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— Parfaitement, m’sieur le…

— Autre chose, coupé-je. Il est possible…

Je me tais et, après un court moment de gambergeage, rectifie :

— … et même vraisemblable que quelqu’un vienne dans le courant de la nuit pour s’occuper de lui. En ce cas, arrêtez toute personne qui pénétrerait dans ce théâtre et gardez-la à ma disposition. Il serait même astucieux d’établir un tour de veille en bas, dans le noir, pour ne pas donner l’alerte à un éventuel visiteur. Vous me suivez ?

Mes gardes sont deux jeunes gars solides à l’air assez astucieux.

— Comptez sur nous.

— Et surtout, dites bien à votre commissariat que je ne veux aucune publicité là-dessus pour l’instant.

Je leur montre le Gros, toujours en vadrouille au pays du coma.

— Ce garçon est un policier très estimable…

Les gardiens de la paix ouvrent des bouches larges comme l’entrée — et la sortie — du tunnel de Saint-Cloud.

Ils matent la mise incroyable de Béru : sa barbouze pas rasée, ses fringues ulcérées, sa trogne de poivrot qualifié pour les championnats du monde de vinasse sur comptoirs toutes catégories.

— Il s’était déguisé pour une filature délicate, leur fais-je afin d’apaiser leur incrédulité douloureuse.

Là-dessus je les quitte.

Eux, mais pas le théâtre. Je fonce à la recherche du bureau directorial de M. Poulatrix, le big boss de l’Alcazar, celui que les journalistes ont baptisé « le Roi-Soleil du projecteur » parce qu’il a mis en lumière tout ce que Paris a produit de chanteurs aphones, à faune et à saxophone entre la dernière et la prochaine guerre.

Un escalier de bois y conduit. Une porte capitonnée donne accès à cet antre. Un instant, saisi d’un respect, j’hésite à en tutoyer la serrure.

Mais je me dis que le magnat du music-hall est actuellement à la recherche d’attractions nouvelles dans la Haute-Volta (j’ai lu le récit de son voyage dans la presse informée) et qu’il me faudrait du temps pour obtenir l’adresse parisienne du Petit Marcel.

Alors, en camarade, je fracture délicatement le verrou dit de sûreté.

Me voici dans une belle pièce ultra moderne : murs clairs avec un petit Utrillo de l’époque gros rouge, moquette lilas, burlingue long et verni comme un Chris-Craft, forêt de téléphones, poste de télé et classeurs supersoniques.

Chacun d’eux comporte une ou deux lettres en or entièrement chromé. Je choisis la lettre P (Petit Marcel) et j’appuie dessus. Le volet coulissant choit comme la jupe d’une dame dans un salon particulier.

Des dossiers se présentent, côté tranche. Je lis leurs titres et j’ai la joie de tomber sur Petit Marcel.

Il s’agit du contrat de l’endormeur. J’apprends qu’il touche vingt pour cent de la recette nette, qu’il s’appelle en réalité Edwin Zobedenib, qu’il habite Londres et qu’à Paris, il séjourne dans un studio meublé de la Résidence d’Auteuil.

Je note mentalement ces différents renseignements, je remets tout en place et j’emmène San-Antonio prendre l’air du côté de la porte d’Auteuil.

CHAPITRE IV

Dans lequel il est prouvé que la magie est avant tout l’art de l’illusion

La rue Chanez est une voie étroite et plus ou moins résidentielle à promiscuité de la porte d’Auteuil.

Elle se termine à son extrémité sud, ou peut-être sud-ouest (si ce n’est nord) par un système de chicanes destiné à empêcher les automobiles à essence d’en sortir.

Aussi bien laissé-je la mienne à l’orée de ladite rue, ce avec d’autant moins de regrets que je me rends au 1 bis, ce qui ne nécessite pas un voyage pédestre trop épuisant, la rue commençant, comme la plupart des rues, à être numérotée à partir du chiffre 1.

Ces précisions pour vous montrer qu’à cinq heures du matin, après une séance de magie, une autre de zizi-panpan et une enquête policière, le cher San-A. jouit toujours de toutes ses facultés.

