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En passant devant le poste du standard, le préposé me hèle :

— Un message de Londres, m’sieur le commissaire !

Il me tend une fiche. Je ligote :

— Edwin Zobedenib bien réceptionné. Est descendu à l’hôtel Mayfair où il se trouve présentement.

— C’est arrivé voici une demi-heure, m’annonce le standardiste.

— O.K. Continuez d’enregistrer les autres messages.

Décidément, les collègues anglais sont à la hauteur. Pendant que leurs potes français piquent des sommes (pour Béru il s’agit de somme astronomique), eux grattent ferme.

Je m’installe au volant de ma chignole et je me conduis jusqu’au Béru’s Office afin de m’éviter des frais de taxi superflus.

* * *

La gravosse du Gros n’a toujours pas rejoint sa base. Cette bonne baleine joue les représailles. Elle boude, la chère petite madame, sans se douter que son pauvre bonhomme est dans une sorte de demi-coma.

Par contre, le professeur Tessingler, lui, est arrivé. Au moment où je pousse la porte de la chambre, il est à genoux sur le lit, au bord du Gros, comme un terre-neuvas qui s’apprête à dépecer un cétacé.

Je me tais, attendant son diagnostic…

Tessingler est un homme athlétique, grand comme ça, et même un peu plus. Avec des biscotos de catcheur et pas de cou. Sa tronche carrée est directement posée sur ses épaules, comme une cruche — pas tellement décorative — sur un bahut.

Il soulève les paupières de Béru, lui tire les poils du naze, lui tâte le pouls, prend sa tension artérielle, lui souffle dans la bouche, lui chatouille la plante des pieds (ce toubib est un intrépide, un martyr de la science) et enfin lui enfonce une longue et fine aiguille dans le bras.

Ça dure une bonne demi-heure. Après quoi il se retourne.

— Vous êtes de la famille ? me demande-t-il.

— Comme qui dirait, évasivé-je. C’est grave, docteur ?

— Pour l’instant, non. Il est en pleine hypnose cataleptique. À propos de Leipzig, vous avez vu les derniers championnats du monde sur route ? Ce Van Loy, tout de même !

« Bref, que disais-je ? Ah ! oui… En pleine hypnose. À ma connaissance, peu d’hommes au monde sont capables de plonger un sujet dans cet état. Méthode hindoue, mon cher… Ces gens-là n’ont rien à manger mais ils ont plus d’un tour dans leur sac…

— Bref, coupé-je, fort justement impatienté, que pouvez-vous faire pour lui ?

— À vrai dire, pas grand-chose. Il faut attendre qu’il se réveille. Je préconise de la musique. Mozart, tenez ! La Flûte enchantée ! À propos d’enchanté, je suis enchanté de vous connaître, monsieur. Que disais-je ? Ah ! Oui… La musique s’insinue dans l’introspectif concentrationnaire du patient, et prépare son retour au normal, comprenez-vous ?

Je ne peux pas m’empêcher de rigoler. Faut vraiment qu’il soit out, le Mahousse, pour lui faire gober du Mozart.

Lui, excepté les chansons de Pierre Dupont et, à l’extrême rigueur, quelques scies circulaires de Vincent Scotto, il n’a pas les tympans adéquats pour ça.

— Vous pensez que cet éveil peut tarder ?

— C’est variable.

— De combien à combien ?

— Il peut revenir à lui d’une minute à l’autre comme dans un an ou dans un mois. À propos, avez-vous lu le dernier Sagan ? Scolaire, hein ? Que disais-je ? Ah oui… Ça fait dix mille francs !

En soupirant je lui vote une effigie de Bonaparte sur fond d’Arc de triomphe. Je ne suis pas plus avancé.

— Cet état peut-il s’avérer dangereux pour le sujet ?

Tessingler examine le sujet en question.

