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— Cela ne nous expliquerait pas ce que l’homme fichait dans votre loge, bougonné-je.

— Il est peut-être sous l’effet d’un anesthésique administré par quelqu’un ayant intérêt à le neutraliser ? Ce quelqu’un l’aura collé dans la loge de Petit Marcel pour aiguiller les soupçons sur une fausse piste. Le calcul était bon ! En effet : lorsque vous trouvez un homme endormi dans la loge d’un hypnotiseur, la première idée qui vous vient à l’esprit, que vous soyez policier ou pas, c’est que c’est l’hypnotiseur qui l’a endormi.

Je me dis à la puissance mille qu’il a raison. Et je me dis en outre qu’il n’y a pas plus de différence entre un pâté en croûte et San-Antonio qu’entre Bérurier et un cocu. Soyons logique, loyal et positif : je me suis mis le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate depuis le début. Le propre de l’homme fort, a dit je ne sais quelle truffe, c’est de savoir reconnaître ses erreurs. San-A. reconnaît les siennes. Quand il le faut, il se frappe la poitrine à s’en fêler les côtelettes, San-A. Il est comme ça et pas autrement, San-A.

Il pige enfin que la magie est l’art de l’illusion. Il a cru que dans le sommeil bérurien elle avait son mot à dire et il constate que c’était une illusion.

Alors San-A. fait marche arrière. L’écrevisse-polka, il sait la danser.

— Excusez le dérangement, fais-je. Mais il faut que j’aille rejoindre votre patron auprès du patient.

Solange me compte dix gouttes d’extase avec son œil gauche et douze de volupté en puissance avec le droit.

— Si vous aviez la gentillesse de ne pas lui dire que…

Je file un regard nostalgique à ses charmes.

— Comptez sur moi, ravissante personne.

On peut être flic, on n’en est pas moins mutin.

Je me demande tout de même pourquoi la gosseline rouquinos a tellement les chocottes que l’endormeur public number one soit au courant de sa liaison avec Landowski. Ou plutôt je ne me le demande pas : je le sais. Petit Marcel n’est pas seulement son employeur. Et s’il savait qu’elle grimpe avec l’assistant, il lui ferait une scène en grande exclusivité mondiale.

Entre nous et le terrain de football de La Garenne-Colombes, c’est pas fort d’être le superman du subconscient et de se laisser encornifler en n’y voyant que tchi.

Je quitte le couple pour me propulser sur les terres de B.B.

CHAPITRE VI

Dans lequel il est avéré que le don du Petit Marcel est à sens unique

Il y a du remue-ménage dans l’immeuble du Mahousse. Le bistrot d’en bas a largué son rade et règne dans l’escadrin en souverain absolu, avec à la main, en guise de sceptre, un rince-bouteilles déplumé. La concierge, une importante personne dont le tour de taille n’a d’égal que l’importance qu’elle accorde au subjonctif, décrit l’arrivée de Béru sur une civière, en parlant haut because le voisin du dessous a la batterie de son Sonotone qui se décharge.

— Le pauvre homme, si pâle, se lamente la châtelaine du cap Cerbère, lui que vous le connaissez toujours conjectionné, il est cavadérique. Et personne chez lui pour l’accueillir ! Que sa grosse est allée passer la nuit chez qui que vous savez à cause que probablement l’odeur des parfums l’attire !

Je fends la populace avec mon brise-glace portable à injection d’eau chaude sur le tranchant et roues à aubes surmultipliées, et je gravis d’un pas urgent les degrés qui conduisent chez Béru. J’en compte quarante-cinq, comme dans le Ricard que le Gros boit volontiers à l’heure noble de l’apéritif.

La porte de son home est ouverte et ces messieurs de la maréchaussée vont et viennent dans l’appartement.

Ils sont trois, parmi lesquels l’un des vaillants gardes de la nuit qui se tape des heures supplémentaires avec une vaillance et une abnégation dignes de l’uniforme qu’il porte.

Il accourt.

— Nous l’avons amené ici, selon vos instructions, commissaire. Il n’y avait personne dans l’appartement. Heureusement il avait la clé dans une de ses poches.

