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Je l’ai in the fignedé. J’attends quelques secondes. Le sommeil me brûle les paupières. Le sec déclic du combiné qu’on vient de reposer sur sa fourche me donne un coup de fouet.

Je me jette dans les ouatères marqués « Dames » ; je ne suis pas celle que vous pensez, et ce n’est pas pour rajuster mon porte-jarretelles que j’entre ici, mais parce que c’est la voie de secours la plus proche.

Je crois que mon Lando va remonter illico, mais pas du tout. Il se paie le compartiment de fumeur d’à côté. Et il intervertit l’ordre des choses. C’est-à-dire qu’à peine la porte refermée, il se met à déchirer du papier. Il doit le déchiqueter menu et il le fait en hâte. Puis il tire la chasse une première fois d’abord. Il attend qu’elle se remplisse et la retire encore. Et encore ! Et re-encore. C’est un Landowski nautique !

Je pige son manège : il se défait de papiers compromettants et les évacue de cette manière.

Je quitte la section des dames seules et je me trouve nez à groin avec l’arroseur fabricant de 8.

Il est sidéré en me voyant sortir des toilettes pour dames.

Je lui vaporise un gentil sourire.

— Je m’appelle Claude, plaidé-je, c’est un prénom qui n’a pas de sexe et me permet l’accès partout.

Là-dessus, je l’abandonne à son ahurissement et je refais surface.

Mon caoua est en train de refroidir. Je le sirote, j’en redemande un second et je mange un croissant chaud pour essayer de colmater mes brèches.

Landowski réapparaît. Il ne me jette qu’un coup d’œil distrait. Je me complais à l’étudier dans la glace.

C’est une vraie armoire que ce gars-là. Il a des épaules comme ça, des biscotos comme ceci et une mâchoire qui ferait baver de jalousie un dogue allemand.

Son front est étroit, mais large comme un lit nuptial. Des cheveux blonds rares croissent dessus sans se multiplier. Il a une profonde cicatrice au sommet du nez, quelque chose comme le souvenir d’un coup de sabre. Le regard est lent, clair, attentif. La fausse brute ! Il possède l’aspect d’un débardeur mais il est certainement plus rusé qu’un revendeur de voitures d’occasions-à-saisir.

Il avale deux gorgées de son jus, paie et s’en va.

Je fais signe au garçon en gilet noir d’approcher son oreille capteuse. Je lui montre ma carte. En voilà une qu’on devrait imprimer sur acier inoxydable. À force de la balader sous les yeux myopes ou presbytes de mes contemporains, elle finit par être dans un piteux état, la pauvrette.

Le bon loufiat prend des roberts comme une grenouille. Il pige pas qu’un flicard puisse demander les vespasiennes.

Ça le catastrophe. Il avait une plus haute idée de la police. Il y croyait, en tant qu’institution. Il ne l’imaginait pas sous l’angle organique.

— Ben mince, fait-il, ce qui, en français, pourrait s’écrire autrement et avec le même nombre de lettres.

— Que personne n’utilise jusqu’à nouvel ordre les toilettes des hommes ! dis-je. Je vais prévenir le service compétent pour qu’on y fasse des sondages.

— Des sondages, module-t-il, comme il avait répété naguère : un petit noir.

— Yes, sir.

Il croit piger, et sa bobine s’éclaire au néon.

— Vous avez laissé tomber vot’ montre ?

— Pas exactement, mais vous brûlez, mon vieux. Aboulez un jeton et continuez de réfléchir ; si dans un an et un jour personne n’est venu réclamer vos hypothèses, elles sont à vous.

Là-dessus, nanti d’un nickel, j’effectue une nouvelle descente.

CHAPITRE V

Dans lequel je vais essayer de prouver ce qui ne l’a pas été dans le précédent : à savoir que la magie est avant tout l’art de l’illusion

Mes instructions sont données, comme disait un instituteur que je n’ai pas connu. Les spécialistes de la pompe amère sont en action. Je puis donc vaquer à d’autres occupations en attendant qu’ils dénichent le document balanstiqué par Landowski.

