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— Si vous ne me croyez pas, cherchez sur mon bureau, vous y trouverez les avis de la compagnie des téléphones me menaçant de coupure. Comprenez-moi, commissaire : un type m’appelle un matin et se met à me baratiner longuement. Il m’annonce qu’il appartient à une agence de presse américaine désireuse de faire une enquête sur Savakoussikoussa. Or, notre président, depuis sa chute, se terre sur les bords du Léman, dans une maison inexpugnable. Le bonhomme du téléphone me dit qu’il y aura dix mille dollars pour moi si je parviens à le faire venir à Venise. Il me souffle un argument valable : la rédaction d’une biographie de Savakoussikoussa. Moi, que voulez-vous, dans la foulée j’accepte. Regardez-moi et regardez autour de vous : ce n’est que dénuement et misère dédorée. La perspective de pouvoir gagner un paquet de fric malgré ma paralysie m’a survolté. J’ai dit oui, mille fois oui, en craignant qu’il ne s’agisse d’une blague.

— Et ensuite ? tranché-je, pour m’éviter de lui montrer que je comprends parfaitement sa réaction.

— J’ai reçu ces dollars. Donc, ça carburait. Je suis entré en contact avec notre pauvre Magloire. Lorsqu’il m’a signifié son accord, j’ai commencé à prendre peur, à me dire que ce micmac cachait du louche. Alors j’ai laissé interrompre ma ligne pour forcer mon correspondant à se manifester autrement.

— Et ça a marché ?

Il fait la moue.

— Plus ou moins.

— C’est-à-dire ?

— Retournez dans mon bureau. Vous y trouverez sur un rayon, un vieux bouquin à reliure rouge consacré à la garde papale, j’ai glissé entre ses pages les messages que m’a adressés le type en question.

— Vous ne m’avez pas parlé de la voix de ce joyeux luron, Fausto ; d’abord en quelle langue s’exprimait-il ?

— En italien, mais avec un formidable accent yankee.

— Un homme de votre classe se fait une idée d’un personnage d’après sa voix, j’aimerais connaître la vôtre ?

Il branle le chef, comme le collégien pubère dont je parlais plus haut (ou plus bas, car en écrivant j’ignore si ma première allusion à ce jeune homme ne sera pas placée en bas de page et la seconde en haut) le ferait de son zizi.

— Bizarre, évase-t-il.

— Mais encore ?

— On eût dit que mon interlocuteur s’efforçait d’être rude et nasillard.

— Bref, vous l’imaginiez comment ?

Il réfléchit.

— Eh bien… en vérité je l’estime plus intellectuel qu’il ne tenait à le paraître.

— Il vous a appelé souvent, avant qu’on ne mette votre turlu sur la touche ?

— Deux fois.

— Parlez-moi de la seconde.

— Ce fut bref. Il me demandait si j’avais du nouveau. Je lui répondis : pas encore. Il m’ordonna alors d’activer et raccrocha.

J’hésite, puis je jette le paquet de biftons sur ses genoux.

— Tenez, Fausto, c’est ma semaine de bonté !

Je pars à la recherche des fameux messages. Il y en a trois. Ce sont des télégrammes. Tous sont postés de Venise. Le premier est sec comme une bouteille de gin : « Prière rétablir urgence ligne téléphonique. » Et c’est signé (puisqu’il faut obligatoirement signer un télégramme) Alcalivolati.

Cocasse et astucieux, non ? Le gars a pris pour pseudonyme le nom même de son correspondant. Le second est un peu plus révélateur, preuve indéniable que la tactique d’Alcalivolati n’est pas mauvaise.

« Exige réponse urgente sinon contrat rompu. Stop. Vous laisse envisager conséquences. Stop. Placer à tombée de nuit lettre sous heurtoir de votre porte. Alcalivolati. »

Quant au troisième, il retombe dans le laconisme.

« Avons pris note. Stop. Espérons pour vous que voyage ami suisse ne sera pas ajourné. Alcalivolati. »

J’opère un virage sur l’aile et je rallie le comte.

Lui cloquant le second message devant le pif, j’interroge :

— Racontez !

