Mais qu’est-ce que je disais, moi ?
Ah ! La beauté noire… Chemisier Hermès, minijupe de cuir. Curieux mariage ! Il n’importe ! Une fille pareille, c’est fait pour être déshabillée, alors mieux vaut lui ôter du léger qu’une armure dont les boulons sont rouillés, pas vrai ?
Cela dit, elle ne paraît guère au mieux de sa forme, la demoiselle. Son séjour en malle-cabine l’aurait-il détournée des sentiers embaumés de l’existence ? Ce que ce serait dommage ! Une gerce pareille ! Vos arrière-grands-pères la verraient, ils vous le diraient : Joséphine Boulanger toute crachée, au temps de ses plumes, bien avant qu’elle se mette dans l’élevage d’orphelins. Une perle black, quoi ! C’est vrai que sa peau a textuellement la couleur d’une perlouze noire, à la séquestrée. Un gris sombre, luisant, d’acier pur fraîchement tranché !
Le mec aux cheveux blancs, soit Grégoire Situtenfou, est en train de préparer une piquouze. Doit être toubib, tout compte fait. D’ailleurs il en a l’aspect, les gestes assurés. S’il la pique, c’est qu’elle n’est point morte, hein ?
— Qui peut-ce être, selon toi ? demande Pinuche.
Avant de lui donner mon point de vue, je file un œil sur la bouteille. Madoué, l’est rentré à l’écurie, le « Cheval Blanc ». Le flacon est vide ! Il s’est tout téléphoné, Pépère, tandis que je biglais. Comme quoi ce ne sont pas les plus vieux éviers qui ont les plus mauvaises vidanges ! Son élocution déjà glafouiteuse s’en ressent. On dirait qu’il parle avec la bouche pleine de gruyère fondu.
— Ah, dis donc, ta gastrite, comment tu la traites ! je soupire.
— Le bordeaux est souverain dans les cas d’inflammation, assure le Décadent. Tu n’as pas répondu à ma question, qui est cette jeune fille, à ton avis ?
— Comment te répondrais-je, hé, Alambic ! J’assiste à un numéro de magie.
— De magie noire, se poire le Fluet.
— Extrêmement noire ! On kidnappe un président, bien. Meurtres et remeurtre ! Numéro de folie sénile ! Paralytique à roulettes ! Nymphomanie ! Palais pourri ! Guili guiligui ! Malle pour illusionniste ! On l’ouvre : une merveilleuse créature y repose. De quoi perdre son latin, sa raison, le nord et son sang-froid !
Pinaud choisit parmi une demi-douzaine de chenilles momifiées celle qui ressemble le plus à un mégot et la visse sous les poils roussis de sa moustache. La flamme autodafique embrase son visage, fait brasiller sa moustache et réduit la chenille d’un demi-centimètre sans vraiment l’allumer.
— Dis voir, San-A. Et si on allait tout bonnement leur demander des explications ?
— Pas question, les ordres sont formels : suivre le ou les agresseurs de Savakoussikoussa. Jusqu’à preuve du contraire nos voisins sont mêlés à l’affaire, n’est-ce pas ? Alors filons-les farouchement.
– Ça risque d’être longuet et stérile, prophétise César.
Il retourne au petit trou pas cher pratiqué dans la cloison.
— Elle est en train de reprendre conscience ! annonce-t-il. Belle fille, hé ?
— Une splendeur ! Que font les autres ?
— L’homme aux cheveux blancs range ses instruments. Le boiteux est assis au pied du lit avec un pistolet à la main. Il en menace la jeune fille, sûrement pour l’empêcher de crier. Quant à la femme…
— Quoi ?
— Rien : elle vient de sortir à l’instant.
— O.K., reste ici et tâche de ne pas choper un orgelet.
Je quitte la chambre, pas mécontent d’avoir un prétexte pour vadrouiller dans Rome.
CHAPITRE 9 (entièrement neuf)
« Massive et long vêtue, elle allait à grands pas, ayant mis, ce jour-là… »
Voilà ce que je me récite en filant la sombre Pulchérie Jeuthème dans les artères romaines. Elle y va des compas, la gueuse alambiquée. Un vrai grenadier retour de Flandre ! Elle a dû décrocher une médaille aux jeux Olympiques d’il y a douze ou seize ans, cette madame. Faut la voir foncer, le chapeau cloche en avant, comme un butoir de locomotive. Je sais pas où elle va, mais ce que je peux vous assurer, c’est qu’elle est rudement pressée d’y arriver.
Elle tourne dans la rue Saint Zano, traverse la place Martini Onezeroccia et s’immobilise avec une telle brusquerie qu’emporté par mon élan, comme disait un lapon, je manque lui rentrer dans le chou.
Pulchérie semble chercher une adresse. Elle tient un papelard dans le creux de sa main, qu’elle consulte attentivement, au point que je me demande si elle sait lire. Elle interrompt son examen du papier pour se repérer. Il semblerait que son faf comporte plutôt un plan, ou pour le moins un croqueton. Son manège cesse enfin et je la vois se diriger vers une impasse située dans le fond de la place, derrière une fontaine de marbre représentant une sirène en train de rouler une pelle à Neptune.
Que peut bien brandouiller cette doudoune en ces lieux ? Aucune porte n’ouvre sur l’impasse dont le fond est encombré d’énormes bidons d’huile. Je pige vite. En effet, Pulchérie s’approche d’une Alfa Roméo stationnée à l’entrée du renfoncement. Une fois encore, la voici qui regarde son papier. Rassurée, semble-t-il, elle ouvre la portière de l’auto et prend place au volant. Un court moment elle disparaît sous le tableau de bord, probablement pour prendre la clé de contact qu’on a dû carrer sous le tapis.
Votre San-A. regarde autour de lui comme pour quêter une aide. Le moyen de suivre une Alfa à pied, même si l’on est un Roméo, je vous le demande, à vous qu’êtes si marles !
Dieu soit loué ! J’avise une station de bahuts à pas quarante-deux mètres de là. J’y cours. Deux chauffeurs de taxi sont en train de s’injurier entre leurs véhicules.
— Presto ! je crie en me jetant dans la première voiture.
Comme si je lancebroquais dans un violoncelle, mes chéries ! Les gars continuent de se traiter de noms malodorants en postillonnant.
Je me défenestre jusqu’à mi-corps.
– Ça vient, oui, je suis pressé, bon Dieu !
Le conducteur de ma voiture ouvre une parenthèse dans l’algarade pour me crier que si je suis pressé je n’ai qu’à courir, que, quant à lui, il me défèque sur le visage et que si je ne suis pas content, je peux venir embrasser son cul !
L’Alfa sort de l’impasse. Purée de vache ! je vais rater ma courette à cause de cet enviandé. Heureusement, la mère Pulchérie a dû passer son permis de conduire sur une voiture à bras car elle cale au beau mitan de la chaussée. Un camionneur lui rate l’aile d’un poil et lui hurle qu’elle ferait mieux d’aller se faire blanchir plutôt que de vouloir piloter une voiture de sport.
Ce qui ça, oui, est du racisme au premier degré.