— La constitution est forte, affirme-t-il, dans le style je-vous-ai-compris. L’organisme a de la ressource… Le système vaso-vasculaire est conforme… Cette cure de sommeil ne peut qu’être profitable à cet homme. Elle régénère ses organes en leur assurant une relaxation totale. À propos de Total, quelle essence utilisez-vous ? Moi, je prends Azur. C’est du parti pris, mon cher, je roule français. Oui, du parti pris. À propos de prix, vous m’avez réglé ?

Je sens que d’ici pas longtemps je vais le choper par son fond de culotte et le virer par la fenêtre sans l’ouvrir.

Il plonge la main dans sa poche, en retire mon bif et s’excuse.

— Où avais-je la tête !

— C’est exactement la question que je me pose, fais-je.

Il sourit.

— Je suis tellement bousculé, mon cher…

— Si vous ne vous barrez pas, docteur, gronde l’aimable San-Antonio, vos bousculades précédentes ne seront rien en comparaison de celle qui se produira.

— Qu’entendez-vous par là ? ronchonne Tessingler.

— À propos de par là, c’est par là la sortie ! aboyé-je.

L’agent de garde se paie une bath séance.

Il assisterait au récital de Fernand Raynaud, voire même à une séance de l’Assemblée, qu’il ne rirait pas davantage.

L’éminent professeur évacue la demeure bérurienne.

— Vous croyez qu’on lui joue du Mozart, à vot’ collègue ? s’inquiète l’agent.

— Pourquoi pas lui faire venir le Philharmonique de Berlin !

Je prends Béru par un bras et je me mets à le secouer.

— Eh ! Gros ! mugis-je. Réveille-toi, on est arrivé !

Mais il reste sans réaction.

Coup de sonnette à la lourde.

— Allez ouvrir ! enjoins-je à l’agent. Et si c’est ce médecin de malheur, n’hésitez pas : flanquez-lui un seau d’eau.

— Faites confiance !

J’essaie de ranimer le Gros. Je lui soulève un peu la tête, mais il est lourdingue comme une vache morte.

Retour de l’agent, escortant le médiéval Pinaud.

— À la Boîte, on m’a dit que t’étais ici, explique-t-il.

— C’est gentil d’être venu, fais-je. Si tu pouvais m’aider à réveiller le Gros…

— Fais-lui respirer du marc, conseille le Chétif.

L’idée est valable, surtout lorsqu’elle concerne une personnalité comme Béru. On fouille le buffet Henri II de la salle à manger Lévitan Ier et on découvre une bouteille de calvados. Son goulot béant est placé sous les narines pleines de foin du dormeur. Pas un frémissement.

Pinaud se gratte l’entrejambe avec circonspection. Puis il allume un de ses affreux mégots jaunes qui ressemblent à des cafards crevés. La pointe de sa moustache s’enflamme. Il a l’habitude. Sans s’affoler, il conjure le sinistre.

— Ben mon yeux, c’est grave ! fait-il en désignant notre valeureux équipier. Je sais bien qu’il aimait pioncer, mais quand même !

— J’ai envie de le faire conduire dans une clinique, réfléchis-je.

— Pourquoi ? fait observer Pinaud. Il est bien ici. En clinique, le lit sera pas meilleur et il lui coûtera trois ou quatre mille balles par jour !

Il a raison.

Nous repartons après avoir dit à l’agent de se faire remplacer au chevet du Mastar par une garde spécialisée.

Dans l’escalier, c’est toujours l’effervescence. La concierge, le bistroquet, le sourdingue du dessus, tout le monde est sur le qui-vive.

— Quoi de nouveau ? me demandent-ils.

On dirait la foule fiévreuse qui assiège Buckingham Palace lorsque la reine d’Angleterre est en train d’assurer sa descendance, fais-je remarquer à Pinuchet.

Il adopte sans s’en douter le tic du professeur Tessingler.

— À propos de reine d’Angleterre, j’ai du nouveau au sujet de Bourgeois-Gentilhomme.

— Que ne le disais-tu plus tôt !

— Il est parti pour London, assure Pinaud.

Gravement, il sort son mégot de ses lèvres, le roule dans un OCB neuf et le rallume, pensant candidement qu’il va renaître de ses cendres.