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J’ai peine à admettre qu’une solide intelligence habite cet être frileux, bredouilleur et disert. Pourtant, en maintes occasions, le vieux Pinuchard nous en administra la preuve.

Il lève son regard poussiéreux sur moi, lit mon indécision et, posant sa main en bois d’os sur mon épaule, murmure en reniflant :

— Nous sommes dans une vilaine impasse, mon petit, crois-moi : il faut jouer à fond la carte de la femme, si on veut limiter les dégâts.

* * *

Elle pousse des soupirs de bûcheron participant au concours du meilleur bûcheron de l’année, Francesca Fumaga. C’est la grosse reluisance, mes chéries, votre pudeur (si bien imitée) dût-elle en souffrir.

La monstre troussée. La charge héroïque, interprétée vagistralement par Alexandre-Benoît Bérurier. La fureur du fignedé en délire, son débridement intégral. L’escalade des spasmes à haute tension. Ils ont massacré le canapé, éparpillé les morceaux, disloqué le sommier, éventré le matelas, lacéré les housses, éplumé les coussins, lézardé le mur, délamé le plancher. Ils gambadent du derche, les infernaux. Ils rugissent, vrombissent, gémissent, génissent, gésinent, implosent, implorent, s’intègrent, furaxent, brassent, convertissent, juxtaposent, aboutissent, conjuguent, incorporent, supplantent, rechemisent, prévalent, dévalent, avalent, s’entre-stupéfient, s’extasent les organes, se lubrifient, sérologuent, déglandent, poussent, arrachent, oignent, rognent, éclaboussent, implantent, suggèrent, psalmodient, modifient, s’impriment, s’expriment, se répriment, se surestiment, se convertissent, se compriment, se surpriment, se cégétisent, communient, communistent, heureuquicomulyssent, se magnifient, se marient ! Bravo ! C’est grand ! On ne peut pas ne pas contempler ! Ne pas acclamer ! Ça transporte ! Depuis les gladiateurs, jamais vu pareil spectacle ! Apothéose de la fureur animale ! Dépassement de la viande ! La gloire organique intégrale ! Le volcan éruptif qui rogne ! Versailles grand-siècle ! Grand cercle ! Plaouf ! Zim ! Quand j’avance Hercule… Vive l’avarié ! T’en veux-t’y, n’en voualà ! Et bonne année grand-mère ! Le sabre de mon père ? Tiens, fume ! Les folles nuits sur le Gland Canal ? Me faites pas gondoler ! Un coït signé Béru est garanti bon rut !

Enfin il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte ! Ces titans de la chose s’immobilisent dans la glorieuse douleur de leur assouvissement. Ils gisent, cétacés de l’amour accompli, dans les décombres de leur fureur sensorielle.

Des bouffées ouraganes passent encore dans l’air confiné de la pièce. Les ondes de leurs gesticulations continuent de nous éblouir. Le silence s’étend sur Venise la belle, dans l’immense lagune, troublé seulement par la prière de la vieille, dans le couloir.

Ayant dévidé toutes ses prières espagnoles, plus ses oraisons italiennes, elle récite à présent ses litanies françaises ; ce qui vous prouve que le croyant a intérêt à être polyglotte s’il veut baliser son chemin du ciel.

— Seigneur, mon Dieu, cher doux Jésus, sainte Marie pleine de grâces, implore la brave vieillarde, délivrez-nous du mal, et surtout délivrez mon Fausto de cette grande pute, de cette salope maudite, de cette truie purulente, de cette garce infâme, de cette charogne puante, de cette guenon plus poilue que Satan, de cette vache en chaleur, de cette abomination. Que tous les saints, tous les anges et archanges de Votre paradis s’unissent pour la faire crever. Que les cancrelats la dévorent ! Qu’elle devienne une flaque de pus ! Que son souvenir sente la merde ! Et que le souvenir de son souvenir fasse dégueuler tout un chacun. Amen !

Là-dessus, comme cette vénérable personne semble douée pour les langues, elle attaque en anglais assimil :

— My God

Je cesse de lui prêter attention, ce qui m’obligerait de composer un texte approximatif, susceptible de choquer les puristes, pour me consacrer aux deux faiseurs de prouesses.

