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— Vous êtes parvenu à vous organiser ? coupé-je, vu que je n’ai jamais été très chaud pour les matinées éducatives.

— Je me nourrissais de fruits et d’œufs de toucans. Et puis je suis tombé malade. La fièvre des marais, c’était plus au sud… J’ai perdu conscience. Lorsque je suis revenu à moi, j’étais au milieu d’indigènes horribles, isolés dans la région maudite du Tétoudobé. Un village de lépreux. Ils m’ont soigné et, ô ironie ! m’ont guéri de ma maladie, mais en me faisant contracter la leur.

Un moche frisson me parcourt tout entier. Un lépreux ! Voilà l’explication de ses marbrures, de sa bouche sans lèvres, de son oreille absente… Si je ne me trouvais pas à califourchon sur une branche, je ferais un pas en arrière.

— Notez, reprend l’ex-Tarzan, que c’est grâce à la lèpre que je suis vivant.

— Beû, vraiment ?

— Sans elle, les Pygmées anthropophages m’auraient mangé depuis longtemps. Seulement ils ont le respect des lépreux. Nous avons établi une espèce de statu quo, eux et moi. Je vis uniquement dans les arbres, moyennant quoi, ils me passent de la nourriture.

— Votre existence doit être un calvaire, mon pauvre vieux, soupiré-je. Enfin, maintenant on va vous sortir de l’auberge. Vous viendrez avec nous et nous vous déposerons dans un hôpital où l’on vous soignera énergiquement.

L’ermite secoue ses lourdes boucles cuivrées.

— Merci de votre offre. Elle me touche beaucoup, mais je ne veux pas l’accepter. Je crèverais d’ennui dans un hôpital. Ici, je mène une vie qui, maintenant, me plaît. Je suis follement libre. J’appartiens à la forêt. J’en connais les bêtes, les plantes, les dangers et les joies. Quelques poèmes me suffisent pour demeurer un homme. Si j’étais devenu une vedette de cinéma, je serais aujourd’hui beaucoup plus seul que je ne le suis parmi cette nature envoûtante. À présent je bénis ce producteur inconscient.

Ce beau discours commence à tartiner la patience de Marie-Marie qui me dit :

— On ferait pas mieux de chercher m’n onc’ au lieu de bavasser ?

La vérité s’exprime, dit-on, par la bouche des enfants.

Rarement, mais ça arrive.

Revenu aux terribles préoccupations de l’heure, je coule un regard anxieux sous nous. Les éléphants continuent leur branle-bas (extrêmement bas) de combat. Ils laissent la bride sur le cou à leur furiosité[47]. Doivent être en manque de tronchage, ces braves mastodontes. Vous parlez d’une équipe de casse-baraque.

Ne subsiste plus rien du campement pygmée. Les petits bougres qui ne se sont pas fait gauler ont mis les adjas, de branche en branche, vers des contrées moins pachydermiques.

— Béééru ! hélé-je. Ho ho ooo !

— C’est votre compagnon que vous appelez ? demande le camarade lépreux, en brisant délicatement le lobe de son oreille restante, laquelle est mûre et bonne pour la casse.

— En effet, l’auriez-vous aperçu ?

— Il a pu éviter la charge du troupeau, nous rassure Tarzan. Pendant que je vous remontais, je l’ai vu se saisir d’une énorme liane, tout là-bas. Venez, nous allons aux nouvelles.

— Il est gentil, c’t hippie, murmure Marie-Marie, mais ça m’ennuierait de lui faire la bise en partant.

Mine de rien, il s’est drôlement organisé, l’ermite de la forêt, espérez un peu. Dans le fond, un mec qui a du temps et que personne m’emmaverde, accomplit des ouvrages d’art gigantesques. Si je vous disais que notre sauveteur a fabriqué tout un réseau routier aérien dans les arbres, vous me croiriez ? Non ? Bon, je m’en tamponne, mais je le regrette pour vous car l’incrédulité ne paie pas. Le sceptique se met volontairement en quarantaine. Enfin, c’est votre blaud, hein ? Pour les croyants, je vais expliquer en quoi consiste le turbin du barbu. Ce preux lépreux a construit des kilomètres de passerelles avec des lianes et des branches. Et il les a tendues d’un arbre à l’autre. Grâce à ces passerelles qui forment une toile d’araignée, un peu comme le tracé du métro, on peut se déplacer commodément dans toutes les directions sur plusieurs kilomètres de distance. Il est même possible de courir si l’on a le pied malin, voire marin. Pour se repérer plus aisément, Tarzan a placé des panneaux indicateurs aux intersections et il a donné des noms à ses tronçons de passerelle. Il y a les lignes Invalides-Porte de Vanves, Porte-Dauphine-Nation, Mairie d’Yvry-Pré Saint-Gervais, etc.

