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Et si le Petit Marcel me cloquait un bada à plumes sur la tronche et me faisait jouer du tuba, ce serait le gros délire, la joie suprême. Je vous le répète : elles n’ont pas de pudeur.

— Non, merci, riposté-je, j’ai payé ma place pour assister à un spectacle, pas pour en donner un. Le jour où je grimperai sur les planches, ce sera dans un programme de ma composition et s’il s’agit d’un spectacle d’illusion, c’est le gars mézigue qui fera l’illusionniste.

Elle hausse ses belles épaules résignées.

— Dommage, ç’aurait été amusant !

Je vais pour protester, mais la bouche à double tour, terrassé par la surprise.

Parmi les nombreux spectateurs volontaires qui grimpent sur la scène, j’en découvre un que je connais bien pour l’avoir pratiqué pendant un sacré bout de moment. Ce spectateur d’ailleurs ne saurait passer inaperçu. Il est énorme, cradingue, majestueux, rubicond, pas rasé, vineux, triomphant, sûr de soi. Il porte un costar qui fut marron, qui est devenu gris et qui deviendra complètement noir au fil des ans ; une chemise vert d’eau à l’origine, mais vert-de-terre à présent ; une cravate à carreaux rouges et noirs ; des chaussettes violettes (très modestes du reste) et d’énormes ribouis dont les semelles ont tendance à se faire la paire.

Il est coiffé d’un chapeau qui servit pendant des années de coussin et de paillasson ; un chapeau marron, au ruban noir et aux rebords gondolés, dont la doublure de cuir descend très en avant sur le front du sujet, telle une couronne.

Du sujet qui semble un tantinet beurré.

Du sujet qui mâchouille une allumette.

Du sujet qui se gratte furieusement l’entrejambe afin de réveiller ses nombreux locataires.

Du sujet enfin qui a pour nom Bérurier, et pour prénoms Benoît, Bertrand, Gaston, Alexandre, époux légitime de la gente ogresse Berthe Zifolard, femme adultère sans profession.

CHAPITRE II

Dans lequel Béru-le-Grossium, après être devenu Béru-le-Médium, se met à ressembler à un fumeur d’opium. Et ce qui en découle

Ils sont une vingtaine de tordus, alignés en un demi-cercle mouvant et émouvant, face au public aimé.

Un peu gênés, natürlich, les mains au dos, façon Philippe d’Édimbourg (comme dit Élisabeth : avec Philips c’est plus sûr), les targettes à l’équerre, les châsses fuyantes, le naze plongeant ; troublés mais contents, intimidés mais ruisselants d’une bienheureuse attente.

Le Petit Marcel annonce qu’il va s’emparer de leur volonté et la carrer dans sa poche avec son tire-gomme par-dessus.

Il examine un à un ses sujets.

Une demi-douzaine de gonzesses hystéros sur les pourtours ; un militaire habillé en soldat ; quatre employés de bureau, trois jeunes glandouillards venus là pour jouer les fiers-à-bras, un vieillard sceptique, enrhumé et bourré d’antiseptiques ; plus un nain qui doit être employé comme nain dans un cirque, deux étrangers employés comme travailleurs étrangers en France et enfin l’ahurissant Bérurier.

Beau cheptel. Le musée de l’Homme (et de la Femme réunis) paierait très chérot pareille collection. J’imagine ce beau monde, décarpillé jusqu’à l’os et installé dans des vitrines sous les yeux attentifs d’étudiants à bésicles.

Quand le Petit Marcel a fini de les mater droit aux cocards, ses sujets sont flottants, indécis. On dirait que leur disjoncteur vient de péter.

Ce sont des sujets qui ne s’accordent plus avec l’auxiliaire « être », ni avec l’auxiliaire du Petit Marcel : un mastar en bras de chemise qui circule derrière eux, prêt à les agripper lorsqu’ils partiront en digue-digue.

L’un des jeunots rigole ostensiblement, afin de bien montrer qu’il est immunisé contre le fluide du Petit Marcel. Le mage, ça le rend furax. C’est le zig en question qu’il choisit en priorité. Il s’amène sur sa pomme, lui cramponne une étiquette entre le pouce et l’index, à la Napoléon, et il se met à lui souffler dans la feuille. Ça dure commako deux minutes. Après quoi il lui biche le poignet et le mate en plein dans les vasistas.

