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Pinaud lève le doigt.

— Mon opinion te paraît-elle de quelque intérêt, San-A ? demande le Débris.

— Cause !

Il se ramone la gargane.

— Nous sommes à Venise pour agir, non pour subir, dit-il. Si nous alertons la police nous serons fatalement immobilisés comme témoins voire comme suspects et je ne pense pas que monsieur le directeur apprécie.

— Banco, admets-je, tu parles d’or.

— Il parle p’t-être de jonc, mais en chevrotant, gouaille le Mastar.

On dévale. Bref arrêt au grand salon où m’sieur le comte ronge son frein.

— La tuile, mon pauvre vieux, lui dis-je. Votre vieille gouvernante, gagnée par la crise de nerfs de sa maîtresse (qui était également la vôtre) vient d’assassiner cette dernière. Comme nous avons du pain sur la planche, nous devons filer. Je vous propose un gentleman-agreement : vous ne parlez pas de nous aux matuches d’ici, et nous oublions que le président Savakoussikoussa a été kidnappé sous votre toit. Vous aurez les coudées franches pour raconter aux poulets l’histoire que vous voudrez. O.K. ?

Avant que le pauvre bougre ait eu le temps de réaliser j’ordonne à Béru :

— Gros, traîne le fauteuil de monsieur le comte jusqu’à une fenêtre et ouvre grande celle-ci afin qu’il puisse appeler au secours lorsque nous serons partis.

Puis, tapotant l’épaule tombante du dernier des Alcalivolati, je murmure :

— Ah, veinard, quel roman que votre vie !

CHAPITRE 6

— Pssst ! taxi ! lance Bérurier à un gondolier en maraude.

L’homme au chapeau de paille accoste le ponton en lambeaux du palais Alcalivolati. Lorsque Bérurier prend place dans l’embarcation, il le fait avec tant de vigueur que la gondole décrit une embardée inattendue. Le gondolier avant se retrouve au jus et son bitos part à le dérive sur le Grand Canal. On repêche le zig pendant que son pote arrière nous accable d’injures admirables. Voilà qui est gagné. Si on voulait quitter le palais en loucedé, on l’a dans le prosibus.

Je calme les bateliers à grand renfort de lires, ce qui, à Venise, est une manière comme une autre de sécher les rancœurs. Pour ce faire, je me fouille et, dans le mouvement, je ramène les trois télégrammes expédiés au comte par le mystérieux « X ». Ces rectangles de papelard raniment brusquement mon énergie débandée. Après tout, il me reste cela. C’est l’unique lien entre le kidnappeur et nous.

— Place San-Marco ! lâché-je à tout hasard aux godilleurs de service.

Pais, le calme étant revenu, je me mets en devoir d’étudier de près ces documents. C’est l’affaire de trois minutes. Mon siège est vite fait, comme disait une rempailleuse de chaises. Dès lors, je tends les messages à Pinuche.

— Tiens, Sherlock, mords la came et fais-moi part de tes remarques !

Le Déclaveté chausse son nez de ses lunettes de documentaliste dont les verres sont fêlés et la monture rafistolée au chatterton.

Béru vient d’offrir une sèche au gondolier mouillé et lui explique de quelle manière il conviendrait d’équiper son embarcation pour éviter ce genre d’incident.

— Le côté glandu de ta pirogue, mon pote, commente le docte armateur, c’est qu’elle a pas des quilibres ; prends exemple sur nos barlus à nous autres, tels que le France ou le Pasteur, qu’est-ce qui fait leur réputation ? Leurs estabilisateurs, et rien d’autre. Técolle, Mec, t’attacherais quatre gros bidons vides d’ chaque côté d’ ta barcasse, comme y z’ont fait aux bateaux dont auxquels j’viens de te nommer, on ferait la queue sur le Grand Canal pour prendre ton bahut et t’aurais pas les joyeuses dans le mouillé, capitoche ?

Il se marre, le gondolier. Il a rien pigé, mais l’expression sentencieuse de Béru lui colle des rifouilles. La toux de Pinuche, annonciatrice de commentaires savants, me ramène à la réalité morose.

— Ces trois télégrammes, déclare la Vieillasse, ont été expédiés dans un laps de temps de dix jours. Les deux derniers à quarante-huit heures d’intervalle. Le dernier en date remonte à trois jours. Fait intéressant, tous trois émanent du même bureau de poste. Chacun d’eux contient une menace non déguisée. Autre fait digne d’intérêt, assure César Pinaud : ils ont tous les trois été postés à la même heure, bien qu’à des dates différentes : midi trente ! Et ce dernier détail justifie peut-être qu’ils proviennent du même bureau car je suppose que seule une grande poste reste ouverte à l’heure du déjeuner. Si la chose est confirmée, cela signifiera que l’expéditeur n’était libre qu’à ce moment de la journée.

Il re-toussote.

— Voilà, c’est tout.

— Et c’est beaucoup, mon frère, m’enthousiasmé-je, car si j’avais de mon côté fait les mêmes observations, je reconnais n’avoir pas tiré cette pertinente conclusion à propos de l’heure d’émission.

Je me tourne vers le gondolier le plus proche.

— Où se trouve le bureau de la via Ravioli ? je lui demande dans un italien de cuisine, et même de cuisine de cantine populaire.

— Via Ravioli, il me répond pertinemment.

— Laquelle se trouve ?

– À deux pas de la place San Marco, signore.

— Est-ce le bureau principal de Venise ?

— Pas précisément, c’est un tout petit bureau, au contraire, mais qui ne ferme jamais, signore.

— Va bene, je murmure, le cœur rafraîchi par la brise des espoirs. Va bene, mon pote…

* * *

On dirait le coin des téléphones d’un grand hôtel. C’est une pièce formiqueuse, cernée de cabines ultramodernes vitrées de bas en haut et de gauche à droite. Au centre, dans un vaste box, il y a une standardiste moustachue qui pourrait être parisienne et qui plante des fiches de couleur dans des trous numérotés, comme un jardinier enfonce son plantoir dans la terre meuble afin de préparer un repiquage de poireaux… La bacchante a pour auxiliaire une jeune fille un chouia lymphatique, pâle et blond vénitien, qui se morfond derrière une plaque de cuivre portant le mot « telegrafo ». C’est elle que j’aborde, en exhibant cette double rangée de dents qui fait se pâmer les dames et trembler les steaks.

— Chère petite chose ravissantissime, je lui gazouille, je vais avoir besoin de votre aide dans un peu moins de pas longtemps.

Là-dessus, après mon sourire, je lui montre ma carte de flic. Le mot police, comme le mot hôtel, est pratiquement international. La différence marquante, dites-moi, entre police et polizia ?

— Je fais partie de l’Interpol, murmuré-je, tandis que, sur mon ordre, Béru occupe la moustachue en lui sollicitant un numéro de bigophone. Vous savez ce qu’est l’Interpol, ô vous sans qui Venise ne serait que ce qu’elle est ?

— Si, signore ! chuchote en s’étranglant d’émotion la jeune personne, laquelle se masturbe sûrement davantage qu’elle ne joue de la mandoline.

— Parfait. Ma qualité de Français ne vous paraît pas être un obstacle à une éventuelle coopération ?

— No, signore.

— De mieux en mieux. Vous êtes de service ici tous les jours, chère mésange frivole ?

— Si, signore.

— De quelle heure à quelle heure, ma jolie rencontre ?

— De dix heures du matin à quatre heures de l’après-midi, signore.

— Alors vous êtes la bénédiction du ciel que j’espérais, merveille de la lagune.

Je tire les trois télégrammes et les étale sur la tablette.