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— Félicitations ! fit Catherine amèrement. Oh ! je n'ai jamais espéré être crue de vous ! Mais je vous jure que, ce soir, elle aura quitté cet endroit. Sinon ce sera moi ! Au fond, ajouta la jeune femme avec douleur, c'est ce que vous préféreriez, n'est-ce pas, maintenant que mon enfant...

Le cri de Sara vint, comme une réponse.

— Il vit ! Il respire !

Un même mouvement jeta la mère et la grand-mère vers le grand lit. Entre les fortes mains de Sara, le bébé avait perdu sa tragique teinte bleutée. Sa bouche s'ouvrait comme celle d'un petit poisson tiré de l'eau. Les membres s'agitaient faiblement. Par-dessus son épaule, Sara lança vers Isabelle :

— Faites chauffer les langes devant le feu !

Et la grand-mère obéit avec empressement. Ses yeux étaient pleins de larmes mais aussi pleins de lumière.

— Il vit ! balbutia-t-elle. Mon Dieu ! Soyez béni !

À genoux près du lit, Catherine pleurait et riait tout

à la fois. Michel reprenait conscience de plus en plus vite tandis que Sara continuait à lui administrer de petites tapes. Ce traitement finit sans doute par lui déplaire profondément car, brusquement, il devint rouge vif, ouvrit la bouche en grand et se mit à hurler avec conviction. Jamais musique ne parut plus belle à Catherine qui, assise sur ses talons, l'écoutait extasiée tandis que Sara prenait vivement les langes chauds des mains d'Isabelle pour en envelopper le petit corps gigotant. Mais Catherine, au vol, attrapa l'une des mains de sa vieille amie et, l'appuyant contre son visage inondé de larmes, la couvrit de baisers.

— Tu l'as sauvé ! hoqueta-t-elle. Tu me l'as rendu ! Merci ! Oh, merci !

Sara enveloppa la jeune femme d'un regard chargé de tendresse. Se penchant vivement, elle l'embrassa sur le front et retira sa main.

— Allons ! Allons ! bougonna-t-elle. Ne pleurez plus ! C'est fini.

Elle acheva rapidement d'emmailloter Michel puis l'offrit à sa mère. Catherine le prit dans ses bras avec un profond sentiment de bonheur. Il y avait une flamme chaude au milieu de son être. C'était comme si la vie s'était retirée d'elle et revenait maintenant à grands flots brûlants. Elle couvrit de baisers les soyeux cheveux blonds, mais, par-dessus la tête de l'enfant, son regard rencontra celui d'Isabelle. Elle se tenait debout de l'autre côté du lit, les bras ballants, et elle regardait la mère et l'enfant avec un air affamé qui fit mal à Catherine. Elle était trop heureuse pour n'être pas généreuse. Elle tendit l'enfant avec un beau sourire.

Tenez ! dit-elle gentiment. À vous ! Quelque chose s'émut dans le visage figé de la vieille dame.

Elle avança des mains chargées d'adoration et regarda Catherine bien en face. Sa bouche s'ouvrit mais aucun son ne vint. Elle eut un sourire tremblant puis, serrant le bébé sur son cœur comme un trésor, elle alla lentement s'asseoir auprès de la cheminée. Catherine contempla un moment cette sombre madone en voiles noirs penchée sur un bambin blond qui gazouillait. Puis se détourna avec décision et, sans plus s'occuper d'Isabelle, arracha sa robe trempée qu'elle remplaça par une autre. C'était la robe de lainage vert, aux rubans de velours noir, qu'elle avait portée le soir de son mariage. Quand elle l'eut ajustée, elle se recoiffa, lissa posément ses nattes, les roula en couronne autour de sa tête.

Ensuite, elle prit t un manteau, s'en enveloppa. Sara, sans mot dire, la regardait faire. Quand Catherine fut prête, la gitane demanda :

— Où vas-tu ?

— Régler mes comptes une bonne fois. Ce qui s'est passé aujourd'hui ne doit plus se reproduire.

Sara laissa son regard glisser jusqu'à Isabelle, revint à Catherine et baissa la voix.

— Avec qui veux-tu régler tes comptes ? Avec cette fille ?

— Non. Il suffit de la chasser. C'est avec Arnaud que je veux m'expliquer. Il doit apprendre ce qui nous est arrivé, à Michel et à moi. Je pense que, cette fois, il acceptera de m'entendre. À moins qu'il ne fuie encore devant moi comme il l'a fait tous ces jours.

