Je lui fais, d’un geste léger, signe de se taire.
— Pouce, laisse-moi ranger tes gentilles révélations par paquets de six dans les tiroirs de ma gamberge, chérie. Ça fait beaucoup a la fois.
Car y a de l’effervescence sous ma coiffe, mes mignonnes. Une vraie tornade. Diablesse de Mélodie ! En voilà une qui vaut son pesant de matière grise. Dites, ça vous vexerait si je vous disais n’avoir encore jamais rencontré de filles de son envergure ? Bien vrai, vous me feriez pas la gueule, jalouses comme je vous sais ? Chipies grinçantes ! Goulues insatiables ! Trémousseuses de popotoche ! Enfourcheuses de malabars ! Escaladeuses de julots qui considérez toujours mon slip comme la face nord de l’Everest. Je dis pas ainsi pour vous asticoter, vous savez, mes colombes. Je tiens trop à votre estime et je n’aime pas piéger le fauve pour avoir l’ivresse. Mais si on se sortait pas la vérité, temps z’à autre, on finirait par plus oser se contempler. On se désestimerait progressivement. Et puis quoi, merde, je suis coulant avec vous, non ? Je parle pas de blenno, mais de tolérance. Quand je vous vois radiner, yeux cernés, jambes molles, avec de la paille dans les tifs et des traces de gazon sur votre jupe, dans la région du valsif, je vous impertine pas de questions fâcheuses. Je chique pas les méchants tourmenteurs. Je me dis simplement en in petto moderne : « Tiens, mam’zelle Nitouche revient du ramonage express. Le petit Chou est allée se faire éblouir l’intersection. » Jamais de blêche ! Aucun suif sordide. Je pars du principe que votre région boisée vous appartient en toute propriété, quand bien même vous m’en laissez parfois la jouissance. Je suis ni le garde-chasse ni le garde-chiourme de vos eaux et forêts ! Chacun-chacune take son fade où il peut ! Alors, mécolle, quand je décrète chapeau bas devant Anabelle, c’est que je pense en avoir le droit.
Que d’aventures ! Et tout cela si vite… La Suisse, Venise, le palais pourri d’Alcalivolati. Sa maîtresse violage. Les meurtres… La piste renouée au bureau de poste… L’avion. Rome ! L’hôtel ! La malle ! La jeune Noire inconsciente ! La pseudo Pulchérie… Ma filoche en taxi.
— Qui a décidé de m’utiliser ?
— Moi, bien sûr ! Après sa fuite du palais, Savakoussikoussa m’a téléphoné pour me prévenir de ce qui se passait. Je lui ai dit de se tenir sur ses gardes et de s’assurer de votre personne si par hasard vous retrouviez sa piste…
Mon appareil de projection continue… Le canot automobile, l’hélico avec le pauvre Stockburne. La Libye.
— Pourquoi la Libye ? rêvassé-je.
— Nous sommes entrés en contact avec le nouveau régime. Il nous fallait une plate-forme en Afrique. Des alliés.
— Auxquels tu as promis la réserve de brindzinc, pas vrai ?
Ses yeux s’arrondissent. Elle prend le parti de rire à travers un écran de fumée bleue.
— On ne peut rien te cacher.
— Dis-moi, chère intrigante, tu comptes sérieusement qu’à nous deux, nous renverserons l’actuel gouvernement kuwien et mettrons la main sur ses richesses ?
— J’attends des renforts.
— Un corps d’armée ?
— Quelques hommes déterminés, ce sera suffisant. J’ai mon plan.
— Vas-y, je t’écoute !
— Plus tard ! Ne t’inquiète pas, c’est du solide.
Elle souffle un coup sec dans son fume-pipe et le mégot va voltiger sur des fourrures. Je l’éteins d’un coup de talon, comme on écrase un serpent.
— Vraiment, tu ne veux pas m’expliquer ?
— Non ! Je t’ai déjà appris pas mal de choses et c’est suffisant pour l’instant.
Crâne d’acier ! Je la sens braquée.
— Je peux te faire une objection ?
— Et comment ! Venant de toi elle me passionnera.
— Admettons qu’on renverse le gouvernement.