La Résidence est un vaste building loué par petits appartements et pourvu d’ascenseurs à cellules photo-électriques qui bloquent la cage si l’on a des velléités d’ouvrir la lourde pendant le voyage.

En bas, dans le hall, s’étend un vaste comptoir derrière lequel somnole un gardien en uniforme.

Il est en train de rêver qu’il a gagné deux milliards cinquante centimes à la tombola organisée par l’amicale des parents des enfants déshérités, et qu’avec ce viatique il s’achète une canne pour le lancer léger, en bambou refendu, avec moulinet automatique à friction sous-cutanée, lorsque je brise sa joie nocturne.

Il se frotte d’abord un vasistas, puis l’autre, et grommelle à mon endroit (qui vaut bien l’envers de certains) :

— Vous désirez ?

Ayant proféré, il consulte sa montre (un oignon patriarcal en argent ciselé), s’avise qu’il est cinq heures et sa défiance s’accroît.

— M. Zobedenib ?

— À ces heures ?

— Urgent ! fais-je avec une sobriété qui laisse loin derrière elle le télégraphe morse.

— Le 1406, quatorzième étage.

— Merci.

— Faut-il vous annoncer ?

— Inutile, rétorqué-je, c’est pour manger tout de suite.

Et je le plante là. Il hésite un instant, se bloque le menton dans le creux de sa paume droite, ferme ses jolis yeux et se met à rêver qu’avec sa canne à lancer de tout à l’heure, il a pêché, entre le pont Alexandre-III et le pont de la Concorde, un sous-marin japonais commandé par un amiral en caleçon de bain.

Je le laisse enfilocher sa prise et je me fais surélever de quatorze étages par les soins attentifs de la maison Roux et Combaluzier.

Parvenu au 1406, je m’immobilise. Avant de se lancer dans un coup délicat, il faut faire comme les vrais joueurs de poker : mettre quelques brèmes in his pocket.

En l’occurrence, c’est mon pétard et ma carte professionnelle qui me servent d’as.

J’attends un peu. Le vaste couloir, vaguement clinique d’aspect et verdâtre de teinte, s’en va à l’infini dans une lumière aussi électrique que morose.

Tout est silencieux, ou presque, car on perçoit, venant des profondeurs du building, le ronflement d’un citoyen affligé de végétations.

Dans mon cas, deux éventualités : ou bien je me présente officiellement, c’est-à-dire que le mignon San-Antonio de ces dames presse son médius sur la sonnette du Petit Marcel et dit : « Bonjour monsieur, excusez-moi de vous déranger mais… » ; ou bien il utilise son sésame, pénètre chez l’endormeur endormi et le réveille en lui faisant une passe magnétique sous la plante des pieds avec le canon de son tu-tues. La seconde formule me semble trop risquée. Si par hasard Zobedenib est un honnête marchand de poudre aux yeux, je risque d’avoir de graves ennuis. Après nos démêlés avec l’Égypte, il est mal indiqué de créer de nouveaux incidents diplomatiques. D’autant plus que Bérurier, somme toute, n’a été victime d’aucuns sévices.

Alors ?

Alors j’ai une troisième idée qui ne figurait pas sur mon planning. Les idées de la dernière seconde sont souvent les meilleures.

Je biche mon carnet de rendez-vous — sur lequel je note beaucoup de choses, sauf naturellement mes rancards —, j’en arrache une page et j’écris en caractères d’imprimerie : VITE, LES CHOSES SONT EN TRAIN DE SE GÂTER.

C’est suffisamment laconique et inquiétant pour pousser un type à commettre des couenneries s’il n’a pas la conscience tranquille.

Je glisse la feuille de papier sous la porte et je file trois coups de sonnette autoritaires. Ensuite de quoi je me carapate au bout du couloir pour emprunter l’escadrin de secours. La vue d’une porte mal fermée me sollicite. Elle donne sur un réduit où les femmes de ménage planquent leurs seaux et leurs balais.