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— J’espère qu’ils en auront damé assez long ? fais-je.

— Soyez sans crainte : tout a été prévu ! rassure le président. Ah, comme notre grand poète Boû-Rimé avait raison quand il disait qu’on n’emporte pas le Kuwa à la plante de ses pieds.

Anabelle a inversé le pas de vis des hélices, comme l’on fait avec les tire-bouchons-surprises dans les fabriques de farces z’et attrapes. Notre Super-Consternation se cabre, piaffe, gronde, rote, expectore de nouvelles bordées d’écrous, puis finit par s’arrêter. Mais longtemps encore il est secoué de spasmes. Il a des soubresauts, des auto-allumageries capricieuses, des bouffées d’ardeur, des violences internes, des rébellions mécaniques. Il grelotte comme un grand corps fiévreux. Enfin la masse de métal entre dans les ultimes frémissements de l’agonie et s’abîme à la pétrification après un dernier pet langoureux.

— Well ! Well ! Well ! bâille Stockburne en s’étirant.

C’est pas qu’il ait de la conversation, mais il le dit bien.

Anabelle allume une nouvelle tige.

— Mes compliments pour la performance ! lui lancé-je, je n’avais encore jamais assisté à un tel numéro de basse voltige.

Elle hausse une épaule.

— Pff, du velours. Il m’est arrivé de faire mieux.

— Arrangez-vous pour que ça soit télévisé dans ce cas-là, je suis sûr que ça plairait davantage que la Piste aux Étoiles

Un qui se tient plus, c’est le président Savakoussikoussa.

— Ouvrez ! Ouvrez vite ! qu’il bagdouille ! J’ai hâte ! Oh, comme j’ai bien hâte ! Ainsi te revoici, terre de mes aïeux et nid de mes amours ! Voici ta sylve séculaire ! Ta faune ! La flore que tu m’avais jetée ! Tes indigènes qui ont l’air d’être plus indigènes qu’ailleurs ! Tes ruisseaux heureusement taris ! Voici ta forêt vierge, et tes filles qui ne le sont plus ! Voici tes fruits, tes feuilles et tes branches, et puis voici mon cœur qui ne bat que pour toi !

Pendant ce déclamage, Stockburne a ouvert la porte. Un air embrasé se précipite dans le zinc. Des bruits ! Fantastiques ! Nombreux ! Aigus ! Cris d’oiseaux ! Cris de singes ! Une douzaine d’autochtones se sont groupés devant l’avion. Ils battent des mains en scandant :

« Bien l’bonjou à vous ! »

Le président s’avance, les bras tendus.

— Je te salue, ô terre hospitalière ! il s’écrie. Et je baise ton sol béni !

Aussitôt dit, aussitôt fait !

Cette cruche, emportée par sa frénésie, ne s’est pas gaffée qu’il n’y avait pas d’escalier. Hou you youïe, ma douleur ! Il se prend un billet d’orchestre, le président-général. Plaoff ! Les bras en croix sur le sol durci. Ne bouge plus d’un poiluche ! Raide comme bois ! En pleine bouille, il l’a morflée, la terre bénie de son patelin ! Pas si tellement hospitalière !

Je me laisse pendre hors de la carlingue et je saute près de notre lyrique-man. Le retourne !

Croyez-moi ou allez vous faire explorer le rectum avec une longue-vue vaselinée, mais y a sa photo sur la terre jaune, à Savakoussikoussa. Un truc dans le genre du Saint-Suaire de Torino ! Bon suaire, m’sieur-dames, bon suaire ! Il est frappé en creux dans le sol kuwien. Il s’est embouti, cet abruti ! Lui reste plus de reliefs, pratiquement ! Pas plus en tout cas que sur les pièces de mornifle comportant son effigie. Son nez ? Une tomate laminée. Ses lèvres ? L’agrandissement d’un tampon des P. et T. Huit dents, blanches comme sur la publicité à Colgate, gisent au milieu du portrait.

— Il est mort ? demande calmement Anabelle qui vient de me rejoindre à l’aide d’une échelle de corde développée par Stockburne.

