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— Mais non ! Voyons, sergent ! Vous m’avez mis de corvée de patates !

— Ne faites pas attention, ce sont les plantes hallucinogènes avec lesquelles le sorcier l’a soigné, avertit Anabelle en se dressant. Retournez vous coucher, Bamboula ! Allez, allez !

— Anabelle, blacbouille Savakoussikoussa, je vous donne ma parole que cet homme est mon sergent du 116e Tirailleur Sénégalais !

— Mais oui, je sais, le calme-t-elle. Il n’empêche que vous devez vous soigner, mon vieux !

— On arrive bientôt au Kuwa ?

— Incessamment.

— Vous me préviendrez avant qu’on atterrisse, pour que j’aie le temps de préparer mon allocution familiale.

— Comptez sur moi !

Satisfait, le ci-devant leader retourne dans ses appartements. Manque de bol, cet ahuri, encore sous l’effet de sa commotion, rate la première marche et pique une tronche jusqu’à la plate-forme inférieure. Ça fait plouf ! Il reste inerte, avec une nouvelle semence de dents variées (et avariées) autour de lui !

Je vais pour me précipiter, mais Anabelle me stoppe :

— Pff, laisse tomber ! conseille-t-elle (ce qui est un terme particulièrement opportun), ce vieux clown n’est plus bon qu’à exécuter des pirouettes, dorénavant. Mais pourquoi diantre êtes-vous si matinaux, tous les deux ?

— Nous partons à la recherche des deux autres !

Elle fronce les sourcils.

— Inutile de perdre votre temps, je pense qu’avec l’aide des Noirs, dont certains sont prêts à me suivre, nous pourrons exécuter la mission, cette nuit.

Je viens m’agenouiller devant elle, sur la peau de lion-tigre.

– Écoute, ma gosse, ta mission, je m’en vaseline le coccyx ; si je veux retrouver les parachutés manquants, c’est par simple souci d’humanité. Seulement tu ne dois plus très bien savoir à quoi correspond ce terme !

Elle hausse les épaules.

— Oh, ça va ! saint Vincent de Paul ! Va chercher tes brebis égarées, mais tâchez d’être de retour dans l’après-midi, sinon je partirai seule avec les bougnoules.

— Tu les as fanatisés, cette nuit ? ricané-je.

— Je dois admettre que mon service d’évangélisation a bien fonctionné. En tout cas j’en connais déjà deux qui raffolent de la blancheur Persil.

Bérurier éclate d’un rire aussi épais que le rapport Warren.

— J’ai idée qu’on a beaucoup agi pour le rapprochement des races, Maâme et moi, dit-il.

Comme sa vioque radine, portant des tasses fumantes, il ajoute, en la désignant d’un pouce galant :

— En tout cas, on peut pas me reprocher de faire la fine bouche !

* * *

— C’est encore loin, Nabos ?

— Une centaine de lancers de flèches et demie, me renseigne Troudrukru.

Le soleil est déjà haut, comme on dit dans les vrais romans d’aventures. Et s’il n’y avait pas la fraîcheur de la sylve, comme diraient toujours mes faucons frères, on ne supporterait pas son Rasurel.

Béru suit, loin du groupe, car le pauvre gros marche la tête levée, s’obstinant à regarder dans les arbres pour voir si sa femme s’y trouve. Parfois, comme dans un poème symboliste, cet éléphant poudreux, voyageur lent et rude, se pète la frime contre un tronc perfidement dressé devant lui par une nature qui n’en rate pas une !

— Hou, hou ! Berthy ! appelle-t-il, de temps à autre.

À la fin, Troudrukru a un geste d’agacement.

— Dites à ce gros lard de fermer sa gueule, m’sieur ! Il va signaler notre approche aux Pygmées. Vous ne connaissez pas ces guignols ! Ils se planquent dans les arbres et y sont aussi invisibles que des caméléons. On reçoit une flèche dans le cœur sans avoir compris d’où elle venait.

— D’accord, je vais signaler la chose à mon camarade ; mais le danger ne t’autorise pas à le traiter de gros lard. Il semblerait que tu t’oublies à une allure supersonique, Trouduk. Sache que la politesse est la forme la plus aiguë de la civilisation.