Je m’achète un nouveau jeton pour une somme relativement modique et je vais téléphoner à l’Alcazar. Le concierge du théâtre est levé et me répond. Il semble très troublé par la présence de policiers dans les coulisses de l’honorable établissement.

— Passez-moi l’un des agents qui se trouvent chez vous ! commandé-je.

Bien que je téléphone à un théâtre, c’est sans réplique.

— De la part ? demande le cerbère.

— De la part de moi-même, glapis-je ; faites vite, mon vieux, j’ai du lait sur le feu.

Il maugrée pour la forme et va quérir un matuche.

Une voix forte, bien timbrée à 0,25 NF, ne tarde pas à me gazouiller de mélodieux « Allô » dans les feuilles.

Je me fais connaître, la voix aussi. C’est celle d’un de mes agents. Ils n’ont pas encore été remplacés.

— Quoi de nouveau ? je demande de façon abrupte et péremptoire.

— Absolument rien, me répond le gardien de la paix habillé en sergent de ville. Votre collègue dort toujours et personne n’a essayé de s’introduire dans le théâtre.

Je suis un tantinet surpris.

— Très bien : faites transporter le dormeur chez lui.

Je lui refile l’adresse du Gravos.

— Je vous y rejoindrai, ajouté-je, avec une personne compétente et qualifiée.

Je raccroche et j’ai un instant de ballottement dans la cabine. Le sommeil commence à me terrasser. Je donnerais dix pour cent de vos revenus contre un bon lit fleurant la lavande. En écraser me paraît le bonheur suprême : le cul-de-sac de la félicité.

Mais l’instant est grave.

Je remonte à l’air libre après avoir questionné les scaphandriers de fosse d’aisance sur leurs fouilles.

Ils m’annoncent qu’ils sont sur le point d’aboutir.

Je vais m’allonger sur une banquette, dans une arrière-salle du bistrot, vide à ces heures et je me pique une ronflette express.

Étendu sur la froide moleskine, je plonge directo dans le sirop. Mon corps se détend, s’allège. Mais mon subconscient continue son turbin. Je me dis que cette affaire est un drôle de sac d’embrouilles. J’ai plongé mon grand pif dans un nid de frelons et ça bourdonne sec dans le domaine de la magie.

Pourquoi le Gros est-il monté sur la scène ?

À qui l’assistant du Petit Marcel est-il venu bigophoner ?

Quels sont les documents qu’il a détruits ?

Que signifie ce micmac ?

Pourquoi a-t-on endormi le Gros et pourquoi l’a-t-on abandonné dans la loge du Petit Marcel ?

Le point d’interrogation pleut sur mon sommeil, le submerge, le noie.

Je coule à pic. Heureusement une main m’agrippe, salvatrice. Je me réveille. La pogne est celle du loufiat qui me secoue.

— Ces messieurs ont fini…

Je m’assieds, je bâille et je jette sur l’existence un regard effrayé. Quand je pense qu’il y a des gnards qui se sentent tout joyces au réveil ! Des mecs détendus qui en matant la vie, après une bonne dorme, lui trouvent une frime appétissante et se pourlèchent les badigouinces à l’avance.

Moi, c’est tout le contraire. Au sortir des vapes, j’ai une notion aiguë de sa perfidie à cette sournoise. Je la jauge directo et un frisson me dévale le long de l’arête centrale. Il me faut un bon coup d’énergie pour raccrocher, pour y croire, pour faire comme si elle était bien accueillante, bienveillante et tout ; avec des délices au tournant de chaque minute et un tapis de bonheur déroulé à perte de vue devant mes pas.

— Où sont-ils, ces messieurs ?

Le roi du percolateur se gondole comme une plaque de tôle ondulée.

— Ils se lavent les mains.

Je retrouve mes spécialistes autour du lavabo. Il paraît que la mère Marie-Antoinette reniflait la violette ; c’est pas leur cas. M’est avis qu’il faudrait que Balenciaga les prenne en main, les supermen du conduit merdeux.