— Nous le renverserons, promet Anabelle.
— Je suppose que, selon la tradition, le colonel qui est à sa tête n’aura rien de plus pressé, se voyant fichu, que de prendre le large en emportant la caisse, c’est-à-dire les cailloux !
Mélodie tète son fume-cibiche à vide, ce qui produit un étrange gazouillis.
— J’y compte bien ! fait-elle. Il est plus facile d’ouvrir une valise qu’une chambre forte.
RICHEPAT QUATRE
Vous direz ce que je voudrai, mais un qu’est pas vergif, c’est le gars Magloire.
Fouler le sol de son pays avec les dents, comme dirait ce cher Béru, s’il n’était à cinq ou six mille (j’ai oublié de compter mes pas) kilomètres de là, voilà qui est triste, non ?
On se languit de sa patrie pendant des années, et au moment de la retrouver : plouf, le valdingue ! Le méchant piqué dans la piscine vide !
Notez qu’il y a eu plus triste dans l’histoire. Je vous prends l’Aiglon, for exemple. En v’là un qu’a pas été beurré par la fée Marjolaine. Déjà fils de Poléon Premier, c’était pas du gâteau. Ensuite, son father qu’abdique et va cultiver le chou-fleur à Saint Thélène. Et lui, le pauv’ biquet, paumé en pleine cour d’Autriche, parmi des mecs hostiles qui le snobent. Il devient poitringue pire que Marguerite Gautier et glaviote ses éponges sur les tapis de Jeunebrune (Austria). Tant et si fort qu’il en clamse ! Là-dessus, volatil pas que M. Edmond Rostand commet une pièce en alexandrins sur ce bon petit tubard. Toutes les guignes, je vous dis ! Mais le plus bathouze, c’est le retour de sa dépouille ! Hitler nous l’offre. Merci, monsieur Mégalo, ça c’est du man ! Le troisième rèche faisait le ménage, et l’Adolf, fronçant la moustache aboie : « Qu’est-ce c’est qu’ ces cendres ? » — « Celles du roi de Rome, mon führer ! » — « Was ! Renvoyez-moi ça à ces foutus françouzes ! » Bon : retour des cendres à fiston ! Après le retour triomphal de celles à papa, ça pouvait être chouette, fournir un bon remake, hein ? On pouvait espérer une petite pothéose d’occupation. Le père Pétain et ses étoiles bien fourbies, son bâton de guimauve à la main, en train de chialer des larmes tricolores sur le cercueil. Que tchi ! « Cadeau empoisonné ! » il exclame, l’aïeul. « Collez-le sur l’étagère du dessus, aux seins valides, et qu’on n’en cause plus, sinon Rostand fils va ajouter un codicille à la pièce de son père ! »
Conclusion, Napoléon II, c’est de Brinon qu’est allé lui accueillir les osselets. Et puis qui s’est taillé sans demander… ses restes. Excepté M. Octave Aubry, il aura emmerdé tout le monde, ce gamin, tant mort que vivant ! La pétoche, quoi, faut oser le dire.
M’est avis que Savakoussikoussa suit la même filière nauséabonde.
Ce lendemain de la veille, on est à son chevet, Anabelle et moi, à l’écouter débloquer.
Il profère des trucs sans queue ni tête, il chante, parle de ses aïeux les Suisses. Guillaume Tell, le roi de la fléchette ! En reconnaissance il le nommera maréchal du Kuwa… Par moments il cesse de causer pour imiter le rire de l’hyène. Navrant !
— Pas encore apte à présider un conseil des ministres, n’est-ce pas ? dis-je à ma compagne.
— Il n’importe, murmure l’étonnante créature, grâce aux photos qui furent prises en Libye et qui seront publiées de semaine en semaine, ses adversaires le croiront en pleine forme.
À cet instant, notre ami Touduku surgit dans la chambre présidentielle, haletant.
— Midame, Missieu, y a un télégamme pou vous ! annonce l’aimable garçon.
— Un télégramme ! m’étonné-je.
Le contremaître fait un signe, et un grand type osseux pénètre dans la pièce, un tam-tam arrimé sur le baquet.