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Tandis qu’on s’extasie sur cette découverte, Marie-Marie se pointe à la rescousse.

— Maniez-vous, les hommes, v’là le flambeur qu’est en train de balader sa torche sous la porte. Comme elle est en métal, y a juste le cayouchou du tour qui crame, mais s’il remonte vers l’avant, le moteur encore bibé d’essence prendra feu…

— T’inquiète pas, fleur de misère, on va lui donner pour les vers, promet Béru. Allez, tous derrière moi, les potes !

Il braque sa grosse seringue sur la lourde.

— Gare aux taches ! crie-t-il en actionnant la détente du bazooka.

Vrrrzaoum ! Chplock !

La détonation nous décoquille les trompes. On en a le cervelet qui se décolle. Le voile du palais qui se cloque ! Les sinus qui défrontent ! Les molaires qui s’écaillent. Ce brzoum, madame ! Si vous n’étiez pas sourdingue comme une marmite de fonte, votre soutien-loloches allait se mettre en torche, ma pôvre. Calamitas !

Le corsage éclate sous l’impact et c’est l’avalanche mammaire, ma mère ! Le désastre en chaîne. Nichons sur Nagasaki ! La foule qui prend peur ; s’enfuit à toutes jambes, foulant, puisqu’elle est foule, femmes, curés, enfants, unijambistes et vieillards maniaques. Le show qui peut ! La déroute ! La débandoche entière !

Vive les artilleurs ! Béru a perforé notre zinc comme un chien savant son cerveau de papelard. Plus de porte, plus de cloison sur quatre mètres carrés. Plus de pyromane, non plus, sinon une flaque, deux jambes et une main crispée sur une torche qui achève de se consumer dans la terre sablonneuse.

La roquette n’a pas arrêté là ses ravages ! Elle a foncé droit comme une bugne sur les troupes massées derrière les mitrailleuses. Ça s’éparpille dans le landerneau, croyez-en votre San-A. Messieurs les guerriers cavalent à l’assaut des points cardinaux.

L’attaque de l’avion ? Comme au conclave : tiens, fume !

Le général est resté sur son pliant. Seulement à présent il a sa tronche sur ses genoux, bien sagement, comme s’il l’avait portée chez le dentiste pour se faire bridger le casse-noix.

— Prends-en un aussi, San-A ! conseille le Mahousse ! Et toi, moustique, passe-moi des munitions.

— Tire dans les candélabres ! ordonné-je. À la faveur de l’obscurité, on se débrouillera plus facilement !

Le Formide obéit. Le temps de recharger son tube, il saute de la carlingue et défouraille dans la touffe de palmiers nantis de projecteurs.

Vrrzaoum ! Chplock !

La rime est riche. L’obscurité se fait illico. On entend gueuler dans les environs. Des appels ! Des suppliques ! Des hélements ! Des éléments ! Des bêlements !

Un seul coup de bazooka a suffi pour nous rendre maîtres de la situation.

— On se débine, à présent ? espère Marie-Marie.

— Au contraire, moucheronne : on s’empare du camp ! L’occasion est trop belle. On pourchasse des fuyards, mais on traite avec des rebelles. Si nous parvenons à mener à bien l’opération, c’est le salut quasiment assuré.

* * *

De grands bâtiments blanchâtres sous la lune ! Des faces ensommeillées paraissent aux ouvertures.

— Tout le monde dehors, les mains sur la tête ! commandé-je.

Je braque mon bazooka en direction d’une série de hangars aux toits de roseaux qui abritent de vétustes véhicules récupérés à la casse de pays sous-développés. Un cou de vape ! Ça part en breloques ! La grosse gerbe ! Étincelles et boulons ! Et puis v’là que ça prend feu ! Des flammes d’au moins dix mètres de haut ! Féerique, mes lapins ! De quoi aller arroser ça chez la mère Brasier !

La terreur prend dans la caserne.

Ce coup de semonce d’artifice a réveillé les endormis, convaincu les hésitants, réduit les résistants, soumis tout le monde.

Des hommes sortent en courant, les mains jointes au-dessus de la tronche. Ils supplient qu’on les épargne, demandent pardon pour tout ce qu’ils ont fait, pour tout ce qu’ils n’ont pas fait, pour tout ce qu’ils feront ! La plupart sont à poil. D’autres portent un collier de coquillages en guise de pyjama. Y a que les officiers qui sont vêtus de leur veste d’uniforme afin de ne point se séparer de leurs galons en dormant. Ils sont là des centaines, et d’autres centaines radinent de bâtiments plus éloignés. C’est vertigineux ! Je me rends compte de ce qu’ont dû éprouver les chleus de 40 quand à trois ou quatre ils faisaient prisonnier un régiment. Ça fout le vertige, une victoire trop complète, trop facile. Elle perd toute signification.

