Cette fois, l’assistance applaudit, au risque de réveiller les sujets. Le Petit Marcel fait un salut pour remercier et s’éponge le capot avec un fin mouchoir de soie.
— Tu vois comme il a triomphé de cet affreux gros lard, me chuchote Wenda.
J’ai le palpitant serré en voyant mon cher Bérurier dans cette attitude grotesque. S’il se met à jouer les pitres dans les music-halls parisiens, il va être bonnard pour la mise à pince.
Maintenant, tout le monde est out sur la scène. Ça va être du gâteau pour le Petit Marcel. À lui la haute fantoche. Les pieds au mur, la statue grecque, la danse du scalp et un tas d’autres trucs qu’il va faire faire à son orchestre de pionceurs.
Effectivement, il attaque Béru.
— Comme vous êtes fatigué ! lui dit-il. C’est bon de se coucher après une aussi dure journée !
« Allez, au lit !
Et voilà mon hotu qui se dresse, lourdingue comme un ours qui se serait tapé une boîte d’Equanil.
— Tenez, il est là, votre lit, poursuit le Petit Marcel en lui désignant le plancher.
Le Gros titube. Il a les yeux fermés et on dirait qu’il a dégringolé dans un tonneau de miel.
Il va pour s’étendre à terre, mais l’Égyptien le retient.
— Vous allez froisser vos vêtements, lui dit-il.
Alors là, c’est la grande marrade dans la salle. Les fringues à Béru, pour pouvoir les froisser, il faudrait au préalable les repasser. Comme serpillière on ne peut rêver mieux.
Voilà mon gros lard qui ôte sa veste, aidé du mage. Il dénoue sa cravate vernissée par la graisse au point qu’on la croirait taillée dans de la toile cirée, puis sa chemise et il apparaît en Rasurel déchiré, pour la plus grande joie de la populace féroce.
Son maillot de corps, il ne l’a pas changé depuis cet hiver de 1938 au cours duquel il en a fait l’acquisition pour traquer une bronchite vicieuse. Il fait partie intégrante de son individu. Le jour où il l’enlèvera, ce sera à la lampe à souder ou au décapant ; et encore ! Une bonne partie de sa peau viendra avec.
Je me dis que si jamais le Petit Marcel lui ordonne d’ôter le sous-vêtement, la Gonfle va se réveiller, vu qu’il est douloureux de s’arracher le derme.
Mais, futé, c’est son falzar que le Petit Marcel lui enjoint de poser. Alors là, c’est le raz de marée dans l’assistance. Le raz de marrage, plutôt !
Il fait fureur, le calcif-mode du Gros. Un calbart long, vous avez rectifié de vous-même, et à petits carreaux bleus vu qu’il a été taillé par la Berthe dans des rideaux bonne-femme. Du coup on ne s’entend plus respirer. Les éclats de rire tirent même de sa léthargie la bonniche rondouillarde du début et le fakir est obligé d’aller faire une passe d’urgence pour la replonger dans le sirop.
Bref, c’est la soirée des grands soirs. Il fait un triomphe avec un tel médium, le Petit Marcel. S’il était marle, il engagerait le Gros à l’année, pour partir à l’assaut des capitales comme aurait dit le frère de Karl Marx (in english : the Marx Brothers).
Enfin ça se tasse et la séance se poursuit allégrement.
Je vous passe les astuces du mage ainsi que les exercices qu’il fait exécuter par sa tripotée de locdus : orchestre de chambre avec des instruments ménagers en guise d’instruments de musique, course de régates, de chevaux et de motos…
C’est rigolo un moment, mais comme ça procède toujours de la même astuce, ça finit par vous courir sur le haricot et il n’y a plus que les fans style Wenda pour trouver le spectacle faramineux.
Comme tout a une fin, au bout de deux heures et demie de ces turpitudes, le Petit Marcel réveille ses zigotos. La frime des sujets, c’est, au fond, le meilleur de la soirée. Ils sont ahuris, les gars, en se retrouvant pieds nus ou en calcif. Les lumières de la rampe et les applaudissements féroces du public les chavirent. C’est le coude au corps vers les coulisses à la recherche du bénard indispensable et des chaussettes trouées.
Le Béru fait une bouille qui collerait la migraine à un troupeau de rhinocéros.
