Выбрать главу

— En quel honneur la police s’intéresse-t-elle à Edwin ? s’inquiète la douce enfant.

— Elle ne s’intéresse pas à lui à proprement parler, déclaré-je en ponctuant le tout d’un petit ricanement enjoué, elle a plus exactement besoin de lui.

— Besoin de lui ?

— Pour réveiller un de ses spectateurs d’hier soir. Ce gars était monté sur scène. M. Zobedenib l’a mal tiré de son état comateux, ou alors il s’agit d’un sujet exceptionnel, toujours est-il qu’on l’a retrouvé endormi dans les coulisses cette nuit, au cours d’une ronde, et qu’on aimerait le restituer à la réalité.

— C’est fantastique, dit la gosse. Jamais pareille chose ne s’est produite. Edwin connaît son métier, et il n’a pas pour habitude…

— Je ne dis pas que ce soit une habitude, rectifié-je.

À mon tour de te contrer, poulette. Tes vannes de tout à l’heure me sont restées sur la patate.

Maintenant je suis presque certain qu’il y a quelqu’un dans la pièce voisine. Je viens de percevoir un léger craquement du plancher. Il se pourrait que la belle rouquine me mène en bateau.

— À quelle heure M. Zobedenib est-il parti ?

— Il y a à peine vingt minutes. Il prend l’avion de huit heures.

Je regarde ma montre. Elle indique sept plombes trente-cinq. Il serait encore temps de l’intercepter à l’aéroport.

— Est-on sûr que l’homme dont vous parlez soit en catalepsie ? insiste la donzelle. N’aurait-il pas plutôt pris un malaise ?

— Non. Le médecin est formel.

Cette fois ma décision est arrêtée. Je désigne l’appareil téléphonique.

— Vous me permettez d’user de cet instrument ?

— Faites, répond-elle avec une indifférence un peu trop affectée.

Je vais décrocher. Tous les postes du building passent par un standard. Une voix de femme s’inquiète de mes désirs.

— Passez-moi le commissariat d’Orly en priorité, dis-je.

La rouquine s’étrangle un peu en buvant son reste de jus.

— Qu’allez-vous faire ?

— Retarder le départ de Zobedenib. Au fait, c’est votre mari ?

— Mon patron, rectifie-t-elle. Je suis sa secrétaire.

— Particulière ? j’ajoute sans me marrer.

— Particulière, admet-elle, au lieu de me traiter de mufle, ce qui serait son droit.

Elle ajoute :

— Le Petit Marcel (et elle prononce ça avec respect) reçoit beaucoup de courrier.

Pour preuve de ses dires, elle me montre une avalanche de bafouilles dans une corbeille d’osier. Je remarque alors la machine à écrire portable remisée sur un meuble.

— Or, s’il parle français, il ne le lit pas, et l’écrit encore moins, poursuit-elle. C’est moi qui réponds à ses nombreux admirateurs.

— Je vois, fais-je. Et je vois aussi que vous prenez votre service de fort bonne heure.

— Aujourd’hui c’est exceptionnel, je suis venue très tôt à cause de son départ, justement.

Je désigne sa robe de chambre.

— Et vous vous mettez dans une tenue commode pour travailler ?

Elle rougit et détourne les yeux.

— Ça me regarde, ronchonne la secrétaire particulière.

La voix de la standardiste m’annonce que j’ai Orly.

— Le commissariat ? lancé-je allégrement.

Tout en jactant je surveille la porte de la chambre. Pas d’erreur : il y a quelqu’un derrière. Je suis certain que le loquet a eu un frémissement. Ça m’ennuierait de partir sans avoir jeté un coup d’œil de ce côté.

La fille rousse aussi surveille la chambre.

D’un mouvement très naturel et comme par discrétion, elle s’y dirige.

— Allô, fais-je, le commissaire Météaud est-il là ?

— Non.

— Alors passez-moi son adjoint, ici commissaire San-Antonio.

Je suis connu dans la poulaillerie et j’impressionne les collègues.

On me dit O.K.

Délicatement je pose le combiné sur la commode et sur la pointe des pieds je gagne la porte de la chambre.