Pas besoin de lui faire un dessin sur le bide avec une lampe à souder. Il a décidé d’y aller franco, Fausto, de becqueter à ma gamelle de bon appétit pour essayer de s’enrayer les méchantes calamités.

— J’ai fait placer un billet sous le heurtoir, déclare-t-il.

— Qui disait ?

— Il annonçait l’accord de Savakoussikoussa et précisait la date de sa venue.

— Je suppose que vous avez dû faire le guet pour essayer d’apercevoir celui ou celle qui est venu le chercher ?

— En effet, mais j’en ai été pour ma nuit blanche et un sacré rhume de cerveau. Je n’ai vu arriver personne. Cependant, au matin, le billet n’y était plus. Je suppose qu’on est venu le chercher en gondole, en passant par le petit canal Cesarino et que le messager a rampé sous la fenêtre derrière laquelle je me tenais embusqué.

— Qui a placé le mot sur la porte ?

— Francesca, car, naturellement, je n’ai pas mis ma vieille gouvernante au courant de cette aventure.

— Ces trois télégrammes exceptés, vous n’avez plus eu de nouvelles de votre correspondant ?

— Plus aucune, je le jure sur…

— Vos quatre mille neuf cents dollars ? je lui réparte.

CHAPITRE 5

Le seuil du salon-salle des pas perdus (pour tout le monde) franchi, j’aborde le bizarre, pénètre dans l’insolite, affronte le jamais vu d’une allure de matador sortant de la reine avec la queue du toro dans la main.

Agenouillée sur un prie-dieu dépaillé, la vieillarde ibérique prie en espagnol le Seigneur misère y corps d’yeux pour que les deux black murders commis en ce palais ne jettent pas l’eau probe sur son Fausto chéri qu’elle a nourri jadis de ses mamelles flasques. Scène touchante, un tantisoipeu pittoresque, et à coup sûr émotionnante. Assez classique, pourtant, les vieilles Espagnoles étant faites pour prier, comme la phalange pour sévir. Aussi dois-je passer une autre porte avant de découvrir le stupéfiant spectacle annoncé dans les toutes premières lignes de ce cinquième chapitre, lequel, vous l’allez voir, sera riche en péripéties.

Imaginez, mes zouaves, que la pièce en question est sommairement meublée d’une petite table aussi bancale que Louis XIII, d’une chaise et d’un canapé qui n’attend plus que la bonne volonté d’un brocanteur pour libérer les lieux de son infamie.

Ces trois meubles sont utilisés à part entière par mes amis et la future comtesse. Assis sur la chaise, Pinuche écrit des choses à la table, en tirant une langue dégoulinante d’application. Pendant qu’il s’évertue dans les calligraphies, Béru se déguste la Francesca dans le canapé. C’est à dessein que je dis « dans le canapé », car le poids du couple creuse durement le sommier, transformant ce dernier en une sorte de hamac ajusté dans un cadre de bois. Et c’est poussé par mon éternel souci de l’exactitude que je prétends qu’il la déguste, les trucs mis en application par le Gros mobilisant davantage sa menteuse que son scoubidou aventureux. Je ne vous fais pas de croquis, mais toutes les personnes dont le numéro de permis de conduire se termine par 69 auront pigé. J’aime rester évasif, quelquefois. Nous vivons une époque où, plus on se cantonne dans la sobriété, plus on a une chance de ne pas heurter les autorités connes-pétantes.

À mon bruit d’entrée, le Mafflu redresse sa trogne congestionnée.

— Ah ! C’est toi, se rassure-t-il, je gâtais un peu madame pendant le temps mort, vu que la pauvrette, avec son comte engourdi du calbar, n’a pas l’occasion de se faire dépoussiérer le trésor tous les jours ! Moi, ajoute-t-il, dans les ordinaires, je laisse quimper les gamineries de ce gendre, mais quand je me trouve nez à nez avec un pareil paillasson à bouclettes, je peux pas résister, Mec. J’ai l’impression d’embrasser le père Noël sur la bouche, de faire la lèche aux quat’barbus, de r’monter les sources de la Mazone.