— Prenons par Place Balard-Charenton Écoles, changeons à Concorde pour tourner en direction de Château de Vincennes, conseille le lépreux, selon mon estimation, votre camarade doit se trouver quelque part entre Tuileries et Palais-Royal.

Il s’élance d’une allure souple sur la frêle voie suspendue qui se balance sous nos pieds.

— C’t au poil, apprécie Marie-Marie ! On se croirait à la Foire du Trône !

Moi, je continue de lancer des : « Béééruuu ! » à tous les échos. Le silence du Gravos est inquiétant. Ma voix porte loin. La sienne plus encore (nous en savons quelque chose !). Il devrait m’accuser réception de mes hélages, Alexandrovitch-Bénito ! Mais non : rien… J’entends mourir mes chaudes sonorités dans la formidable cathédrale verte qu’est la forêt[48].

— Il est là ! crie soudain Tarzan.

Nous nous pressons, au risque de basculer par-dessus la mince main courante.

Cruel spectacle !

Oui, il est là, Bérurier, c’est juste.

Un peu là !

Un tout petit peu… Encore…

Il semble avoir grandi. Il doit avoir maigri !

Je le distingue mal à travers les monstrueux anneaux du python qui est en train de se le tréfiler, mais j’ai vu des poireaux qui avaient meilleure mine que mon pote.

D’un geste prompt je prends mon couteau suisse à sept lames-seize usages. Tarzan m’arrête d’un signe.

— Inutile, la lame ne pénétrerait pas : c’est un python rocheux ! Laissez-moi faire, je le connais.

Il extrait une sorte de petit fifre de la poche de son pagne et se le colle dans le nez. Il en tire des notes aiguës, des sons cristallins dont l’effet est proprement — et même salement — magique, les gars.

« La Paimpolaise » jouée au trou de nez, vu que l’exécutant n’a plus de lèvres. Faut le faire. Pas une fausse note ! Pas une vraie non plus ! C’est un brin cacophonesque, mais le python n’a pas la mélomanie tatillonne car le voici qui se déroule lentement. Tudieu ! Je ne l’imaginais pas aussi long. Une vraie chaîne d’arpenteur.

Est-ce un effet d’optique ? Je vous affirme que Béru paraît maigrichon. Les bras collés au corps, le menton levé, le ventre gommé, le derrière raboté, le thorax comprimé, d’une pâleur cadavérique sous son barbouillage noir, sa Majesté, sans ressembler toutefois à Philippe Clay, ne ressemble déjà plus à ce qu’elle était.

— Gros ! appelé-je.

Son regard béant d’un indicible effroi est froid. Je lui donne des petites beignes sur le visage. Sans résultat. Il est visqueux, le Dodu. Quasi à poil, j’omissais de vous le dire. En lui déguisant le baquet en pas de vis, il l’a déloqué entièrement, ce fichu python. Lui reste que ses pataugas, au gars Alexandrin-Benoît. Et encore, ils sont délacés.

— Eh ben, Pépère, remets-toi, tout est O.K. maintenant.

— Attendez, fait le chevelu (il se prénomme Clodion), je sais ce qui ne va pas. Il a les poumons bloqués…

Il prend une liane, mince et longue, l’enroule autour du torse de notre ami et tire, comme on tire sur la corde d’un moteur à deux temps. Béru tousse un petit coup. Tarzan réitère. Le Gros se met alors à tourner sur lui-même. C’est toton Béru ! Il cesse de tousser pour ronfler. Il est reparti.

— Quand on échappe à un python, on a toujours du mal à retrouver son régime habituel, nous dit l’homme des boas.

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47

C’est plus éloquent que le mot fureur, moi je trouve.

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48

Si Victor Hugo avait écrit les San-A., ç’aurait donné des trucs comme ça.