L'angoisse qui vibrait dans la voix de Catherine remua Sara. Elle prit la jeune femme aux épaules, la tint un instant contre elle en serrant si fort que Catherine sentit battre, à grands coups réguliers, le cœur de sa fidèle amie. Un court moment, elle appuya son front au creux de l'accueillante épaule, s'abandonna.

— Je ne sais plus, Sara ! Que dois-je croire ? Que dois-je penser ? Il est devenu si bizarre, ces derniers temps. Que lui ai-je fait ? Pourquoi me fuit-il ?

— Tu n'es pas la seule, il me semble.

— Non. Mais c'est moi surtout qu'il fuit, je l'aime trop pour ne pas sentir cela au plus profond de ma chair. Et pourquoi, pourquoi ?

Sara garda le silence quelques secondes. Par-dessus la tête de Catherine, son visage reflétait une immense compassion. Ses lèvres s'appuyèrent vivement sur la peau fine de la tempe. Puis elle soupira.

— Peut-être n'est-ce pas tellement toi qu'il fuit. Vois-tu, il arrive qu'un homme cherche à se fuir lui- i même. C'est alors beaucoup plus grave !

Les étuves de Carlat étaient antiques et rudimentaires. Elles n'avaient rien de comparable avec les vastes salles, peintes et tendues de toiles brodées où les habitants des palais de Bourgogne se baignaient dans ces cuves d'étain poli ou d'argent ciselé. C'était seulement une salle basse et voûtée au centre de laquelle s'ouvrait une cuve de pierre. Auprès de la cuve un grand chaudron contenait l'eau qui chauffait à un trépied de fer disposé sous un trou d'aération. Dans un autre coin, une simple planche de bois posée sur des tréteaux servait de table de massage. Une rigole, creusée dans le sol et communiquant par un trou avec l'extérieur de la muraille, assurait la vidange. L'endroit était très obscur. On y descendait par trois marches taillées à même le roc et seul un pot à feu enchâssé dans un grillage de fer éclairait la pièce.

Lorsque Catherine y parvint, la porte était entrouverte et la grosse fille, rouge et vigoureuse, qui remplissait les fonctions d'étuviste, se glissait tout juste au-dehors. Elle se trouva nez à nez avec la jeune femme, devint encore plus rouge.

-- Où vas-tu ? demanda Catherine. On m'a dit que mon époux se baignait. A-t-il donc déjà fini ?

La fille, avec un coup d'œil inquiet à la porte, devint encore plus rouge. Avant de répondre, elle s'éloigna de quelques pas.

— Non, noble dame ! Il est là, tout au contraire.

— Alors ?

La baigneuse baissa le nez. Ses gros doigts tordaient nerveusement son tablier bleu trempé d'eau. Elle regarda Catherine en dessous, puis, très vite :

— La demoiselle m'a donné une pièce d'argent pour que je lui cède la place quand monseigneur se fait oindre d'huile.

Elle... elle s'était cachée derrière le gros pilier du fond.

Le beau visage de Catherine rougit à son tour, mais de fureur, et la fille, apeurée, leva un bras d'un geste instinctif pour protéger sa tête contre les gifles éventuelles. La jeune femme se contenta de la chasser du doigt.

— Va-t'en... et tiens ta langue !

Elle fila sans demander son reste. Demeurée seule, Catherine s'approcha de la porte entrebâillée. À l'intérieur, aucun bruit ne se faisait entendre hormis celui de l'eau s'écoulant de la cuve. Catherine jeta un coup d'œil. Ce qu'elle vit lui fit serrer les poings, mais, au prix d'un violent effort, elle se contint, s'obligea au silence. Elle voulait voir ce qui allait se passer.

Arnaud était étendu, à plat ventre, la tête enfouie dans ses bras croisés. Debout auprès de lui, Marie versait sur son dos l'huile contenue dans une fiole de verre bleu, puis, lentement, commençait à enduire tout son corps. Il ne bougeait pas.

Les mains étroites et brunes de la jeune fille suivaient dévotieusement le contour des muscles qui, à la lumière rougeâtre du quinquet, prenaient un relief étrange. La peau luisait comme du satin brun. Et Catherine, hypnotisée, ne pouvait en détacher ses yeux. Elle avait une conscience aiguë, presque douloureuse, de ces mains caressantes se promenant sur le corps d'Arnaud. Les flammes de la torche faisaient briller les gouttes de sueur sur le visage et le cou de Marie. La respiration de la jeune fille devenait courte, haletante. La passion sensuelle que lui inspirait l'homme étendu devant elle éclatait si crûment que Catherine, labourée par la jalousie, grinça des dents. Elle vit Marie humecter du bout de la langue ses lèvres desséchées...