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Une fois dans ma tire, manière de faire des gammes, je lui titille les sœurs Étienne. Cette gosse, croyez-moi, c’est une prise de 220 volts. Dès que vous y portez la paluche, vous avez l’épine dorsale qui se transforme en fermeture Éclair.

On va baffrer, parce que le type qui vous a raconté qu’on pouvait vivre d’amour et d’eau fraîche s’est payé votre hure, ou alors il avait un ulcère à l’estom’. L’amour, au contraire, ça demande du carburant. Les rois du pageot, vous y trompez pas, ce ne sont pas ceux qui s’engraissent à l’eau de source, mais les champions de la bouffe. Le lit et la table sont cousins germains, la preuve ils sont horizontaux l’un et l’autre. D’ailleurs ne dit-on pas « noces et banquets » ? Cette association est éloquente, et point n’est besoin d’avoir fait ses études à la faculté de Bouffémont pour le comprendre.

Lorsqu’on a la boîte à ragoût colmatée, on met le cap sur l’Alcazar.

Le Petit Marcel attire du trèpe. Les amateurs de mystère sont nombreux. Les hommes, vous les connaissez ? Ils ont besoin d’étrange et de surnaturel. Leur pauvre peau les gêne aux entournures. Le soleil, les arbres, les petits oiseaux, ils ne les trouvent baths que dans les films, autrement, ce qu’il leur faut c’est de l’extase, de l’incroyable. Ils sont pour la lévitation, ils chérissent l’ectoplasme et il y a dans le cœur de chacun une Bernadette Scoubidou qui roupille.

Une queue pour distribution-de-matières-grasses-pendant-la-guerre piétine devant la façade pour avoir droit au grand frisson.

Tous les émerveillés de Pantruche sont là, avec leurs bourgeoises, tous les insomniaques, tous les crédules incrédules, tous les incrédules crédules. Ils veulent voir administrer les doses de ronflette : le voir pour y croire ! Ils y croient déjà. Ce qu’ils demandent, ces soi-disant cartésiens, c’est une confirmation ; le feu vert à leur bonne volonté de pigeons.

Comme je ne m’en ressens pas pour piétiner le comblanchien de l’Alcazar, entre le dargif de m’sieur Dupont et le durillon de comptoir de m’sieur Dubois, je file vers le monsieur habillé de sombre qui surveille les chicanes, je lui montre ma carte et je lui explique qu’il serait un chef s’il m’obtenait deux orchestres. Pour l’inciter au zèle, je lui téléphone un bif d’une demi-jambe dans le creux de la paluche et il s’empresse de me donner satisfaction.

Pendant qu’il parlemente avec la marchande d’illusions, j’achète le programme-qui-n’est-pas-vendu-dans-la-salle à une pin-up brune teinte en roux et je l’offre galamment à Wenda.

Dès que nous sommes assis, à bonne distance de la scène, ma camarade de vertige ouvre l’opuscule. Tout de suite on se trouve naze à naze avec la photo du Petit Marcel.

Wenda se pâme devant le regard du mage.

— Tu as vu ces yeux, chéri ?

Il est pourtant pas lobé, le roi du fais-dodo-mon-petit-frère ! On dirait un ouistiti, en moins bien. Il porte l’habit, bien qu’il ne fasse pas le moine. Ses tifs épais sont calamistrés au BP 40. Il a le visage aigu, le nez étroit comme un coupe-papier, les sourcils comme deux morceaux de charbon de bois, et, en dessous, des yeux de chat en proie aux affres de la constipation. Si Wenda avait aperçu ce quidam dans la rue, elle ne lui aurait pas accordé la plus légère attention, tellement il est tartouze et passe-partouze ; seulement de connaître son singulier pouvoir et de mater sa frime sur ce programme, ça l’excite, ma toute belle. Les grognaces, c’est toujours comme ça : avides de prestige et de mâles glorieux.

N’importe quel cavillon pas fumable a sa chance auprès de la plus choucarde pour peu qu’il porte un uniforme ou qu’il ait son blaze dans un canard. Et alors, s’il se produit sur une scène, c’est le grand choc ! Il peut s’annoncer avec de l’hydropisie, une tronche en quartier démoli et des plaies variqueuses, tout le bonheur est pour lui.

