Выбрать главу

Qu’en dites-vous, tas d’invertébrés ? Il a pas son renifleur des grandes occases, le joli San-A. ? Il est pas venu droit au but, sans coup férir ? D’ailleurs je ne connais pas Coup-Férir !

Je soulève le canapé. J’empoigne le Gravos par ses chevilles bovines et je le hale hors de sa cachette. Mon palpitant met toute la sauce. Vais-je constater le décès de mon cher gros complice ? On fait un turbin, lui et moi, où il est plus courant de récolter la mort que des orchidées.

Dans notre job, quand on nous offre des fleurs, c’est que nous sommes à l’horizontale dans un pardingue à clous.

Il est tout raide, Béru, et c’est pas son genre d’habitude, sa baleine vous le dirait.

Je m’agenouille auprès de sa carcasse et j’examine le valeureux paquet de viande. Il a les yeux fermés, la bouche pincée, de même que le nez. Il est gris comme un paquet de caporal ordinaire, mais la touffe de poils qui lui sort du pif frémit légèrement, ce qui prouve qu’il respire encore.

Je passe la main sur son Rasurel adhésif. Le cœur bat, très posément, très régulièrement.

Je palpe le Mahousse sur toutes ses coutures décousues.

Je trouve des cicatrices, mais pas de blessures.

Je lui touche le crâne : rien de ce côté non plus. On dirait qu’il est en catalepsie. Qu’est-ce à dire ? Aurait-il été empoisonné, ou serait-il victime d’une crise cardiaque ?

Ma gorge se noue. Le pauvre cher homme qui ce matin encore faisait des projets d’avenir. « San-A., me disait-il, j’ai idée de me faire construire une petite cambuse à la cambrousse : quéque chose de simplet avec des volets verts. Paraît que quand on fait bâtir, on est exorbité d’impôts pendant vingt ans ! »

Ce qu’il va avoir, en fait de cambuse simplette, c’est un petit studio d’un mètre cinquante sur deux au Père-Lachaise, avec jardinet et vue imprenable sur le néant.

Je lui secoue doucement le menton en l’appelant d’une voix humide.

— Gros ! Hé ! Béru, tu m’écoutes ?

Silence total sur la ligne. Il faut faire quelque chose et le faire fissa.

Je bombe comme un dingue hors du théâtre et, ma bonne étoile étant de service, j’aperçois un couple d’agents à quelques encablures.

Je les appelle. Ils s’annoncent, suspicieux, la paluchette farfouilleuse du côté de leur étui à revolver.

Ma carte les apaise et même les impressionne quelque peu.

— Trouvez-moi illico un toubib dans le quartier, leur enjoins-je.

— Bien, m’sieur le commissaire.

— Et amenez-le-moi à l’Alcazar par l’entrée des artistes.

« Je vous attends dans les loges.

Là-dessus je retourne auprès du Gros et, opérant une mobilisation générale de toutes mes forces, je le hisse sur le canapé.

Son pouls est toujours aussi lent, mais aussi régulier. Quelques minutes passent. Enfin mes deux gardes radinent, traînant derrière eux un être époustouflant et vitupérant.

Je ne sais pas où ils ont pêché pareil médecin, mais ce serait dans un magasin de farces et attrapes que ça ne m’étonnerait pas.

Il est minuscule, si vieux que ça a l’air d’un oubli, et affligé de tics pathétiques qui lui font simultanément : fermer un œil, tordre la bouche, secouer la tête, pousser un petit cri exclamatoire, lever une jambe, remonter une épaule, renifler et éjecter à demi son dentier. Ce tic à grand spectacle se termine chaque fois par un rajustement du dentier du bout de l’index. Il se le carre dans le clapoir un peu comme on ordonne à un chien d’aller se pieuter en lui désignant sa niche.

En découvrant ce phénomène, je me dis qu’il aurait sa place toute trouvée sur la scène de l’Alcazar. On lui mettrait des grelots aux chevilles et sur la tête et il ferait un bath numéro d’homme-orchestre.

Il a des cheveux blancs de part et d’autre d’un crâne aussi chauve qu’ivoirin et une barbiche de pédicure chinois. Il porte une chemise de nuit blanche par-dessus son pantalon et, sur la chemise, il a mis un gilet et un cache-nez.

