— Il m’a si tellement malaxé la boyasse que j’en ai bédolé sans m’en rendre compte. C’est de l’incident technique dans toute sa beauté, San-A. Comme qui dirait de l’impondérable. Tu presses sur un tube de mayonnaise, la mayonnaise met les voiles. Comme l’a écrit Courvoisier : tout liquide plongé dans un corps gras reçoit sa poussette de base en eau ; j’ai appris à l’école. Ce sidi mis à part, mon tube à thermomètre a trouvé sa rampe de lancement. Fuyez douce image ! L’essuyer c’est l’adopter. Sur le coup, dans l’émotion de cette étrangulation, j’ai pas pris garde. Faut dire que quand un boa contristé te sert de flanelle, t’as pas le réflexe de mignarder tes résidus ; de leur observer la trajectoire…
« Tu t’épanouis du siphon sans t’occuper des bavures. Partez, vous êtes libre ! J’en sais qui s’observent le trop-plein, toujours, pour lui mater l’apparence, s’assurer qu’ils se répandent dans les normes. Des inquiets qui veulent savoir la manière qu’ils alambiquent. Consistance et volume ! Chaque chose a son pedigree, son certificat d’origine. Un truc suce pet et v’là m’sieur colombin qui part pour le labo.
« Ces tourmentés de l’intestin ouvrent une enquête dare-dare pour connaître la cause du pourquoi. Le comment il se fait que c’est moins pointu que d’habitude. Et si c’est normal que le calibrage diffère. Moi, San-A., j’sus un impulsif du dépaquetage. J’y vais hardiment, sans en référer à l’Institut Pasteur ou autre ! Le lâcher en piqué ! Vite fait sur le gaz ! Et sais-tu pourquoi, Mec ? Parce que je fonctionne ! Au premier coup d’œil, tu piges que chez le gars Mézigue, la constipation ? Connais pas ! Y en a, des maigrichons jaunâtres, qui marchent à la césarienne. Tu les vois filer aux chichemanes avec douze bouquins et des forceps. L’air ravagé comme s’ils entraient à l’hosto pour une abolition de la rate ou du gésier. Moi… »
— Toi ! tonné-je. Toi, Béru, tu n’es qu’un goret repoussant ! Tu vas sous toi, toi. Tu n’es qu’un animal sans fondement ! Pas même capable de transmettre un message ! Ainsi je ne saurai jamais ce que le Vieux me disait !
— Mais si, tu le sauras ! proteste l’Abominable.
— Quand ?
— Lorsqu’on rentrera à la Grande Case, Gars ! Pour lors il t’expliquera ce qu’il avait à te causer.
Accablé, je mets mes deux mains frémissantes sur ses deux épaules impavides.
— Béru, balbutié-je, avec comme une amorce de sanglot dans la voix ; Béru, j’ai été trop heureux de te retrouver en vie pour me permettre de t’assassiner vingt minutes plus tard. Et pourtant, pourtant, j’ai envie de te tuer !
Il rigole :
— Ben dis donc, ça te réussit pas, la Frique ! Me buter parce que j’ai chié une malheureuse babillarde ! Sans blague ! Qu’est-ce ça serait, si au lieu de la bafouille au Vieux je t’avais largué en brousse ta bagnole-sport ou vot’ pendule de famille.
Que répondre ? Jamais on ne vit aussi grosse tête héberger cerveau plus minuscule. La tronche de Bérurier est un compotier hébergeant une noisette.
— Mince, venez voir ! crie Marie-Marie qui s’est désintéressée de l’algarade.
— Quoi t’est-ce ? s’alarme le Gros.
Au lieu de répondre directement, la mignarde demande :
— Quelle heure t’as, Santonio ?
— Onze heures vingt ! À cause ?
— Onze heures vingt du soir ?
– Évidemment, aurais-tu perdu la notion du temps, moucheronne ?
— Y a de quoi, les hommes ! M’aginez-vous qu’y fait jour !
— Hein ?
— Et même soleil ! Grand soleil…
Je m’approche d’un hublot. Elle n’a pas menti : on y voit comme en plein jour. Tout étincelle. La nature couleur de safran s’étale sous mes yeux. J’aperçois des arbrisseaux, des touffes de palmier, et puis, très loin, en bordure de champs, des bâtiments blancs au fronton desquels flotte le drapeau kuwien actuel.
