Je ne voudrais pas commettre le péché d’orgueil, à un moment où j’ai besoin de me concilier les bonnes grâces du Très-Haut, mais rappelez-vous que pour du K.O. c’est du K.O. ! Il est même O.K., ce K.O.[9]
— Vous n’avez besoin de rien, mes Excellences ? s’inquiète à cet instant précis le père Ali Ghâtor, en passant sa tronche servile par l’entrebâillement de la tenture.
— De rien du tout, réponds-je à voix tellement basse qu’il est obligé de s’accroupir pour m’entendre. Du reste, voyez, le président dort déjà !
— Bravo ! Qu’Allah veille sur son sommeil.
— Au cas où Allah aurait une défaillance, je suis là pour assurer l’intérim, dis-je.
Il se retire.
Un gros matou que je n’avais pas aperçu dans le clair-obscur vient me faire le dos rond contre les cannes. J’aime pas tellement les greftons, mais j’sais pas pourquoi, eux m’ont à la chouette. Dès qu’il y en a un quelque part, il se pointe directo vers moi pour me témoigner des tendresses.
— Pas le temps de te faire des grattis-grattous, mon pote, m’excusé-je en me déloquant du torse.
À grand mal, je m’arrache du dos le sparadrap maintenant la plaquette foudroyante. Pas fastoche, lorsqu’on a oublié d’être contorsionniste. D’autant pire que le Ricain n’a pas chialé sur la bande adhésive. C’est de plus strêmement douloureux, car il a des poils, vot’ San. Je connais des Tarzans de naïte-clubes qui sont pileux comme des berlingots. Une fois à loilpé, tu dirais des baigneurs en cellulo. Moi, juste Dieu, je toisonne des pectoraux. J’en ai jusque dans les reins, mes chouchoutes, et sur les miches idem, que la plupart du temps ça se coince dans le chaton de vos bagouzes pendant les transports au septième ciel.
Pour vous dire que l’arrachage de cette foutue bande me pose des problèmes et me cause des souffrances. Tout de même ça vient. Je m’empresse ensuite d’explorer les fouilles du président. J’y pêche une espèce de bloc gros comme la moitié d’une grande boîte d’allumettes. Sur la partie supérieure du bloc se trouve un trou et, émergeant tout juste de ce trou, un petit bouton rouge. J’ai peine à croire que cet attirail puisse être meurtrier. Est-ce qu’ils m’auraient pas un peu chambré pour me faire tenir peinard ?
Le gros minet continuant de me dispenser ses salamalecs, je décide d’en avoir le cœur net. Délicatement, je dépose la plaquette sur son dos, puis je presse le petit boutognot.
Ah, mes carnes, l’arrêt du culte m’en ruisselle. Vous comprenez vraiment ce qu’il veut dire, le mot foudroyant ? Vous parlez d’un électrochoc à haute tension ! Une noire saucée, il efface, Minoumiaou ! Raide comme barre instantanément, avec juste un frémissement ultime dans les pattounes. J’en chope des vapes rétrospectives.
M’a l’air drôlement outillé, le Négus. Paré à outrance question gadgets.
Furax, je lui arrache sa limouille du bénard et, avec le reliquat d’adhésion de la bande sparadreuse, lui assujettis la plaquette au-dessus des rognons. Dans ces sortes de conjonctures, croyez-moi, vaut mieux être du côté du bouton.
