Excusez-me. V’là que je vous lâche en pleine pétoire. Que je laisse se détériorer votre curiosité. San-Antonio ? le trapéziste de l’action. La délirade entre deux salves. God salve the couine ! Retenez-moi : je me sens repartir. J’ai le pied qui glisse sur un tas de verbes ; je dérape dans des adjectifs démonstratifs (mes préférés). Y a des prépositions invariables qui me prennent par la main. Au secours, les conjonctions me tentaculent ! Les mots qui m’escaladent ! Me grouillent dessus, pareils à des fourmis rouges ! M’investissent ! J’en prends dans les interstices, les orifesses. Ils me chatouillent. Me papouillent ! J’en peux plus. Les petites lettres du potage qui gonflent, qui gonflent ! L’alphabet. L’alphabête ! L’alphacon ! Point d’exclamation, mon ami, mon frère !… Et points de suspension, si commodes pour exprimer tout ce qu’on ne dit pas ! Il devrait s’appeler point de sous-entendu, çui-là !
Donc mitraillade !
Du tactac au tac !
Et nos trois chers camarades de parachutage, nos trois frileux castagnettistes troués, perforés, jetés pêle-mêle in the mort.
Z’étaient vivants, bougeants, pensants !
Ne sont plus qu’un tas dont le dernier bruit est un glouglou.
— Tu es touchée, Marie-Marie ?
— Non !
— Ne reste pas dans l’ouverture de la porte. Rampe de côté.
Elle obéit. La voici hors de portée. Seulement s’ils se mettent à arroser le fuselage, on dégustera pareil. Une demi-douzaine de questches l’ont déjà percé.
Sans que je lui demande, la gamine se met à revisser prompto la manivelle fermant la porte.
— Mince de réception ! gronde Béru. Tu sais où qu’on est ?
— Pas précisément.
Il me renseigne car il vient de mater par les hublots qui sont à bâbord.
— Dans une caserne, mon pote ! Ou un camp militaire ! Ah, toi, alors, quand tu poses un zinc, on peut dire que t’as le nez creux !
DIVISION TROIS
Que faire ?
Que de fois, seul dans l’ombre, à minuit demeuré, me suis-je lancé à la volée et en pleine poire cette angoissante question.
Que faire ?
Car il y a toujours quelque chose à faire. Dans tous les cas, par tous les temps.
Présentement, nous nous trouvons dans la délicate situation suivante : posés dans un camp de militaires qui nous considèrent, non sans raison, comme des ennemis, nous ne pouvons quitter notre carcasse de zinc sans être abattus impitoyablement (un vrai écrivain préciserait même : comme des chiens). De plus, il est probable que l’on va essayer de nous déloger de cet aéronef mutilé.
Je m’approche d’un trou de balle pour risquer un z’œil out. J’aperçois la troupe kuwienne rangée en ordre de bataille, avec deux mitrailleuses pointées sur la porte de l’avion. Il y a là une bonne centaine de troufions, tous plus noirs les uns que les autres. Ils ont fière allure dans leur tenue bleu horizon (provenant des surplus de la 14–18), agrémentée de parements rouges, d’un ceinturon en velours vert et d’épaulettes jaunes, dont les franges n’auraient pas de prix chez certains tapissiers de ma connaissance.
Un général s’est déplacé lui-même personnellement pour diriger l’opération. Il parlemente, assis sur un pliant, en se grattant la plante des radis (car tous ces messieurs sont nu-pieds).
Son état-major l’évente, dans le style « Visite de M. Deval au Dey en 1827 ». La discussion est frénétique. Un colonel à chevrons doit dire quelque chose qui n’est pas du goût du général, car ce dernier lui flanque un coup de tatane dans les grelots. Et puis les officiers se mettent d’accord pour trouver que le général a raison, et bientôt, un sergent-chef, reconnaissable à l’anneau qu’il a dans le nez, allume une torche et, nanti d’un bouclier de C.R.S. sur quoi est peint le portrait, façon poster, de Louise Mariano, s’avance courageusement vers l’avion.
