Madoué ! comme s’exprimerait Bécassine. Quel spectacle affligeant !
Landowski et la môme Solange gisent au travers du divan, plus inanimés que deux filets de morue à l’étalage d’un épicier.
La porte de la cuisine est ouverte et le bruit sifflant du gaz mortel se fait entendre de façon continue.
L’âcre odeur me chavire. Je bondis et je constate que tous les robicos de la cuisinière sont ouverts.
Je commence par fermer, puis je cavale aux fenêtres afin d’établir un solide courant d’air.
Faut le voir, San-Antonio, dans les cas d’urgence ! Plus prompt que la foudre ! Plus fougueux que toute l’écurie Boussac. Plus déterminé que le champion du saut en parachute !
Je commence par cramponner la gosse sous les ailerons et je la coltine dans le couloir en criant à la garde.
Des portes s’ouvrent. Quelques frimes ahuries passent par les entrebâillements.
— Appelez Police-Secours ! mugis-je. Deux accidents au gaz !
J’étale la fille dans le couloir ; je retourne chercher le Polak.
Lorsque le couple est allongé le long du mur, je me penche sur ces tourtereaux. Pas la peine de se faire faire un graphique en couleurs. C’est scié pour la rouquine. Elle en a trop respiré du truc à faire cuire les œufs au plat.
Son gentil cœur n’a pas pu résister. Il a affiché fermé pour cause de décès.
Reste Lando comme lot de consolation. Pas brillant non plus, le julot, mais vivant. Un râle bulbeux sort de sa poitrine. Il a le souffle bref et je crains qu’il ne canne pile.
Une dame radine en mugissant qu’elle est infirmière et qu’elle sait faire la respiration artificielle. Je lui abandonne donc le client en lui conseillant de faire sur lui ses devoirs de vacances.
Vaillant comme dix mille scouts, je refonce dans le studio. L’odeur tenace du gaz est toujours présente, flottant dans l’air à la ronde. Je m’évite de respirer, ce qui présente quelques difficultés, convenez-en (et si vous ne voulez pas en convenir allez vous faire circonvenir). J’aperçois, posée en évidence sur la table, une feuille de papier sur laquelle on a hâtivement tracé quelques lignes.
Je lis : Contre vous, Maître, notre amour est le plus fort. Adieu. Et c’est signé : Solange Roland et I. Landowski.
Donc ce n’est pas un accident mais un suicide concerté. Que signifie donc cette étrange phrase : « Contre vous, Maître » ?
Voilà de quoi m’éditer, hein ?
Je fourre le billet in my pocket et je regagne le couloir où les zigs de Police-Secours radinent, armés d’un brancard pliant qu’ils déplient.
Je me fais connaître d’eux. Et je leur conseille de charger l’homme en premier vu qu’il n’y a plus que pour lui que l’on peut encore quelque chose. Pour la gosse, c’est terminé.
Ils me disent banco. Ils emmènent le copain à Beaujon. Pour la fille, ce sera le frigo collectif. Comme disait une concierge de mes ennemies : c’est la vie !
Pendant que ces messieurs font leur besogne, le petit San-A. des familles, lui, refait un tour du propriétaire. Il se baguenaude dans le studio. Il parcourt la salle de bains, la chambre à coucher, le living. Il fouinasse, il musarde, et il réfléchit tout en se livrant à ces différentes opérations, ce qui est presque aussi malaisé que de jouer de l’hélicon-basse en marchant.
Il remarque qu’il n’y avait pas que les robinets de la cuisinière à gaz qui étaient ouverts. Ceux de la salle de bains le sont aussi. La baignoire, plus alimentée en flotte que son écoulement ne lui permet d’en évacuer, a vachement dégorgé et une immense flaque d’eau s’est répandue sur le carreau et s’est infiltrée jusque dans la chambre.
Oui, il réfléchit, le San-A. Du coup il reprend la méthode Holmes. Il a la matière grise qui fait tilt.
Il phosphore comme toute une usine d’allumettes suédoises.
