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— C’est moi ! bredouille Anabelle, excessivement troublée par le spectacle à ressort qui lui est ainsi proposé.

Le Noir affirme, en réprimant Coquette qui lui tambourine la poitrine au point de lui presque fêler des côtes :

— Qui c’est ça, moi ?

— La patronne !

— La nuit y en a pas de patonne ! Faut die le mot de passe où tu passes pas !

— Et c’est quoi, le mot de passe ? demandé-je négligemment.

— C’est même chose le nom de not’ pésident, m’sieur. Je t’ demande « Comment ça va ! », tu ’éponds « Couci-couça » et ti peux allé-vini !

— Alors demande, si tu veux qu’on te réponde, hé, pomme à l’huile !

— Comment ça va ? obéit la sentinelle.

— Couci-couça, rétorqué-je.

Son visage s’illumine.

— Comme ça y a bon, approuve le vigilant. Ti vas, ti viens, t’es chez toi !

Et il retourne dans sa zone d’ombre où l’attend son excavation. Anabelle le suit d’un regard de locomotive au rebut regardant passer un troupeau de vaches.

— Rêveuse ? j’ironise.

— Avoue qu’il y a de quoi !

— Pff, l’amour, avec ce gars-là, c’est de la mutilation.

Nous approchons de l’avion. Dans la nuit, il paraît plus délabré, plus pesant que jamais. J’ai vu un jour un aigle empaillé chez un brocanteur. Il était éplumé, mité, véreux, brisé. Le zinc présidentiel lui ressemble. On sent qu’il est atteint par la limite d’âge. Que tous les ateliers de réparation du monde préféreraient se foutre en grève ou se convertir à l’horlogerie plutôt que d’ouvrir son vétuste capot. C’est une loque. Une chose passée, encombrante, irrécupérable.

— Jamais tu parviendras à arracher cette saloperie ! prophétisé-je.

— Ne sois pas pessimiste, sacrebleu ! s’emporte Anabelle. Il en a encore dans le ventre, ce vieux coucou.

Je fais coulisser la porte. Ça pue de plus en plus l’huile et le crin moisis. La délabrade. Le grenier. Ma compagne actionne la lumière. Une morne ampoule à cru dispense une chiche lumière vacillante.

— Eh bien, ma toute belle, cette armée ?

Tournant le dos au poste de pilotage, elle se fraye un passage entre les deux rangées de trucs blancs qu’on a embarqués en Libye (dix nœuds). Un trait de génie m’atteint la région gambergeante.

— Ce sont les parachutes, sans doute ?

— En effet.

Elle tourne une manivelle (encore un tant soit peu chromée) commandant l’ouverture d’une porte.

— Et voici les paras !

La lourde s’écarte. Je me mets à grelotter. Anabelle fait jouer un commutateur. Mon regard plonge dans un immense caisson frigorifique, long d’une dizaine de mètres, dans lequel se trouvent empilés des soldats.

Soldats ?

Voire !

Des mannequins, devrais-je dire. Grandeur humaine, figés dans l’attitude du parachutiste en action.

— Que zaco ? béé-je en éternuant.

— L’armée !

J’avance la main sur l’un des sujets.

— En glace ?

— Oui. L’eau a été teintée avant la congélation. À quelque distance, on peut se méprendre, non ? Surtout de nuit ! Surtout quand ça débarque parmi une population de Noirs où la civilisation reste encore très embryonnaire.

— Pourquoi de la glace ? Pourquoi pas des mannequins en matière plus maniable ?

La miss Mélodie me flagelle l’orgueil d’un regard noir.

— Imbécile ! elle murmure, tu ne comprends donc pas que tout le jeu réside dans la disparition totale des pseudo-paras ? Suivez bien mon plan, grand limier de salon…

Je m’abstiens de la momifier.

— Vas-y, j’ouïs !