— Il va nous faire cramer, la tante ! déclare Bérurier auquel rien n’échappe.
— Comme qui dirait, admets-je.
— Faudrait p’t-être fiche l’ camp, non ? émet Marie-Marie au lieu de rester là à s’écarquiller l’œil. Vu de loin, j’sus sûre que l’incendie nous paraîtrait plus beau.
— Quelle pomme, celle-là, fulmine l’Enflure. T’as pas vu c’ qu’arrive, quand on met le pif dehors, dis, nénuphar !
— Nénuphar toi-même, m’n onc ! J’te cause pas de cette porte-ci, mais de la soute à bagages. Ces gugus sont tous rangés du côté de l’ouverture. Si on pourrait sortir en dessous, on filerait à plat ventre dans l’autre direction.
— Bien pensé, dis-je, seulement nous sommes posés sur le ventre.
— On creusera un petit passage dans le sable, Santonio, juste pour se dégager !
– Ça se défend, abdique le. Gravos.
— Pas mal et toi, Tonton ? ricane Marie-Marie.
Nonobstant la précarité de notre situation, Béru s’accorde le temps mort de la minute pédagogique.
— C’est pas parce que t’as une idée valable qu’y faut te gonfler le bol, p’tite peste. Les impertinentes, moi, je les déculotte et j’y tanne les miches jusqu’à ce que la peau leur pèle. Ah, le pauv’ mec qui va toucher ce lot à réclamer un jour, j’voudrais pas être à sa place !
– ’reusement ! glapit la môme, parce que ça me ferait mal de marier un gros cocu qui sent l’étable mal entretenue.
Au lieu de sévir comme ses prérogatives de tuteur l’y autoriseraient, Sa Majesté s’assombrit.
— Cause pas de ta tante en ce moment, Marie-Marie. C’est trop cruel, et j’ai besoin de mon moral. Bon, où qu’elle est cette sourde à bagages ?
— La voici, Gros ! dis-je en découvrant la trappe au beau mitan de la chambre froide.
Je tire sur l’anneau commandant l’ouverture et pousse un cri de détresse. La soute est pleine, comble, bourrée, mes biquettes blanches. Pas moyen de s’enfuir par là ! Un œuf est moins plein puisque lui, du moins, est muni d’une poche d’air.
— Qu’est-ce y ya ? interroge Alexandre-Benoît !
— C’est full, mon pote ! Impossible d’accéder à l’ouverture inférieure.
— T’es sûr qu’on peut pas s’effrayer un passage ?
— Regarde !
Il regarde ! Un gloussement ventral. Pépère tourne vers moi une trogne viceloque.
— T’as vu ce dont contient la sourde à bagages, commissouille de mes jolies caires ?
Et il brandit, vous savez quoi ?
Allez, devinez pour une fois. Ne restez pas toujours en rade, vous finirez par avoir des complexes inguérissables. Comment ? Vous n’osez pas le dire ? Je ne vous intimide pas à ce point, j’espère ! Si on se gêne entre nous, alors, c’est la fin de tout ! Autant se séparer tout de suite. Pardon ? Parlez plus fort, que diable ! Un ! Oui, mon lecteur chéri : t’as gagné… En effet, c’est bel et bien un bazooka que Bérurier me montre d’un air joyce.
Un beau bazooka amerloque, flambant 9 !
Bravo d’avoir deviné du premier coup ! Ça prouve bien qu’il y a une grosse part de paresse dans votre bêtise, les gars ! Quand vous vous désagglutinez les cellotes, la carburation s’opère.
Mais c’est pas tout ! Le bazooka n’est pas seul. Il possède ses roquettes ! Et, à la roquette générale, je vais vous expliquer qu’il y en a une tripotée dans la cale. Chacun est posé sur sa caisse pleine de projectiles, car on a prévu le cas où il fallait les utiliser d’urgence.