— Madame et chère tornade, dis-je à Francesca, croyez que j’apprécie l’agrément de votre accueil. Vous poussez très loin vos devoirs d’hôtesse, ce dont je vous félicite, cependant, nous devons prendre certaines dispositions qui nécessitent un entretien préalable avec vous. Si donc vous voulez bien remettre votre slip et abaisser votre jupe pour ne pas distraire notre attention, nous allons passer à des choses moins agréables, mais plus sérieuses.

Comment que c’est virgulé, non ?

J’sais bien que mon style fait des envieux, et même des envieilles, mais j’y peux rien : c’est congénital.

Tandis qu’elle se rajuste et se dédécombre, je la bigle avec intérêt, me demandant qui elle est au juste, pour se permettre tant d’impudeur et de salacité. Généralement, les putes en personne ne se laissent point glisser à de tels excès démonstratifs (et possessifs). Des mangeuses d’hommes de cette trempe, des escaladeuses de julots pareillement enragées, on n’en trouve plus que chez les petites bourgeoises de province, épouses de notaires ou d’assureurs généralement, toujours partantes du réchaud et qui vous écossent une braguette en moins de temps qu’il n’en faut à un amoureux pour effeuiller une marguerite.

— Eh bien, me voici prête, déclare hardiment Francesca Fumaga. Est-il indiscret de vous demander ce que vous attendez pour prévenir la police ?

Son regard me brave. Je sens des picotements dans ma main droite, la gifleuse, la terrible.

— Ma chère, lui fais-je, êtes-vous donc si pressée d’aller en prison ?

Son regard noir prend des reflets aubergine.

— Pardon ? grince la donzelle.

— Y a pas de quoi, j’y rétorque.

— Vous insinuez que j’ai quelque chose à voir avec cette horrible histoire ? qu’elle reprend.

— Grand Dieu non, je n’insinue pas…

— Ah bon !

— Je n’insinue pas : j’affirme !

Elle manque un peu d’air ; pour corser son asphyxie, je lui gicle la fumée de ma cigarette dans les trous de nez. C’est peu galant, mais il est des circonstances où la muflerie est payante.

Elle tousse. Bibi, le fils unique et préféré de Félicie, lui allonge une baffe capable d’arracher la tronche d’un scaphandrier. Francesca part aux quetsches.

— Brute ! Sale type ! elle hurle.

Puis se tournant vers le preux Béru :

— Mais faites quelque chose, gros lard ! elle lui lance.

– ’Scuse-moi, poulette, dit le Gros en la relevant.

Une fois qu’elle a retrouvé l’équilibre, Alexandre-Benoît me demande :

— Elle a trempé dans cette affaire, t’es sûr ?

— Certain.

— Menteur ! trépigne la gueuse en me montrant le poing.

Calmement, Sa Majesté la biche par une aile.

— Emménage tes espressions, gamine, avertit le Mammouth, mon camarade ici présent ne ment jamais.

Elle lui pouffe au pif :

— Tu crois ça, porcellino !

Bérurier sait se contrôler dans les cas délicats.

— Porcellino, ça veut dire quoi t’est-ce au juste ? demande-t-il.

– Ça signifie goret, déclare la vieille Pronunciamiento qui vient d’entrer, à bout d’oraisons, attirée par l’algarade.

— Ah ! Ça veut dire goret, répète le Dodu en retroussant sa manche, comme le faisait Ambroise Paré avant d’opérer un mecton de le vésicule biliaire. Goret, vous êtes certaine, chère Maâme ?

— Absolument.

Lors, Gras-du-bide altercationne l’étrange compagne du comte.

– Écoute un peu ce que je vais t’avertir, ma gosse, murmure-t-il en se massant les doigts, quand je viens d’avoir des gentillesses pour une dondon dont à laquelle j’ai fait fumer le bonheur, pire qu’un n’haut-fourneau, je tolère pas qu’a me traite de goret, fût-t’est-ce en italien !