Lorsque sa calebasse commence à chavirer, il s’évacue, ne tenant pas à terminer la journée dans l’une des armoires frigorifiques de la morgue.
Mais auparavant, il examine les placards, les penderies, les tiroirs. Il en veut. Il en redemande.
À la fin, affligé d’une forte migraine, il se propulse vers les en-bas pour aller écluser un gorgeon réparateur.
Arrêt facultatif auprès de la gente dame des renseignements. Elle est toute retournée par le drame, la pauvrette.
— Dites-moi, ma toute ravissante, fais-je en lui massant l’épaule comme pour la réconforter (ce faisant j’insinue un doigt intrépide en direction de son corsage, because il faut toujours y aller mollo avec les souris).
« Dites-moi, personne n’est venu rendre visite au 1406 aujourd’hui ?
— Personne, fait-elle.
— Vous n’avez vu sortir ni la secrétaire ni l’assistant du Petit Marcel ?
— Non.
— Ils n’ont pas reçu de communication téléphonique ?
— Si : une.
— À quelle heure ?
Elle fait un petit tour d’horizon intime.
— Vers dix heures et demie, il me semble.
— Vous n’auriez pas reconnu la voix du demandeur ?
— Je pense que c’était M. Zobedenib…
— Merci.
Ce salingue a appelé d’Orly. Et ce qu’il a dit a tout déterminé.
Elle est choucarde comme tout, la petite brancheuse de fiches bananes.
Vous penserez ce que vous voudrez (comme disait un général de mes relations en parlant de son frère : c’est le cadet de mes soucis), mais je lui ferais bien faire un tour de piste d’honneur sur la fourche de mon vélo.
Pour remplacer Wenda, ce serait un gentil petit lot intermédiaire. Dans les relations avec le beau sexe, le tout est de doser le cheptel. Après une femme du monde, levez-vous vite une servante d’auberge ; et après une artiste choisissez sans hésiter la secrétaire de votre contrôleur des contributions.
Cette gosseline a tout ce qu’il faut pour prendre le fou rire en société, les gars. C’est de la poulette qui doit se déplumer dès qu’on souffle un peu fort dessous !
— Dites voir, mon âme, roucoulé-je, j’aurai un tas de minuscules questions discrètes et indiscrètes à vous poser. Comme vous me paraissez avoir un travail du diable, on pourrait peut-être dîner ensemble ce soir ? Comme ça on joindrait l’inutile à l’agréable, hmm ?
— Mais je ne vous connais pas, se rebiffe mollement la charmante.
— Il n’y aurait pas meilleure occasion pour faire connaissance. Je suis le commissaire San-Antonio, pour tout vous dire…
Elle a un court-circuit dans le corsage.
— Comment, c’est vous ? Depuis le temps que j’en entends parler.
— Venez au Pam-pam de l’Opéra à huit heures trente et je vous prouverai à quel point c’est moi.
Une petite caresse prometteuse sous les roploplos, histoire de vérifier qu’ils sont bien gonflés à 1,5 et je me taille.
Direction burlingue. Nous en sommes au point de l’enquête où le capitaine doit rester sur sa dunette pour faire le point et contrôler ses radars.
J’arrive en pleine effervescence.
Le standardiste me lance :
— Vite ! Le patron vous réclame, il y a du nouveau carabiné. Il vous expliquera.
C’est la journée du branle-bas, comme aurait dit une naine que j’ai connue au cirque Amar.
Ascenseur. Il est hydraulique, vous vous en souvenez, et me hisse lentement jusqu’à l’antre du Vieux.
Du nouveau ? Voulez-vous parier qu’il va m’apprendre que la secrétaire et l’assistant de Zobedenib se sont suicidés au gaz d’éclairage ? Combien de fois déjà mes services me recherchaient pour me révéler ce que je venais de vivre !
Ce sont les alinéas du métier, comme dit Béru, le Roi-Élu des gastronomes. L’homme qui mélange dans son assiette la mayonnaise et la crème Chantilly ; le gourmet qui met du sucre en poudre sur le boudin grillé et de la moutarde (de Dijon de préférence) sur les bananes flambées au Grand Marnier.