Je gagne la chambre à coucher. Elle me rappelle une porcherie que j’ai beaucoup aimée ; en moins moderne toutefois et en beaucoup moins propre.

Mon pote Béru gît sur sa couche matrimoniale plus défoncée qu’un chemin de terre après le passage d’une division de panzers.

Il est dans la même attitude que lorsque je l’ai dégauchi. Il finit par ressembler à sa propre statue. On s’attend à trouver une plaque de marbre aussi explicative que commémorative au pied du pageot : « À Benoît Bérurier, martyr des lois sur le mariage, la patrie apitoyée ».

Je lui tâte le pouls. Ça fonctionne mollo dans sa vaillante carcasse. Si jamais il se réveille un jour, il se sentira tout neuf, le Gravos, comme un costar retourné. En attendant, je commence à me sentir inquiet pour sa grosse pomme. Il me revient des histoires de dormeur ayant pioncé plusieurs années d’affilée. Non, mais vous voyez pas que ce soit le cas de Béru ? Vous l’imaginez, ma grosse bouille de sous-verge, ronflant jusqu’à l’âge de sa retraite, et ensuite se réveillant pour aller se reposer ?

Du coup, la Berthe voudrait se régaler impunément avec le pommadin et les livreurs de passage. Elle installerait son époux sur un lit de camp dans un coin de la turne et à elle le champ de Mars des grands ébats !

Le mariage, dans ces conditions, moi je veux bien : je suis preneur de la Belle au bois dormant.

Seulement je serais moins cloche que le prince charmant et je marcherais sur la pointe des lattes pour ne pas la réveiller.

Un brouhaha me fait dresser l’oreille droite. C’est le fameux Zobedenib qui s’annonce, escorté de deux poulagas d’Orly.

Il est tout sauf content, l’Égyptien. Il entre dans la chambre en renaudant comme un camé à qui un trafiquant de neige a bradé du bicarbonate de soude pour de la coco.

— Ce sont des procédés inqualifiables, qu’il dit, le julot, en un français légèrement anglo-égyptien. Je me plaindrai à vos supérieurs.

Le téméraire San-Antonio s’avance alors.

— Je vous écoute, dit-il en soutenant le regard hypnotique du Petit Marcel. Je suis l’un des supérieurs en question.

Croyez-moi si vous voulez, et si vous ne voulez pas courez vous faire opérer de l’appendicite, mais c’est l’endormeur qui détourne les yeux. Peut-être que j’ai du fluide plein les carreaux, moi aussi ? Ce serait à essayer.

Vous voyez pas que je mette groggy mes interlocuteurs rien qu’en leur plongeant mon rayon magique dans les vasistas ?

Déjà que les poupées se sentent toutes moites quand je leur file un coup de projecteur ! Oh ! mais dites, les potes, faudra que je m’entraîne devant ma glace. Si j’arrive à m’endormir moi-même, c’est que j’ai de la haute tension dans les rayons X, non ?

Le Petit Marcel est plus petit à la ville que sur scène. S’il était moins grand, il ressemblerait à un nain.

Il porte un costar à carreaux noirs et blancs qui le fait ressembler à un jeu de dames en vadrouille. Il a une chemise verte, un nœud papillon aux ailes jaspées ; et il est coiffé d’un mignon bitos taupé, dans les tons verts, avec cordelière tressée en guise de ruban. C’est plus tyrolien que toute l’Autriche ça, madame. Il devait même y avoir une touffe de blaireau sur le côté de son bada ; mais Petit Marcel l’a enlevée, sans doute quelqu’un de ses familiers lui a-t-il fait observer qu’il avait l’air gland au-delà de toute mesure, à moins qu’il ne l’ait utilisé pour se raser ?

— C’est inimaginable, rouscaille l’Égyptien. J’allais prendre l’avion pour…

— Je sais, coupé-je. C’est moi qui vous ai fait venir ici.

— Et de quel droit, monsieur ?

— De celui-ci, pour commencer, aboyé-je, en lui filant ma carte sous le pare-brise.