— D’acco, pat’on, y en a moi me souveni ! dit-il d’un air penaud. Je ti pésente mes excuses.

Je me laisse glisser en fin de colonne, ce qui ne me prend pas beaucoup de temps vu que nous ne sommes que quatre.

— Mets-y une sourdine, Gros ! conseillé-je. Si on se pointe en se faisant précéder par la fanfare de Champignol, tu parles que les Pygmées prendront leurs dispositions.

— Faut pourtant que je me misse en conquête de ma femme, non !

— T’occupe pas, elle saura trouver le camp !

— Mouais ? Et comment, en demandant son chemin à un nageant ? Salaud d’Alfred ! Dire qu’ c’t à cause de lui que tout ça s’est produit. J’sus bien content qu’il se soye cassé la figure ; ce monstre ! J’ai pas de méchanceté contre lui, note bien. Mais mon rêve ce serait qu’il puisse plus triquer, jamais ! Que sa bitougne fasse la limace.

Il a un rire grinçant.

— Je le voudrais pour jusqu’au restant de ses jours avec une zézette en caramel. Mou ! Voilà ! Que même à l’électricité, on pourrait pas la lui ravoir !

Sur ces fortes paroles d’où est absente la plus élémentaire charité chrétienne, le Gros reprend une marche plus naturelle qui le guérit du torticolis.

Nous parcourons une cent cinquante-troisaine de mètres, quand notre pisteur pousse un cri assez guttural pour qu’un militaire allemand le prenne en considération. Il est planté à un arbre de façon surprenante. Figurez-vous (ou ne vous figurez pas, moi je m’en bats l’œil) qu’une flèche a traversé son abondante chevelure crêpée avant de se ficher dans le tronc d’un lesieurier[36] géant. Sous l’impact, le pisteur a dépisté. Il est incliné de côté, la tête sur son épaule, en train de songer que M. Yul Brynner a bien de la chance dans son genre.

Nous n’avons pas le temps de lui porter secours. Une grêle de flèches, une pluie, un orage de flèches s’abattent autour de nous.

Quelle adresse, ces Pygmées ! Pour avoir leur adresse, vous êtes prié de vous reporter à l’annuaire du Grosso-Modo.

Comment peut-on tirer sur nous tant de projectiles sans nous causer une égratignure ? Dites, vous le savez, vous ?

Des dards, on en a partout ! Partout sauf, heureusement, dans la viande ! Les semelles de nos pataugas sont traversées. Nos falzifs, notre col de limouille.

C’est de la prouesse, hein ? J’ai vu bien des Indiens dans les réserves de la Métro-Goldwinge : des Commanches, des Commaks ! Des comme ça. Des qui se coiffaient à l’huile de foie de morue. Des qu’avaient l’accent irlandais ! Des en rouge et des en couleur. Des qu’on leur voyait encore sur les biscotos les tatouages de la Navy. Des qui se mettaient un os dans le nez, d’autres une plume dans le Ku-Klux-Klan. Des qui chantaient la tyrolienne en Chactas. Des qui se mettaient à l’apache (des Auvergnats d’origine). Des qui traitaient leurs squaws comme des Cheyennes. Des qui ne valaient pas un Sioux. Des qui montaient aussi bien à cheval que le général de Gaulle. Des qui poussaient des cris d’Hindou. Des qui n’avaient pas l’air d’en être. Des qu’en étaient comme des reines incas. Des Incas de malheur. Des qui gardaient leur réserve. Des qui montaient à cheval et à bison. Des qui tiraient du fusil, des qui tiraient des salves, des qui tiraient un coup. Des qui accomplissaient des prouesses à l’arc (et à Ivry, vive Henry quatre !). Et c’est à ces deux-là précisément que je voulais arriver. Je les ai vus, de mes yeux vus, flécher l’armée yankee sur des chevaux emballés (dans du papier de soie). Planter des flèches dans des chapeaux, perforer des oreilles, fendre d’autres flèches, et pourtant c’est duraille d’atteindre une flèche qui vous arrive dessus, avant qu’elle ne vous atteigne ! Mais tous ces Indiens professionnels que je cause, c’étaient des plaisantins en comparaison des performances pygméennes.

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