Le jeunot ne se marre plus. Il a les yeux qui font bravo. Quelques instants encore et le fakir n’a qu’une pichenette à lui administrer pour que môssieur l’incrédule prenne son ticket de dorme et parte à la renverse. L’auxiliaire le soutient pour freiner la chute. Il l’allonge sur le plancher où le gars en écrase menu, les bras à l’alignement du blue-jean, les baskets en flèche.

Quelques enthousiastes, dont Wenda, se mettent à applaudir dans la salle. Mais le Petit Marcel, d’un geste impérieux, leur fait signe de jouer les manchots. Le silence, c’est sa matière première à cet artisan du dodo.

Il continue de faucher les gnaces, les uns après les autres, en commençant par les gonzesses, because ces petites natures sont plus faciles à caoutchouter que les autres.

Vous l’avez déjà deviné, parce que, malgré votre air obtus, vous n’êtes pas complètement abrutis, moi ce que j’attends, c’est la descente du gars Béru.

Je me dis que le hasard est poilant tout de même. Venir par accident dans ce music-hall et assister à un exploit extra-policier de Bérurier, c’est de la veine, quoi !

Qu’est-ce qui lui a pris, à l’Enflure, de se donner de la détente ? D’un regard résolument circulaire j’inspecte la salle, pensant apercevoir la baleine du Gros avec son copain le pommadin ; mais B.B. (autrement dit Berthe Bérurier) ne se trouve pas dans les horizons. Ils se sont peut-être farci des mezzanines, ce qui expliquerait que la Gravosse échappe à mon radar.

Le Petit Marcel, enfin, s’approche de mon confrère et je ne puis réprimer un gloussement.

— Pourquoi ris-tu ? demande la belle gosse, tu ne trouves pas ça impressionnant, toi ?

— Justement, expliqué-je, c’est nerveux.

Le mage est en train de tourner autour du Gros comme un balai autour d’une ordure repoussante. Il semble pas très chaud pour lui empoigner l’étagère à mégot non plus que pour y souffler dedans. L’haleine du gars Béru, croyez-moi, a priorité sur celle de l’Égyptien. Si l’Obèse lui balance un coup de lance-flammes parfumé au brouilly, je suis prêt à vous parier que c’est le Petit Marcel qui s’écroulera.

Le Mahousse, pas intimidé du tout, est en train de considérer le mage avec une totale sérénité. Le Petit Marcel doit regretter de ne pas s’être muni d’un gros maillet de tonnelier ; c’est l’accessoire indispensable lorsqu’on veut hypnotiser Béru. Ou alors il faut se le faire au Penthotal, dose cheval.

Quelques spectateurs plus spirituels que les autres, et sensibles à la qualité de la scène, émettent quelques rires. Le Petit Marcel rompt le contact. Peut-être que c’est Béru qui lui a fait sauter un plomb ?

Il va vers la coulisse, dit quelque chose qu’on n’entend pas à quelqu’un qu’on ne voit pas et voilà qu’une dame apporte une chaise.

Le siège est placé devant le derrière du Gravos.

Le Petit Marcel l’invite à y prendre place et mon brave Bérurier dépose sa demi-tonne sur la chaise.

Le fakir passe derrière lui. Il applique ses deux mains sur les deux Wonder de mon copain tandis que son assistant tient la bouille du Gros, de face. Le Petit Marcel chuchote des trucs dans le conduit auditif de Béru. Je n’en crois pas mes sens. Voilà le gazier Béru qui se met à dodeliner. Sa grosse tronche de pachyderme tombe en avant. Le mage poursuit son avantage. J’sais pas ce qu’il débigoche au Gros, mais ça doit être l’équivalent sonore du chloroforme. En moins de temps qu’il n’en faut à un athlète français pour se faire éliminer des jeux Olympiques, l’inspecteur Bérurier est dans les vapes.

Le fakir se redresse, ôte ses mains, et tout un chacun peut constater que ça n’est pas du bidon : l’Ignoble dort bel et bien, immobile sur sa chaise, les mains ballantes, la tête un peu penchée.