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Il y jette un coup d’œil.

— Je ne vois pas de quel droit la police se mêle de mes affaires. Le comble, c’est que ces gens…

Il me désigne mes escorteurs.

— … c’est que ces gens n’avaient pas le moindre papier pour agir…

— Pour ce qui est des papiers, nous nous en occuperons plus tard, assuré-je sèchement. Allons au plus pressé.

— Le plus pressé, c’est moi, fulmine M. Châsses-Magiques en faisant claquer ses doigts. On m’attend à Londres…

— Vous pourrez y aller tout à l’heure et même téléphoner dans l’intervalle afin de vous excuser.

Je le pousse en direction de la couche bérurienne.

— Vous reconnaissez cet homme ?

Il s’avance et mate le Gros affalé sur son pucier.

Du coup il cesse de regimber. Il ne pâlit pas car il a déjà le teint verdâtre, mais ses sourcils épais se joignent d’une façon significative.

— Mais, bredouille-t-il, c’est un de mes sujets d’hier soir ?

— Exact.

— Que lui est-il arrivé ?

— C’est pour que vous me l’appreniez que je vous ai convoqué, cher hypnotiseur…

Il me regarde d’un air ahuri.

— Je ne comprends pas.

— Cet homme n’est jamais ressorti du théâtre après la représentation. Et on l’a retrouvé sous le divan de votre loge.

J’attends une seconde et demie et je lui mugis en pleine poire :

— Explications ?

Le Petit Marcel a un sursaut. C’est pas un téméraire, lui.

Quand il va au zoo il ne passe pas la paluche à travers la cage du lion pour lui caresser la crinière. Et quand il y a une bagarre dans le bistrot où il va licher son crème, il cavale dans la cabine téléphonique pour demander l’heure à l’horloge parlante.

— Je ne sais rien, lamente le mage.

— Mince, rigolé-je, pour un type qui lit dans les consciences, c’est pas malin.

Il ne relève pas le sarcasme.

— Commencez par réveiller ce monsieur, conseillé-je, nous bavarderons après.

Cette patate d’endormeur m’a l’air emmouscaillé jusqu’à la garde. Il s’approche du pageot et s’incline sur Béru. Il lui fait claquer ses doigts à l’orifice des manettes comme sur scène quand il réveille ses bonshommes. Mais autant soulager sa vessie dans un violon. Le Gravos ne bronche pas d’un quart de dixième de poil.

Le Petit Marcel me file un coup d’œil éperdu.

— Il… il ne se réveille pas, bafouille-t-il.

— Charriez pas, vieux, grondé-je. Votre don n’est pas unilatéral, des fois ? Sur scène, quand vous endormez vos volontaires de la pionce, vous les réveillez d’une pichenette.

Alors il s’égosille :

— Mais comprenez-moi donc, monsieur le commissaire : ce n’est pas moi qui l’ai endormi !

Il y a une telle détresse dans son cri, un tel élan que je suis tenté de le croire.

Me sentant atteint, il poursuit :

— Si je l’avais endormi, l’aurais-je installé dans ma loge ?

L’argument est de poids, comme dit un haltérophile altéré de mes relations. Du reste, Landowski me l’a déjà fait valoir.

— Enfin, dis-je, cet homme est-il en état d’hypnose, oui ou non ?

Le Petit Marcel opine.

— Sans aucun doute…

— Et vous ne pouvez pas l’éveiller ?

— Non, puisque je ne l’ai pas endormi. Je n’éveille que les sujets que j’endors, c’est pourtant facile à comprendre !

Son accent me porte sur les glandes.

— Conclusion : vous êtes impuissant ?

— Absolument impuissant.

— En ce cas, que me conseillez-vous ?

— Voyez un neurologue.

Son raisonnement rejoint celui du vieux toubib de la nuit. Quel spécialiste m’a-t-il recommandé, le vioque à barbouzette ? Je fais appel à mes dons mnémoniques. J’y suis, le professeur Tessingler.

Je vais au bigophone et je demande le numéro de cette sommité aux renseignements. En moins de temps qu’il n’en faut à un vétérinaire pour rendre un chat célibataire à vie, j’obtiens le cabinet du prof. Son assistante me dit qu’il est présentement à sa clinique mais qu’il passera dans les débuts de l’après-midi.