Ayant balancé le cadavre du pauvre miaou sous des coussins (quel dommage, une bête superbe : un persan Baumont), je me vautre en attendant que le président reprenne goût à la vie. Je philosophe en lui surveillant le coma. Air connu : « c’qu’on est peu de chose ». Un coup de 42 gamine au bouc, et ton cervelet tourne en mayonnaise. Quand je nous vois si tellement fragiles, je me demande comment des mecs se démerdent pour devenir octogénaires. J’ai demandé à l’un d’eux, récemment, il m’a répondu : « C’est pas difficile, mais il ne faut faire que ça. » Moi j’aurai sûrement pas le temps. Trop d’occupations, de préoccupations… Vous allez m’objecter, un type comme De Gaulle, il l’est bel et bien devenu, octogénaire, et pourtant avec son contrat de sauveur à honorer il avait pas chouchouille de loisirs. J’sais bien, seulement tout le monde n’est pas démiurge ! Tenez, à propos de LUI, y a un pègreleux, l’autre jour, qui me dit avec un soupir long comme un peloton de ficelle : « Voyez-vous, de Gaulle, les Français n’en ont pas tiré assez parti. » « Ça c’est bien vrai, je lui ai répondu, avec sa taille on aurait pu en faire deux. »
Savakoussikoussa a un hoquet, puis il ouvre les yeux et se met à renoucher autour de lui en ayant l’air de se demander anxieusement s’il n’a pas oublié de fermer le gaz avant de démissionner.
– Ça va mieux, président ?
Il se fourbit les lotos et marmonne :
— Que m’est-il arrivé ?
— Un étourdissement, vous devriez faire contrôler votre tension artérielle un de ces quatre matins, j’ai idée que votre raisin tourne au sirop.
Il semble troublé. Faut dire que, vu sa posture au moment ou je lui ai shooté son somnifère signé Bailly, il n’a pas pu voir arriver ma godasse. En ce moment, il est en train de se poser laborieusement des questions. La douleur naissant à son menton, il se le palpe, identifie une protubérance et décide que l’hypertension ne laisse pas ce genre de séquelles.
Tout à fait lucide, le voilà qui plonge sa main dans la poche au déclencheur.
— C’est cela que vous cherchez, président ? demandé-je en brandissant l’objet.
Il fait trop sombre pour que je puisse le voir blêmir, en tout cas, je l’entends pâlir.
— Rendez-moi ça ! grince-t-il en se redressant d’une détente qu’un félin qualifierait d’humaine.
— Vade retro, Satanas ! lui dis-je durement. Sinon, je presse sur la chevillette pour voir votre bobinette. Votre masque mortuaire, vous le souhaitez en bronze ou en marbre blanc, histoire de changer ?
Il s’arrête et, d’instinct, roule les épaules.
— Mais oui, mon cher, poursuis-je. Vous l’avez bel et bien dans le dos, si je puis me permettre. Cela s’appelle en littérature un renversement de situation.
Tout en persiflant, je joue avec le déclencheur. Savakoussikoussa tend vers moi la main de la détresse.
— Attention ! implore-t-il. C’est si délicat.
— Et alors ? Vous ne serez pas le premier chef d’État à la retraite à défunter d’une crise cardiaque. Vous aurez droit à une petite nécro dans les journaux du monde entier. Après quoi, l’oubli intégral s’appesantira sur vous, mon ami.
Un silence. Round d’observation.
— Si on bavardait ? suggéré-je au bout d’une longue période de mutisme. La parole est l’apanage des vivants, vous ne croyez pas ?
Il continue de la boucler hermétiquement.
— Sauf votre respect, Excellence, je vous trouve con comme une boîte ! enchaîné-je.
Ce disant, je caresse le bouton rouge du bout du doigt (j’ai l’habitude).
— Mourir sans confession, voilà qui est tristounet. Alors, vraiment, on se quitte en se faisant la gueule ?
— Dire quoi ? demande Savakoussikoussa.
— Un petit curieux de mon espèce est avide d’un tas de détails. Par exemple, où sommes-nous ?
— En Libye !
— Le pays des mirages !
Il hausse les épaules. Son regard ne quitte pas le déclencheur. Le moindre de mes gestes laboure ses tripes comme des griffes.
— Bien entendu, c’est vous qui avez mijoté votre enlèvement, pas vrai, Magloire ?
— En effet. Je ne me suis jamais avoué vaincu et, dans le calme de ma retraite vaudoise, j’ai poursuivi la lutte.