Alors ça court.

Ils s’agglomèrent serrés, bien épais, sur des rangs et des rangs qui s’allongent à une vitesse abasourdissante. Une multitude, vous savez en quoi ça consiste ? Vous jetez un coup d’œil. Impressionnant, hé ? On dirait du caviar ! Un monceau de caviar. Y en a des grands, des gros, des musclés, des maigrelets ! Des qu’ont la tête en os. D’autres qui ont le cou long comme celui d’une aiguière. Des bedonnants ! Des grisonnants ! Des bien sombres ! Des très clairs ! Des barbus ! Des glabres ! J’en vois qui boitent ! D’autres qui dansent en marchant ! Certains rient grand. D’autres pleurent ! Plusieurs bâillent ! Les diurétiques se compissent au pas de charge ! Les entériques se conchient au petit trot. Beaucoup bâillent ! Une grosse quantité bave. Les timides pètent. Les pouilleux se grattent la nuque ! Les morpionneux se grattent l’anus ! J’en entends qui prient ! Les énervés mâchent du bétel. Un demeuré se masturbe à tout hasard ! Deux invertis s’intervertissent en criant qu’avec homo on lave plus blanc ! C’est le tohu-bohu frénétique ! La marée noire ! La manufacture d’alarmes et cyclones de seins tes tiennes. Le bouillonnement humain !

— Y a du rendement, hein ? exulte Béru.

Je me racle la gorge.

— Silence ! hurlé-je d’une voix que le Gros qualifierait de centaure.

Le brouhaha se calme progressivement. Bientôt le silence est tel qu’on entendrait voler un hélicoptère. Le moment d’une harangue salée est venue. Car, voyez-vous, espèces d’espèces : lorsqu’on a obtenu la soumission de trop de gens à la fois, si l’on veut les contrôler, il faut absolument leur parler. Les victoires s’obtiennent somme toute assez aisément, mais la période qui leur succède est toujours critique. Rien de plus terrible qu’un vaincu. C’est un chancre ! Une maladie implacable ! Un chiendent qu’on doit arracher brin par brin aussitôt qu’il pousse. Dans l’accalmie des défaites, le peuple battu puise des forces neuves pour abattre son vainqueur. Si ce dernier veut se maintenir, il n’a que deux recettes : la peur ou le charme. L’idéal étant d’user des deux systèmes alternativement. Main de fer gant de velours, quoi ! Le cliché paie !

La frousse s’impose par le silence et le charme s’exprime par le verbe. Le dictateur pro est celui qui agit sans parler et parle sans agir, alternativement.

« Pour régner, il faut s’imposer, songé-je. Donc, mon bon San-A. après ce magistral coup de bazooka qui fait cramer les communs, déballe les belles paroles qui feront flamboyer les consciences. »

— Officiers, sous-officiers et hommes de troupe ! lancé-je d’un ton plus vibrant qu’un marteau-piqueur. Les forces de l’armée secrète du Kuwa libre viennent d’entreprendre une opération d’envergure pour délivrer le pays du joug odieux du colonel Kelkonoyala. Dans quelques jours, ce tyran sanguinaire qui mène la nation kuwienne à la ruine et au chaos (toujours brandir le mot chaos lorsqu’on parle aux populations du régime à combattre) sera battu ! Alors s’ouvrira pour le Kuwa éternel une ère de paix et de bonheur. Vous qui ne souhaitez que la grandeur de votre pays, joignez-vous à nous pour chasser l’usurpateur et restaurer la liberté. Cette nuit, près d’un demi-million de volontaires farouches ont été parachutés sur toute l’étendue du territoire. Ils sont tous pourvus d’armes secrètes qui, comme nous en ce moment, les rendent invulnérables. Aussitôt que parachutés, ces farouches mercenaires, dûment entraînés, se sont mêlés à la population. Ils sont partout ! Ici même, parmi vous, un homme sur deux au moins fait partie de l’armée secrète ! C’est pourquoi, si vous tenez à vos vies, à celles de vos épouses, de vos mères et de vos enfants, vous adhérerez au mouvement. Et maintenant, officiers, sous-officiers et hommes de troupe, s’il en est qui ne sont pas d’accord, qu’ils lèvent la main, nous les balaierons grâce au rayon de mort dont nous disposons. J’attends ! »