop. Devant elle, Catherine voyait sauter la croupe noire de Casse-noix et danser la longue queue de l'animal. La petite jument le suivait comme son ombre. Un peu en avant, elle pouvait voir voltiger le voile vert d'Anne de Craon, entre les branches rousses. Il y avait longtemps qu'elle n'avait suivi de chasse, mais elle retrouvait, instinctivement, au galop de sa bête, toutes ses qualités d'excellente cavalière.

Philippe de Bourgogne était un maître exigeant en matière d'équitation et il adorait la chasse comme tous les Valois. A son école, Catherine avait appris à la fois les finesses de la vénerie et ce qu'il était possible de tirer d'un cheval. Aucune femme et fort peu d'hommes montaient aussi habilement, aussi élégamment qu'elle. Le duc Philippe, au temps de leurs amours, en était extrêmement fier. Mais, ces particularités, elle s'était bien gardée d'en faire part à son geôlier, se bornant à une attitude sans relief ni éclat. Elle s'était contentée d'étudier sa monture. Certes, Morgane semblait éprouver un vif attrait pour le grand étalon noir, mais elle était d'encolure trop fine pour n'être pas délicate et sa bouche était sensible. Elle ne résisterait pas aux impulsions d'une main vigoureuse.

Si la vie de Gauthier n'eût été suspendue à cette chasse inhumaine, Catherine eût pris plaisir à galoper ainsi dans l'air vif du matin. Les aboiements des chiens et les appels de trompe emplissaient la forêt d'un tintamarre joyeux.

Dans une petite clairière où, solitaire, s'élevait un chêne vénérable, la meute parut hésiter. Sous les énormes branches tordues, un des mâtins leva le nez, renifla, puis fila sur la droite de l'arbre dont le vent faisait frissonner le dôme énorme.

Tous les autres s'engouffrèrent sur sa trace dans un épais fourré. Gilles ricana.

— Il ne leur échappera pas ! Avant peu nous trouverons ce croquant, tremblant de peur en quelque coin, tête aux chiens. J'espère seulement qu'ils en laisseront quelques bribes...

À cet instant, un terrifiant rugissement emplit le bois, effrayant les oiseaux qui s'envolèrent et faisant courir un frisson le long de l'échiné de Catherine. Elle sentit couler sa sueur. Le léopard avait grondé et d'un puissant coup de reins s'était arraché à la main de son gardien. Catherine vit un éclair jaune et noir filer dans le fourré, dans une direction opposée à celle suivie par les chiens. Anne de Craon, surprise d'abord, s'était arrêtée tandis que Gilles, avec un affreux juron, s'arrêtait aussi. Le regard de Catherine croisa celui de la vieille femme. Celle-ci fit un geste impérieux qui, dans un éclair, fut saisi. Prestement, Catherine, arrachant une épingle de son corsage, l'enfonça férocement dans la croupe de Casse-noix.

Le cheval hennit de douleur, puis partit à un train d'enfer sur la trace des chiens. Catherine, de toutes ses forces, tira sur ses rênes, obligeant, bon gré mal gré, la petite jument furieuse à demeurer sur place. Déjà Anne de Craon était près d'elle.

— Vite ! Il faut suivre le léopard... J'avais compté sans cette maudite bête !

Tout en piquant des deux sur la trace du fauve, Catherine demanda, la figure fouettée d'une branche morte :

— Qu'aviez-vous donc fait ?

— Un de mes serviteurs attendait la meute ici avec un jeune sanglier, un ragot de deux ans capturé il y a deux jours.

J'avais fait dire à votre paysan de foncer par ici, puis de grimper dans le chêne dont les branches l'auraient caché et lui auraient permis de s'éloigner sans laisser de traces à terre tandis que le ragot serait lâché. Mais ce damné félin a éventé la ruse et ne s'est pas laissé prendre. Il a suivi la bonne piste. Il faut le rattraper avant qu'il ne trouve l'homme.

Le vent de la course folle, à travers fourrés et taillis, coupait la voix de Catherine. Pourtant, elle parvint à crier :

— Mais Gilles et les autres ?

— Vont galoper un bon moment sur les traces de mon sanglier, répondit Anne, avant de s'apercevoir de leur erreur.