Par quel prodige le soleil brille-t-il à presque minuit, au cœur de l’Afrique, chers géographes et amis qui me faites l’honneur de me lire ? Vous ne mouftez pas ? En rade d’explications, les gars ? Pardon ? Vous dites qu’on s’est peut-être posés au pôle Nord, en plein mahomet de mitternacht ? Et mon dargif, c’est du poulaga ? Y a des palmiers au pôle Nord, dites ? On a pu se franchir quelque vingt mille bornes en si peu de temps et avec si peu de tisane ?
Ce que vous êtes truffes quand vous démarrez ! Des mecs comme vous, si je m’écoutais, je les alignerais côte à côte et les peindrais en noir pour les transformer en trous de balles.
Moi, vous me connaissez, mesdemoiselles ? Esprit bien français, donc cartésien jusqu’au rectum.
— Le soleil, à onze heures vingt du soir, à cette latitude, ça n’existe pas plus que les caleçons longs dans la garde écossaise, dis-je.
— S’agit peut-être d’un mirage de nuit ? suggère Marie-Marie.
— On va voir ça de plus près !
Nous abandonnons le poste de pilotage pour gagner la sortie. Les trois frissonneurs noirs nous ont devancés. Trouduc vient de déboulonner la porte car ils ont hâte d’aller se réchauffer la carcasse, les braves amis. De s’étendre dans la fournaise solaire pour récupérer un peu, s’arrêter la grelottance. Ils continuent de jouer « A glagla » sur leur batterie à quenottes. Ils ont le froid aux os, aux tripes, au sang. Avant ce soir, ils ignoraient le phénomène de la congélation. N’étaient pas clients chez Frigidaire. N’avaient jamais dégusté de tranches napolitaines. Ne concevaient pas le patinage artistique. Ne se seraient jamais acheté de skis-neige. Niaient le Canada.
La lourde ayant coulissé, tous trois sautent hors de ce funeste appareil.
Marie-Marie s’apprête à en faire autant lorsqu’il se produit un événement tellement inattendu que vous allez en avoir pour une partie de votre argent, mes amis, et que vous arracherez sournoisement cette page avant de rendre le présent ouvrage à votre libraire sous prétexte qu’il est trop intelligent pour vous.
En m’avançant vers l’ouverture, je pige que la clarté extérieure à laquelle j’ai fait allusion un peu plus haut et à gauche n’a de solaire que son éclat. En fait elle est diffusée par un groupe de solides projecteurs plantés au milieu du bouquet de palmiers contre lesquels nous faillîmes percuter. Ils étaient éteints lors de mon atterrissage, à présent ils crachent comme un sanatorium avant l’invention des antibiotiques.
Mais ceci n’est rien.
Immediately after que les Noirs sont sortis, un tac-tac retentit.
Copieux !
Crââââââ-hâ ! ça fait.
Et nos trois compagnons de couleur s’abattent le nez dans la poussière, ruisselants de sang.
Une mitrailleuse.
— Couche-toi, Marie-Marie !
Elle obéit.
Un léger temps mort, manière de se rajuster la pensarde. Bon, nous avons été repérés. On s’est posés près d’une concentration de troupes kuwiennes. Et moi qui croyais avoir le culte brodé de nouilles ! Quand je vous disais que le nouveau régime était féroce ! À vue : vrrraoum ! Sans sommations ! Pas de quartier, comme la pleine lune ! Les misérables ! Et la convention de la haie, alors ? Le machin de Genève ? Les grands principes humanitaires. Ce qu’ils sont débecquetants, les hommes, à force ! Toujours se plomber ! Se fly-toxer au moindre prétexte ! D’ici, de là ! Au nord, au sud ! Plus au sud qu’au nord pourtant. Pan sur l’Arbi ! Pan sur le youpin (azyme) ! Pan sur le Viet ! Mort aux moujiks et aux caballeros, à Théodorakis, à Dugenou ! La crève pour tous ! Olé ! Qu’on saint-barthélemyse en couronne ! Vive Verdun, pays des dragées ! Hiro Hito chie mal, mon amour ! Les bons massacres que voilà : les marines sont passés par là ! Turlu tu tues et zigouillage ! Charogne-tête l’épaule en sky ! Les chiares biafreux qui dansent ma cabre ! Qu’on leur tranche la tronche, à ces fumiers de vivants ! Les burniches ! Les bras, les jambes ! Qu’on les lamine ! Les mouline à la naissance ! C’est maintenant que la lune me botte en plein, les gars. Maintenant qu’on la sait déserte. Ah ! s’y baguenauder avant le monstre déferlement terrien. Aller y passer une terre de miel avec une souris. Loncher dans ses cratères silencieux ! Avis à la copulation !