— Un costume à carreaux beige et noir.
— De toute beauté ! Est-ce bien tout, mon enfant ?
— Une pochette rouge !
— Quelle élégance. Rien d’autre ?
— Une grosse bague avec un diamant énorme. Vous croyez qu’il était véritable ?
— Dès que je l’aurai fait expertiser, je vous donnerai la réponse. Merci pour votre collaboration, mon éblouissement postal, le jour où vous renoncerez à l’onanisme, pensez à moi !
Je lui virgule, par-dessus son comptoir, un baiser mutin, du bout des doigts. La gente crétine en rougit jusque dans son panty. Sur ces entrefesses, précisément, Sa Majesté Béru sort de la seconde cabine si fougueusement qu’il en carbonise la lourde, comme il fit de la précédente. Nouveau fracas ! Nouveau tollé ! Nouvel égosillement du receveur au derrière vitrifié.
— Ah, ça suffit, hein ! aboie le Mastar, aye un peu le respecte du touriste, fesse de rat ! Et virgule fissa un rapport à ton administration comme quoi elle fasse pas des taxiphones pour Valentin-le-Désossé. J’ai cru crever dans ton sacrophage.
Ignorant désormais le râleur, il demande à la moustachue :
— Je vous dois combien t’est-ce pour ma causerie récréative, mon petit lapin ? Les bris-à-brac, ce sera sur le compte de vot’ singe à lorgnons !
Nous sortons dans un flot de paroles ultra-rapides qui ne doivent pas exprimer que des louanges.
Si je suis radieux, éclairé de l’intérieur par ce que je viens d’apprendre, on ne peut en dire pareil du Gros. Il semble à cran, Alexandre-Benoît. Furax à outrance ; rebroussé du poil.
— T’es certain que t’as besoin de ma participation pour la suite des réjouissances ? il demande. Autrement sinon ça me botterait de rentrer à Paname.
— Des déboires, Gros ?
— Aussi cons que jugaux, avoue-t-il. C’te fois, je vais déposer une insistance en divorce, les mecs. Car, mettons-nous bien d’accord : y a cocufiage et cocufiage. Que Berthy s’octroyasse un estra, de temps à autre, vite fait sur le gaz, souate ! Ça ne mange pas de pain et du moment qu’elle me ramène pas la chetouille au logis, l’honneur est sauf. Mais que cette grosse vache se barrasse dès que j’ai le dos tourné avec le nouveau voisin du dessus en abandonnant Marie-Marie seulâbre à la cabane, alors là, je déclare forfait. V’là une enfant qu’a pas un fif ! Obligée de se débrouiller par ses propres moyens, à dix berges ! C’est-y un escandale, oui z’ou chose ?
Pinuche qui a écouté en branlant le chef, renchérit :
— Il est de fait, Alexandre-Benoît, que la conduite de ton épouse est indigne. Je compatis à ta détresse, mon pauvre ami ; je devine l’immensité de ta peine, la qualité de ta souffrance. Je sais que, pour ma part, si Mme Pinaud commettait des frasques semblables, mon désespoir serait si profond, mon chagrin si…
Béru fait claquer sa langue parfumée au Juliénas contre le voile de son palais.
— Fais pas chier à jouer les pleureuses, César, interrompt-il. Comment veux-tu qu’elle t’arnaque, la mère Pinaud, avec sa silhouette de canne à pêche ! Pour se respirer une chaisière pareille, merde, faudrait se faire faire des injections de tringle à rideaux, mon pote ! Sans vouloir te préjudicier le mental, Gars, j’aimerais mieux prendre une pelle et aller me chercher une partenaire au cimetière Montmartre par une nuit sans lune, plutôt que d’écarteler ton brancard. Pour tes soirs d’apparat, tu lui colles l’oreiller sur la frime et tu te passes de la grande musique, j’imagine ! Oh, ma douleur ! Le décarpillage à ta bobonne, tu parles d’une féerie-balai ! La danse de ma cabre de mes cinq sens ! T’as l’impression de calcer une baguette de sourcier, non ? De t’embourber un fagot ! Et encore, sur un fagot, y a plus de moelleux ! La mère Pinuche à l’Hôtel La Tringlette, grimpée par un gigolo plein de brillantine, j’aimerais visionner ça en kodachrome sur écran panoramique !