Pour donner le change, je mets ma main devant ma bouche et je clame des « Allô ! » impatientés.

La lourde est refermée, mais c’est au tour du gars bibi de jouer les valets de chambre.

Je mets mon œil le plus sagace au niveau du trou de la serrure. Travelling optique ! J’aperçois deux jambes d’homme. C’est fulgurant comme un éclair.

En deux enjambées, je retourne au téléphone.

L’adjoint de Météaud s’égosille à dire qu’il est en ligne. Je lui assure que bibi itou.

— Un certain Edwin Zobedenib s’apprête à prendre le Paris-Londres de huit heures, dis-je.

— Huit heures quatre, rectifie cette horloge parlante.

— Soit ! Interceptez-le et faites-le conduire d’urgence à telle adresse. (Je cloque celle du gars Béru[2].) S’il proteste, dites-lui qu’il pourra prendre l’avion suivant. À quelle heure y en a-t-il un autre ?

— À dix heures quarante et une, rétorque cet indicateur vivant.

— O.K. Faites le nécessaire.

Je raccroche. Comme par enchantement, la gosseline fait sa rentrée.

— Vous avez entendu ? lui dis-je.

Elle chique les étonnées.

— Non, quoi donc ?

— Je retarde le départ de votre honorable patron. Et de ce pas je vais aller le trouver. Avez-vous quelque chose à lui faire dire ?

— Non, rien…

— Vous êtes mademoiselle ?…

— Solange Roland.

Je prends mon stylo à encre, vu que j’ai une idée derrière la calebasse.

J’écris son identité sur mon carnet et, mine de rien, j’actionne la petite pompe à encre du stylo. Ça se met à crachoter sur la feuille. J’en prends plein le bout des doigts.

— Quel manche ! mugis-je. Où puis-je me laver les doigts ?

Alors elle devient pâlotte, la fille. Je ne lui laisse pas le temps de récupérer.

— La salle de bains est par là, je suppose ? ajouté-je en fonçant en direction de la chambre.

Elle a un sursaut.

— Non ! s’écrie-t-elle, venez plutôt à la cuisine, c’est tout en désordre par ici…

— Oh ! ne vous en faites pas. Les policiers, c’est comme les toubibs, ils ont l’habitude de voir les lits défaits et les brosses à cheveux sur le plateau du petit déjeuner.

Et là-dessus, sans façon, je pousse la porte.

Un qui est marri, c’est le gars Landowski en me voyant débouler dans la piaule. Il a un élan vers la salle de bains, mais il comprend combien une telle tentative serait superfétatoire et il s’assied sur le bord du lit.

Il est dans la situation du monsieur à poil qu’un cocu inopiné découvre dans sa garde-robe. C’est dur à affronter, un instant pareil. Il ne peut décemment pas dire qu’il prend le frais puisqu’il se trouve dans une chambre à coucher aux fenêtres hermétiquement closes et il sent bien que je ne le croirais pas davantage s’il me racontait qu’il attend l’autobus.

— Oh ! excusez-moi, dis-je. Je ne me doutais pas qu’il y avait quelqu’un.

Je me demande s’il me reconnaît. Car en somme il m’a vu deux heures auparavant au comptoir du bistrot. Il se peut que je ne l’aie pas impressionné. Pourtant il me dévisage d’un air songeur comme si, brusquement, il se rappelait. À travers le trou de la serrure il me voyait mal. Maintenant il est aux premières loges pour m’admirer.

La môme Solange a titubé jusqu’à la porte et nous regarde. Il y a comme un moment d’indécision. J’ai toujours mes doigts tachés d’encre. Je me dirige vers la salle de bains minuscule et vaguement archaïque. Je me savonne en lorgnant le couple dans la glace du lavabo.

Ni l’un ni l’autre ne moufte. Ils attendent que je prenne l’initiative des opérations.

вернуться

2

Je me garde bien de vous la communiquer, car vous iriez le faire tartir, vicelards comme je vous connais. Et le Gros a déjà assez d’emmouscaillements avec sa baleine.