— Lorsque nous survolerons la région de Kikadissa, nous lancerons des fusées éclairantes afin de bien attirer l’attention des habitants et de leur montrer nettement le parachutage. Je suppose qu’en voyant choir sur leur ville ces douzaines de corolles blanches lestées d’un homme, la frousse s’emparera d’eux. Il y aura confusion, état d’alerte… Après quoi, l’armée arrivera sur les lieux. Elle trouvera quoi ? Des parachutes vides ! Aucune trace d’hommes. Ceux-ci auront mystérieusement disparu. Ils se seront fondus dans l’agglomération. Il y aura des recherches, une gigantesque perquisition. Résultat, zéro ! Alors les esprits commenceront à paniquer sérieusement. D’autant plus que, simultanément, nous aurons largué des caisses de tracts avertissant la population que le colonel Kelkonoyala est un abject tyran dont les jours sont comptés et que la libération par Savakoussikoussa, le grand, le seul, l’unique, est entamée. Malheur à qui s’opposera à sa reprise de pouvoir ! Tu saisis ?

— Magistral ! Mais suppose qu’un de tes bonshommes de glace tarde à fondre, malgré la chaleur, ou qu’il atterrisse devant des témoins. Ton subterfuge sera éventé, et tout l’effet psychologique que tu en escomptes tombera.

— Non ! J’ai pensé à ça, aussi.

— Vraiment ? Et tu as trouvé la solution ?

— Sais-tu ce qu’est le phénomène de la sublimation, San-Antonio ?

— Passage d’un corps solide à l’état gazeux sans passer par l’état liquide ! récité-je.

— Bravo ! Il y a dans chaque mannequin de glace un produit grâce auquel il sera changé instantanément en vapeur sitôt que la température ambiante s’élèvera de dix degrés. Donc, tous mes vaillants paras se seront anéantis avant de toucher le sol !

Je reste un instant sans voix.

— Et c’est toi qui as échafaudé tout ça ?

— C’est moi, assure tranquillement Anabelle en refermant le frigo.

Une fois sur la piste, elle s’étire.

— Rentre à la Résidence, soupire-t-elle, j’ai envie de musarder un peu, seule, dans la nuit.

Je hoche la tête.

— Je le vois d’ici, ton musardage, ma belle salope. C’est l’heure de ta potion magique et la sentinelle de tout à l’heure t’a ouvert ce que j’appellerais pudiquement « des perspectives ». O.K., bonne bourre, fillette, toi au moins, contrairement à ton rafiot aérien t’es pas en panne des sens[27].

Et je la laisse à ses obscurs tourments. Parce que, voyez-vous, mes braves apôtres, les questions charnelles des autres, vaut mieux pas s’en mêler lorsqu’elles ne vous concernent pas. S’abstenir de critiquer, surtout. Chacun a son brasier secret, son feu occulte, ses problèmes culiers et séculiers, ses avidités, ses lancinances. Chacun a des besoins que ceux qui ne les éprouvent pas réprouvent. Faut s’entretolérer les extravagances, mes gueux. Se pardonner les débridements, les salacités, les queutages pernicieux, les jaculations de toutes natures. S’emmêler ou ne pas s’en mêler, j’attige the couestion !

Si elle a envie de se faire exagérer la porte cochère par un Noirpiot équipé Mac Cormik, Anabelle, ça la regarde, pas vrai ?

Une occasion de s’éblouir l’intime, de s’émietter la nostalgie, ça ne se refuse pas.

* * *

Des rires gras ! Des gloussades ! Des pouffements !

— Arrête ! Arrête ! Oh ! Ah ! Hi ! hi ! glapit le Mastar. Non, c’est trop ! J’en peux plus ! Ça va être ta fête ! Finis, ma vache, qu’autrement sinon je passe à l’action ! Tu me chatouilles ! Tu me papouilles ! Oh yayayaïe ! Maman ! Stop ! Tu me rends dingue ! Je me détraque la rate !

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27

Je sais que çui-là un plombier-zingueur analphabète n’oserait pas le faire.