Il rit cruellement. Pinuche, flegmatique, rallume son cloporte éteint.
— Sa peine le rend méchant, soupire la Vieillasse en tétant des scories carbonisées.
Puis il ajoute :
— Je crois, en effet, San-A. qu’il serait préférable que Bérurier retourne à Paris s’occuper de la petite.
Je cède.
— O.K. D’ailleurs nous n’avons plus besoin de lui ici car notre mission s’est modifiée.
« Au lieu d’être aux aguets, nous jouons les chiens de chasse, et tu es un merveilleux renifleur, ma vieille. »
— Merci pour lui, fulmine Béru. Ah ! on peut se défoncer la rondelle, se faire trouer la paillasse ! Ça vous évite pas d’être largué comme une vieille chaussette. Tu veux que je te dise, San-A. ? T’es plus ingrat qu’un sélectionneur de la Fédération de rugueby.
— C’est toi qui demandes à rentrer, hé, Sac-à-lard !
— Et vous êtes tout joyces de vous débarrasser de moi, hein ? Vous préférez faire vos petites conneries tête-à-tête, mes lopes ! Bon, d’accord ! Allez-y ! Je ligoterai la suite dans les baveux ! Ah, j’en ai ma claque de ce métier de gueux ! Du mariage ! De la vie ! Quand j’serai divorcé, je prendrai ma retraite anticipée et je retournerai chez nous, à Saint-Locdu-le-Vieux, dans la fermette que m’a laissée l’oncle Prosper. Ma cave, mon cochon, mes volailles ! Rien d’autre ! Un hermine ! Le portail cadenassé ! Quand la frénésie me prendra, j’emplâtrerai les canards, comme quand on était au 116e Tirailleur ! Y feront d’ plus gros œufs ! Quelle dégueulation, l’existence ! Enfin… Heureusement que j’ai soif !
Nous plantant là, il s’engouffre dans un café. Nous le suivons. Mais au moment où nous franchissons le seuil du troquet, le Gros se retourne, terrible, flétrisseur. Le bras tendu, il nous montre l’extérieur.
— Chez Plumeau ! braille-t-il, tous les deux ! Je vous pisse contre ! Terminé ! Vous êtes sortis de ma vie ! J’sais même plus qui est-ce que vous êtes ! Deux cloches ! Rien d’autre ! Ma carte de matuche ! Tiens, mordez !
Il la sort de sa poche et en fait des confettis.
— Voilà, c’est fini ! Radié ! Direz au Vieux qu’il me court sur la protastre ! Qu’il aille se faire foutre, idem que vous ! J’ai eu mon taf ! Caltez si vous voudriez pas que je fisse un malheur en plein Venise, ce qui serait regrettable après tout ce qu’Aznavour a fait pour elle.
« Non, mais vous allez disparaître, ’spèces de minables ! Maintenant je peux vous le dire : j’ai toujours eu horreur des poulets ! Mort aux flics ! Vive l’anarchie ! »
Il tend le poing :
— C’est la luuuutte finaaaale ! entonne le Gros, au paroxysme.
Le patron qui assiste à la scène acquiesce et lui tapote l’épaule.
— Sois tranquille, camarade, lui dit-il dans un assez bon français : le fascisme ne passera pas !
— Aboule une flasque de chianti, mon pote, tranche le chanteur à voix, du rosso, et une grandissimo, c’est pour un malade !
Nous nous retirons, Pinaud et moi, sur la pointe des pieds.
— C’est navrant, pleurniche Baderne-Baderne. En arriver là, une si vieille amitié !
— Baste, fais-je, il traverse un passage à vide, quelques jours de solitude lui feront du bien. Nous, nous avons du travail, César.
— Où allons-nous ?
– À l’aéroport.
— Pourquoi ?
— Pourquoi pas ? Je suppose qu’après un rapt aussi fracassant, les kidnappeurs ne vont pas se promener en gondole !
— C’est vrai, admet Pinuche, à moins qu’ils n’aient pris la mer ?
— Nous nous rendrons au port ensuite, si cette première visite est négative. Mais un avion décolle plus vite que n’appareille un bateau, il faut donc aller au plus pressé, comme disait un amateur de jus de citron.