— Qu’est-ce qui se… crrrc tuiiit… passe ? demande-t-il.

Je lui désigne mes deux cent cinquante livres de copain.

— Cet homme est sans connaissance. Il ne porte aucune blessure et je me demande ce qu’il a.

— Eh bien, nous allons… crrrc tuiiit… voir, fait le nabot médicalo-centenaire en débouclant sa trousse.

Il procède à l’examen complet du patient. Tout y va : pouls, température, tension artérielle, stéthoscope, malaxage de brioche et le reste. Il lui ouvre la bouche avec le manche d’une cuillère, lui tire la langue, lui soulève les paupières…

— C’est absolument… crrrc tuiiiit… insensé, décrète le farfadet de l’époque tertiaire. Il n’a rien. On dirait, mais j’ose à peine le croire, qu’il a été… crrrc tuiiit… hypnotisé !

Dans le fond de moi-même (à droite en regardant l’estomac), je pensais kif-kif mais n’osais le croire.

— Il est précisément dans la loge d’un hypnotiseur, fais-je. Vous y croyez, vous, docteur ?

Le docteur Crrrc-Tuiiit me dévisage et ma vue lui occasionne un hoquet supplémentaire ainsi qu’un déhanchement latéral du côté droit.

— Songeriez-vous à nier l’évidence, mon garçon ? demande-t-il d’un ton suraigu.

Son garçon n’y songe pas. Il songe seulement à réveiller le brave copain. Après cette séance, le Gros va être drôlement relaxé. Comme cure d’hibernation, c’est soi-soi.

— Comment allez-vous le réveiller, docteur ?

— Le réveiller… crrrc tuiiit…, clame l’ex-gnome des Hôpitaux de Paris et de la périphérie, en ponctuant sa phrase d’un point d’exclamation dont je manque recevoir l’antenne dans l’œil. Le réveiller ! Il n’en est pas question. Il faut laisser ce soin à celui qui l’a plongé dans cet état. Sinon vous pourriez occasionner à cet individu des… crrrc tuiiit… troubles psychiques graves. Il pourrait perdre le contrôle de son moi second, ou bien, au contraire, amorcer un dédoublement de sa personnalité…

— Il n’en a pas, fais-je, comment voulez-vous qu’elle se dédouble !

« C’est pas le tout. On ne peut pas le laisser ainsi !

— Et pourquoi pas ? C’est là un traitement des centres nerveux radical…

— Peut-être, mais si le gars qui l’a mis en catalepsie part en vacances à Tahiti, ce brave électeur ne va pas attendre son retour pour pouvoir siroter son Noilly-cass du matin !

Le farfadet déguisé en moujik réfléchit, ce qui permet deux ou trois tics à blanc.

— Écoutez, dit-il, le mieux c’est de le laisser ici car il ne faut pas les… crrrc tuiiit… bouger quand ils sont dans cet état. Vous, vous allez essayer de trouver l’hypnotiseur. Si vous n’y parvenez pas, demain matin vous appellerez le professeur Tessingler qui est un spécialiste éminent des troubles limonado-vespéraux avec afflux con-sanguins.

Il hoche la tête, ferme sa trousse, la rouvre car la pointe de sa barbe était prise dans le fermoir et demande :

— Qui va me régler mes honoraires ?

Je n’hésite pas :

— Moi, docteur, si vous le permettez.

— Je suis obligé de compter le service de nuit.

— Cela va de soi.

Je le carme. Il empoche, lance un tic percutant et retourne s’abîmer au sein de la nuit qui semble l’avoir enfanté.

— C’t’un drôle de zig, résume l’un des gardes. Comme il habitait l’immeuble d’à côté…

— Vous avez bien fait…

Je m’approche de la table à maquillage, je biche un peigne en écaille et je remets de l’ordonnance dans ma coiffure.

— Vous allez vous débrouiller pour veiller ce garçon, dis-je. Que l’un de vous prévienne son commissariat afin qu’on assure une permanence dans cette loge. Contrôlez le pouls du patient et, s’il semble s’affaiblir, faites-le transporter dans un hôpital.