Notez qu’il y a un pendant à cet état de choses, ou plutôt un revers. Les types célèbres sont cornards comme tout un chacun, because les nanas aiment qu’on se renouvelle. Voyez Mme Victor Hugo par exemple, qui se farcissait le père Sainte-Beuve malgré sa tronche en forme de fesses-de-couturière-assise et sa calotte de pharmago. Faut pas non plus se figurer les bonshommes à travers leur cliché du Larousse.

Bref ma Wenda, comme Charles Quint, est dans tous ses états lorsque le rideau se lève.

Une voix féminine annonce au micro la venue « de celui que vous attendez tous, de celui dont le pouvoir surnaturel, etc. ».

Un temps. Le Petit Marcel fait son entrée. Il est plus minuscule que ne le laissait présager son portrait.

Ce zig, faut qu’il tousse ou qu’il se peigne en rouge pour se faire remarquer en ville.

Il s’annonce jusqu’à l’emplacement du trou du souffleur. Il braque sur le public silencieux son regard d’aigle, ou pour le moins de vrai faucon. Un frisson passe le long des échines avec un bruit de vent dans des branchages d’automne. Le ouistiti se met à vendre sa salade.

Il se lance dans des explications aussi confuses que scientifiques pour nous révéler qu’il est né commak et qu’il n’en tire pas vanité. Un gars simple, quoi. Il a un don et il ne se prend pas pour un superman pour autant. Y en a qui viennent au monde avec une dent, d’autres avec les millions de leur papa ; lui, ç’a été avec son fluide.

Avouez qu’arriver à une situation aussi solide avec du fluide, c’est un tour de force qui bouleverse les règles de chimie et de physique.

Il s’exprime dans un françouze très correct, mais avec un accent étrange, suave et sur un ton monocorde qui déjà vous donne envie de vous foutre dans les torchons avec une bouillotte et les œuvres complètes de Claudel.

Le Petit Marcel a mis au point une tartine adéquate. Il inspire confiance et c’est là sa force principale. Le fin des fins consiste à paraître affligé d’avoir ce don ; de le coltiner comme un fardeau. Il semble vouloir se faire plaindre, style : ce que ça doit être bon d’être un homme normal !

Et ça prend du tonnerre sur les bonnes croûtes peuplant l’Alcazar.

Près de moi, il y a une vieille dame qui essuie ses moustaches au bord desquelles perle une larme. À deux rangées, j’aperçois un ancien colonel en retrait (et en retraite) qui se masse la Légion d’honneur comme pour la transformer en rosette.

Enfin le fakir en finit avec son baratin.

Il promet qu’il va endormir tous ceux qui voudront bien monter sur le podium. C’est sans douleur, ça ne laisse aucun trouble psychique : au contraire, ça relaxe.

Il se tait et lance à l’assemblée frémissante un geste d’invite.

Les fauteuils commencent à claquer. Une bonniche en rupture de militaire se précipite, suivie aussitôt par un grand creux aux tifs en brosse. D’autres personnes de bonne volonté, bravant la curiosité vaguement ironique de leurs contemporains, montent à l’assaut de la scène.

Ils veulent se faire faire une passe. La poudre aux châsses, ça les tente, ils ne peuvent pas se retenir.

Je souris discrètement en voyant ces pègreleux volontaires. Des zigs qui sont partants pour l’aventure, il y en a toujours eu, et il y en aura toujours : des qui s’inscrivent en priorité pour prendre des fortins, faire sauter des ambassades ou pour décarrer dans la lune ; des qui veulent expérimenter avant les autres les nouveaux appareils à déboucher les éviers ; le rouge à lèvres au miel de Narbonne ; les bagnoles téléguidées ou les nouvelles venues de la rue Caumartin.

— Tu n’as pas envie d’y aller voir, amour ? me demande Wenda.

Elle aimerait me voir faire la patate derrière la rampe !

Ça la ravirait que je tombe dans les quetsches et que j’ôte mes godasses, que je mime Bobet dans le Tourmalet ou bien le gazier qui se farcit l’Annapurna sans escale.