Allons, le Gros a encore de la dorme sur la planche.

Je dis aux flics présents qu’ils peuvent rejoindre leurs bases respectives à l’exception d’un seul destiné à jouer les gardes-hypnotisés.

— Il n’a pas une femme ? demande l’agent de la nuit qui se sent des liens secrets avec le gars mézigue.

— Il en a une en participation, fais-je. Elle doit se trouver présentement chez l’autre actionnaire ; inutile de la prévenir, elle rentrera toujours assez tôt.

Je touche le bras de Petit Marcel.

— Venez avec moi, nous avons à bavarder en attendant votre prochain coucou.

— Où ça ? demande le fakir, effaré.

— À mon bureau, on y est tranquille.

Il louche sur sa montre.

— Mais je…

— Vous l’aurez, je vous le promets, certifié-je.

Et on se casse bras dessus, bras dessous, comme deux bons petits diables.

D’ailleurs y a de ça, hein, les gars ?

En fait de diablotins, on se pose là, Zobedenib et bibi, chacun dans notre sphère. Lui c’est le diable de l’au-delà et San-A. le diable d’ici-bas (le meilleur, l’essayer c’est l’adopter).

Nous montons dans ma charrette. Le Petit Marcel se remet à rouscailler. Il dit que cette perte de temps lui est préjudiciable et que si jamais les journaux apprennent ses démêlés avec la poule, il n’aura plus que la ressource d’aller prodiguer ses dons dans les maternités pour assister les femmes en couches.

Moi je lui rétorque que ce serait une façon beaucoup plus humaine d’utiliser son savoir.

Alors il me fait la hure. Et c’est dans une atmosphère extrêmement tendue que nous investissons la maison Poulmen.

CHAPITRE VII

Dans lequel je prouve que Sherlock Holmes n’avait rien à m’apprendre

Non, il n’avait rien à m’apprendre ce superman de la déduction, because quand San-A. s’y met, question méninges, il ne craint rien ni personne, pas même une méningite.

En y réfléchissant, je pense que si le gars Sherlock revenait, ce serait votre San-A. joli, mesdames, qui lui apprendrait des choses. Et plus que des choses : des trucs.

Dame, il était Anglais, cet homme. Par conséquent il ne devait pas savoir confectionner le cassoulet toulousain. Et toujours parce qu’il était Anglais, en amour ça devait pas être Versailles ! Du reste, si vous ne craignez pas le vertige, je vais vous livrer franco de porc le fond de ma pensée : Sherlock était de la pédale. Faut savoir lire entre les lignes, comme les épouses des pêcheurs de goujons.

Dites, ses relations avec Watson : mon œil ! C’est de l’attrape-nigaud, de la poudre aux yeux ! Les potes inséparables, on sait ce que ça veut dire ! Pédoque Holmes, oui ! Et son complice, pourquoi portait-il un nom de pétard[3], hein ? Un drôle de pistolet encore, ce zig !

Je me dis tout ça en gravissant l’escalier plein de marches qui conduit à mon bureau. L’Égyptien me suit péniblement, en grommelant des hiéroglyphes.

Je pousse ma porte et je le fais entrer. L’homme du Nil s’arrête. Je découvre alors l’objet de sa stupeur ; Pinaud, le brave, le cher, le digne, le doux, le gentil Pinuchet, se livre à une occupation qui n’a rien de très policier : il fait de la Mobylette dans le burlingue. Plus exactement, il essaie d’en faire car, pour le moment, ses essais sont peu concluants.

Notre arrivée le fait sursauter. Il tourne la manette des gaz du mauvais côté, et au lieu de s’arrêter, il nous fonce dessus. Le Petit Marcel, qui a dû voir des corridas, fait un saut de côté et le Révérend emplâtre le montant de la porte. Sa Mobylette continue toute seule dans le couloir en zigzaguant d’un mur à l’autre. Elle percute Honoré Padebalzaque, le garçon de bureau qui s’annonçait en tenant devant son imposante brioche une pile de dossiers haute comme le Pelvoux.

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3

San-A. veut sans doute faire allusion à la fameuse marque d’armes Smith et Watson ! ! !