Il passe deux doigts fortement onglés par l’entrebâillement de son calcif pour calmer ses morbachs turbulents. Il a le médius apaisant, le médium. Ses poux de corps devaient être allergiques aux passes magnétiques du Petit Marcel et ils disputent le cent dix mètres haies avec un acharnement que seule pourrait affaiblir une application d’onguent gris.
Enfin, le Béru imite ses frères-en-au-delà et disparaît dans la coulisse.
Le rideau tombe. Ses plis enveloppent un instant, tels ceux d’une immense cape de mousquetaire, la silhouette chétive du Petit Marcel.
Musique entraînante par le pick-up de l’établissement. Salut mécanique du triomphateur. Lumières dans la salle et ratissage des travées libérées par les ouvreuses avides de porte-monnaie perdus.
— On va boire un godet en face, fais-je à ma reine d’un jour, et tu m’excuseras deux minutes, il faut que j’aille serrer la main au sous-directeur adjoint du théâtre qui se trouve être le cousin d’un ami de régiment à mon capitaine.
Dès que j’ai installé la donzelle devant un Black and White entièrement yellow, je fonce par l’entrée des artistes à la recherche de Béru. Je n’y tiens plus et j’ai besoin de lui mugir son fait sans attendre à demain.
Je vais lui expliquer que lorsqu’on est flic et qu’on a sa hure, on peut s’abstenir de jouer les Zavatta du dimanche.
Un machino m’indique le chemin et je débarque dans une pièce attenante aux coulisses, où quelques-uns des sujets achèvent de récupérer leurs loques.
— Où est le gros type dégueulasse qui se trouvait avec vous sur scène ? m’enquiers-je fort civilement.
Le vieillard enrhumé me dit, en rajustant son bandage herniaire, que l’intéressé s’est hâté de prendre ses hardes et de filer.
Manque de bol, je l’ai raté.
Je m’en vais, plus rageur que je ne suis entré, en me promettant des représailles saignantes sur la personne (le mot est aussi gros que Béru) de mon subordonné.
La séance, boulevard Richard-Wallace, est plus captivante que celle de l’Alcazar. En toute modestie, je puis vous certifier qu’au bout de dix minutes, la môme Wenda a oublié tous les mages, rois-mages, marchands de philtres et de mystères, jeteurs de sorts, et autres fabricants de mirages de la création.
Le Petit Marcel est peut-être le roi du surnaturel, seulement votre gars San-A., lui, est l’empereur de la réalité.
Pour vous dire qu’à l’heure où je mets sous presse, l’Égyptien peut retourner dans son pays, où s’effectuent d’ailleurs les fuites les plus célèbres. Il lui est sorti de l’esprit, à Wenda. Cette gosse ne peut pourtant pas accueillir trop de monde à la fois.
Pour la corrida, prière de se faire adresser les détails par son torero habituel ! Feu Manolete, à côté de bibi, avait l’air d’un paralytique enlisé dans un pot de colle forte. Mes passes de cape sont dignes des plus grandes gloires tauromachiques, ma pose de banderilles est sans reproche, mon service de picador au-dessus de tout éloge ; quant à ma mise à mort, elle déchaîne l’enthousiasme général. J’ai droit aux deux oreilles, au nez, à la bouche et à une carte de circulation gratuite dans le métropolitain ! Du délire, je le répète. La foule crie : « encore », « olé », « bravissimo », plus des onomatopées intraduisibles en argot. Faut dire, à ma décharge, que je suis tombé sur une belle bête. Le seul inconvénient, avec cet animal de classe, c’est qu’un jour ou l’autre on est assuré de porter des cornes. Par osmose, quoi !
Je reçois donc les félicitations du jury, à l’unanimité plus ma voix, et je prends congé de Wenda sur ces nouvelles prouesses. Ce qu’il y a de duraille, en amour plus qu’en littérature, c’est de se renouveler. Remarquez bien : chaque fois que vous levez une nouvelle frangine, vous commencez par lui déballer vos articles courants, puis vous tapez dans les réserves afin de lui produire les pièces rares et le jour vient vite où, ayant mis à sac votre magasin, la coquine, pas bêcheuse, vous dit que « ça-va-bien-merci-je-vais-réfléchir ». Le coup du « laissez-moi-votre-adresse-on-vous-écrira », en somme. Seulement, la bafouille, vous pouvez toujours bivouaquer devant le guicheton de la restante : elle radine jamais.