Je tâte la poitrine du président.

— Pas encore, gugus continue de se démener.

— Con à ce point, c’est presque du mysticisme, dit-elle. Mettre sur pied un cirque pareil pour se casser la gueule en arrivant, voilà qui me donnerait envie d’aller jouer les Pénélope chez un vieux beau de province.

Le Ricain qui nous a rejoints hoche la tête en chantonnant son « Well, well, well, well ».

Sans ménagement, il palpe la nuque de Savakoussikoussa.

— No fracture ! annonce-t-il.

Les Noirs, d’abord interdits par cette arrivée fracassante, s’approchent du blessé.

Trois femmes et neuf jules. Les gonzesses n’ont pas d’âge. Leurs seins flasques pendent sur leur ventre comme des oreilles d’épagneul. Y en a même une qui les a noués pour les empêcher de traîner à terre. Ce sont des négresses à plateau auxquelles la direction de chez Lipp assurerait un pont d’or. Quand elles causent, ça fait comme quand on marche dans un salon avec des souliers de ski. Celle qu’a les nichemards noués dit quelque chose qui paraît remporter l’adhésion des autres. Un grand diable met ses mains en porte-voix devant sa bouche et lance un appel évoquant à s’y méprendre un solo de corne d’aurochs. Il le réitère par trois fois. Puis il nous dit dans un français fortement marqué par l’accent kuwien :

— Socier li vini !

Fectivement, une liane tombe d’un maître-fromager et l’on voit couler de l’arbre un petit être horrible, contrefait et albinos, affligé d’une énorme gibbosité et marchant avec les pieds en dedans.

Le héleur lui raconte ce qui vient de se passer. L’autre opine et, parant au plus pressé, se met à compisser la figure du président. Puis il court vers la forêt et cueille une branche d’arbuste garnie de petits fruits noirs qui ressemblent à des cassis. Il presse le jus des baies entre les lèvres éclatées de Savakoussikoussa. Ensuite, il dénude la branche, trempe les feuilles dans le lait d’une noix de coco du jour et les applique sur la frime dévastée du leader.

— Qu’est-ce que c’est que cette plante ? demandé-je au grand Noir.

— De la pâ-nassé, m’sieur. Ça guéhit tout, mieux que l’aspihine. Quand Tabobo-Oradada, not’ socier, soigne avec, si tu meus pas tu guéhis. Le seul inconvénient, c’est que c’ti plante a des effets hallucinogènes, comme on dit dans Lui, la evue de l’homme élégant. Ti ti cois un noiseau ou quéque chose comme ça, c’est higolo tout plein.

Garçon affable, vous en conviendrez, que ce Noir, le contremaître de la petite tribu passée à la cause (et sans doute à la solde) du président Savakoussikoussa.

Il demande à ses compagnons de confectionner un brancard, ce qui est fait en deux coups de machette et de cuillère à pot, après quoi nous formons un étrange cortège pour gagner le campement. Notre arrivée ressemble à un enterrement. Le sorcier marche en tête, en psalmodiant des paroles cabalistiques. Ensuite vient le blessé et ses porteurs, puis nous trois autres Blancs, et enfin le reste des naturels (à quoi bon les chasser, puisqu’ils reviennent au galop ?) Nous atteignons une petite clairière plantée d’arbres géants. Entendez par là qu’on a dégagé les lianes, ronces, et autres plantes plus ou moins parasites d’entre les troncs sur une certaine superficie. Je remarque alors des échelles rudimentaires au pied de chaque fromager. Ayant levé les yeux, j’aperçois des constructions fixées dans les épais branchages, pareilles à ces adorables maisonnettes qu’on place dans les parcs helvétiques à l’intention des écureuils. Sur l’un des fûts flotte le drapeau du Kuwa savakoussikoussien. C’est, nous explique Touduku (il n’arrive pas à prononcer les « r »), le contemaîte, le palais présidentiel. Un jour, lorsque le général aura reconquis le pays, on viendra en pèlerinage à cet endroit du Grosso-Modo (qui a nom Kolombé-les-Deux-Cases) pour y célébrer le retour de l’exilé.